Peintre, sculpteur, graveur, musicien, écrivain, mais également et surtout performeur, Bruno Mendonça est un artiste tout aussi inclassable que prolifique. Passionné de voyage, il a fait du monde son territoire de recherche et d’expérimentation, parcourant les contrées les plus diverses à la rencontre de ses habitants et de leurs cultures. Le plasticien s’est éteint le 3 novembre dernier, victime d’une chute dans son atelier niçois*. Il avait 57 ans. Retour sur un parcours hors du commun.
« Je pourrais être relié à plusieurs mouvements mais n’appartient à aucun, même si le galeriste Alexandre de la Salle m’intégra à l’École de Nice, des artistes que je côtoie depuis 30 ans. Mais le label s’use, il faut aller puiser l’énergie ailleurs. C’est aussi pour cela que je me déplace et pratique autant de disciplines de front », confiait Bruno Mendonça au magazine Art Côte d’Azur en août 2010. Touche-à-tout, l’homme l’est depuis sa plus tendre enfance. Né le 29 novembre 1953 à Saint-Omer, petite ville du Pas-de-Calais, il grandit au rythme d’une curiosité intellectuelle débridée, relayée par une étonnante habileté manuelle : à cinq ans, il sait manier un fer à souder et à six, il assemble son premier poste de radio !
En 1961, il déménage à Nice, d’où est originaire sa mère, et s’initie aux échecs ainsi qu’au judo, deux disciplines dans lesquelles il excelle au point de les pratiquer en compétition au bout d’un an seulement. « Les échecs m’ont appris à construire rapidement, à globaliser, à aborder simultanément plusieurs activités. » Ses centres d’intérêt continuent de croître avec l’âge, jusqu’à atteindre une diversité vertigineuse. S’il s’adonne en effet à l’électronique, la mécanique, la photographie ou encore à l’informatique, c’est en parallèle de son attirance pour les sciences humaines, laquelle le conduit, à 15 ans, à lire avec assiduité Freud comme Jung, à s’essayer, aussi, au théâtre, en anglais comme en français.
Alors que l’esprit a soif de connaissances nouvelles, le corps n’est pas en reste : fidèle au judo, il se distingue aussi en natation et en ski tout autant qu’en tennis de table, squash et hockey sur gazon. Sans oublier le jeune Mendonça musicien, qui joue de la basse et écrit des textes pour son propre groupe de rock formé en 1971. L’année suivante, son parcours prend un tournant essentiel : « Après un accident de moto, j’ai vendu tout mon matériel pour acheter de la peinture. » En 1973, il rejoint les bancs de Sciences Po… et réalise sa première exposition, à Nice.
Bientôt, l’artiste découvre le champ de la performance qu’il ne se lassera plus d’explorer ni d’exploiter en tant que moyen privilégié de communiquer avec les spectateurs et, plus largement, avec le monde. « Pour moi, la performance est un contact, une relation avec le public que je fais participer », explique-t-il en octobre 2008 à Pierre Padovani, alors attaché de conservation au musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice. En 1976, il plonge, trois mois durant, plusieurs de ses toiles au fond de l’un des lacs de Saint-Auban, dans les Alpes-Maritimes. Un an plus tard, à quelques dizaines de kilomètres de là, à Saint-Jeannet, il passe 76 heures à peindre et à dessiner dans l’obscurité la plus totale d’une grotte, avec l’idée, entre tant d’autres, de sensibiliser le public à la condition de malvoyant. Ces deux expériences participent à une forme de conversation singulière avec la nature qu’il reprendra régulièrement au fil de ses pérégrinations – dans le désert, au creux d’un cratère, sur un glacier ou enseveli sous terre.


Un travail continu sur le langage, le signe – il invente quelque 60 alphabets – et le texte, intimement lié à celui, tout aussi indispensable à sa démarche, conduit autour du livre, à la fois contenant et contenu, élément récurrent d’une œuvre en constante effervescence et métamorphose. Là encore surgissent des souvenirs d’enfance, qui mettent en scène un bambin empilant patiemment les ouvrages empruntés aux interminables rayonnages de la bibliothèque de son grand-père. Ses recherches sur le « livre-objet » – il crée notamment plus de 150 livres d’artistes – l’amèneront à imaginer, par extension, des dizaines de bibliothèques éphémères, non pas lieux d’instruction, de rangement ou de conservation, mais installations autonomes, remettant en question notre appréhension de la lecture et de ses codes, notre savoir et nos certitudes. « Ce qui m’intéresse, c’est de signifier du nouveau à partir de la création de métalangage », rappelle-t-il. L’une de ses bibliothèques, L’igloo de dictionnaires (2000) – constitué de « 5000 dictionnaires récupérés pour monter une coupole qui symbolise ces parties du monde que l’on méconnaît parce que nous n’avons pas accès à leurs cultures » – marque plus particulièrement les esprits.
« J’ai toujours été un manipulateur de concepts, qui essaie de déplacer différentes périodes qui ne sont pas censées se mettre en connexion. J’aime l’idée de faire des chantiers qui soient toujours en déséquilibre et, que ce soit dans le travail du concept de bibliothèque ou celui de performance, il y a toujours cette notion. » Qui n’enlève rien à la cohérence d’une œuvre à travers laquelle Bruno Mendonça, avec une infinie poésie, nous réapprend à lire le monde. Sa disparition a suscité nombre de réactions de ses amis, proches et artistes ; parmi eux Jean Mas, à qui nous empruntons ces dernières lignes : « La brutale disparition de Bruno laisse un blanc dans le milieu des performeurs, blanc ou noir pour un jeu d’échecs dans lequel il excellait. C’était un maître dans le maniement des pièces, pièces à jouet et à se jouer dans un déplacement qui mettait en œuvre la totalité de son corps. (…) Bruno travaillait l’écrit en faisant corps avec la lettre, il voulait être dans la naissance du livre. Bruno était ce qu’il faisait. »
(*) Ses obsèques se dérouleront à Nice lundi 14 novembre, à 10h30 à l’église Saint-Philippe puis au crématorium de la ville à 12h.

Mendonça, l’écriteur
Bruno Mendonça aimait à se définir « comme écriteur, fabricant de textes, de mots », qu’il livrait souvent à l’occasion de ses performances. Voici l’un de ses textes, lu lors d’une intervention intitulée Peau sous plomb, qui s’est tenue à la galerie Depardieu, en novembre 2009 à Nice.
