Son univers est né à Quimper, alors qu’il était étudiant à l’Ecole des beaux-arts de la ville. Depuis, Arnaud Rochard se nourrit de chaque minute qui passe et de chaque découverte qu’il fait, qu’elle soit picturale, littéraire, musicale ou cinématographique. Les paysages et les personnages imaginés par lui ne font que rarement une seule apparition. Ils reviennent, comme autant de motifs familiers, pour souligner leur appartenance à l’œuvre captivante de ce graveur et dessinateur, installé à Bruxelles. Chacune de ses œuvres agit tel? un gros plan, extrait d’une épopée fantastique écrite au fil des inspirations et des années. L’artiste présente son travail dans la capitale belge, du 10 au 31 mai, dans le cadre d’une exposition collective dédiée à la gravure dont il est l’un des initiateurs. Rencontre.
Arnaud Rochard n’a pas 30 ans. Né en 1986, il a grandi à Guérande, haut lieu de l’histoire du duché de Bretagne, entre la cité médiévale, sa campagne, ses forêts et ses marais. Entouré d’un frère et d’une sœur, l’enfant est un élève insouciant et distrait, qui aime la lecture et le dessin. « Les images m’ont toujours beaucoup attiré, notamment celles au caractère graphique prononcé. Comme la BD, par exemple. En classe, le livre que j’ouvrais avec fascination était celui d’histoire. Je passais de longs moments à le feuilleter et à en reproduire de nombreux visuels, notamment des gravures satiriques, des affiches de propagande et des photos de guerre. » Alors qu’il est encore en primaire, ou peut-être au collège – l’événement ne s’inscrit pas à une date précise dans sa mémoire –, il fait une découverte marquante au Musée d’Orsay : « J’ai un souvenir fort d’une peinture découverte lors de ce voyage scolaire. Celui d’un tableau monumental de Fernand Cormon, intitulé Caïn et représentant la fuite du fils aîné d’Adam et Eve et de sa tribu après le meurtre de son frère Abel. A l’époque, je ne connaissais ni les personnages ni l’histoire. Ce qui m’a marqué, c’est le sujet et l’imposant format de la peinture, qui renforce la tragédie ainsi relatée. Pour moi, il était clair que cette scène se déroulait dans le futur, dans une époque post apocalyptique ! »
Si Arnaud Rochard indique être resté longtemps sans s’intéresser vraiment à l’art et à son histoire, il ne s’en est pas moins retrouvé étudiant à l’Ecole des beaux-arts de Quimper. « Lorsque j’y suis arrivé, je n’avais qu’une vague idée de toute cette culture. Mais j’étais curieux et j’ai beaucoup planché ! C’est là aussi que j’ai appris à graver sur métal et sur bois. Pour mon diplôme de troisième année, j’ai réalisé quelques gravures que j’ai montrées accompagnées de matrices en bois. Ces pièces étaient presque plus fortes que les impressions… » C’est au cours de sa quatrième année d’études, après un voyage « Erasmus » à Bruxelles et un stage chez l’artiste français Damien Deroubaix, à Berlin, qu’il a le déclic : « Du travail quotidien en atelier aux visites des grands musées, j’ai su que c’était la voie que je voulais suivre. » Diplômé, il retourne dans la capitale allemande, travaille avec Maël Nozahic (également ancienne des Beaux-Arts de Quimper), fonde avec elle et d’autres anciens étudiants le collectif Körper. « Nous avons eu l’occasion de montrer nos travaux dans plusieurs expos collectives. C’est à la suite de l’une d’entre elles que j’ai rencontré la galeriste parisienne Maïa Muller, avec laquelle je travaille désormais. » Les œuvres d’Arnaud Rochard sont brutes, noires, effrayantes parfois. Elles dressent la géographie d’un univers fantastique et souvent violent, dont les racines plongent dans la musique, la littérature et le cinéma. Attiré par la culture rock sans être acquis à un style précis, Arnaud Rochard est inspiré par son côté sombre. Rock psychédélique et occulte des années 1960-1970, punk hardcore, métal, dark folk et musique industrielle : « La musique et le cinéma sont des sources d’inspiration très puissantes. La première agit comme un carburant pour mon processus de création et est souvent à la base d’une ambiance, d’un paysage ou d’une scène. En tant qu’artiste, il est nécessaire de pouvoir faire appel à des référents culturels, tout en se les appropriant, en établissant des connexions entre eux. » Son œuvre est le témoin de sa vision métaphorique du monde et de la vie. Une jungle avec ses cruautés, ses peurs et ses beautés. Il s’intéresse à la manière dont l’histoire des cultures européennes s’est écrite. « Cette combinaison de séduction et de répulsion me donne envie de créer des images crues et sauvages. » Matériau et technique occupent également une place essentielle dans son travail. L’artiste grave, dessine et sculpte, aussi, de grandes planches de bois, entre bas-reliefs et bois gravés. « Ce médium me permet d’obtenir une justesse dans les détails. Le geste doit être sûr et précis. Cet exercice lent et assidu demande une grande concentration. Les gravures sur métal, eaux-fortes et aquatintes, résultent, quant à elles, plus de l’expérience scientifique ou alchimique. Les différentes étapes qui précèdent l’image finale – préparer la plaque, la vernir, la graver, l’enduire de résine, la plonger dans l’acide, l’encrer puis, enfin, l’imprimer – ont chacune un rôle important. De nouveau, il est question de patience et de minutie. Cela rejoint ma pratique du dessin à la plume et à l’encre de Chine. »
Trois artistes et un lieu
« A Bruxelles, avec mes colocataires, Marine Penhouët et Mélanie Peduzzi, nous animons Le Kabinet. C’est un lieu totalement indépendant que nous gérons ensemble et par nos propres moyens. Le but est d’y montrer notre travail, mais aussi celui d’autres artistes invités. Ces échanges permettent de nouvelles rencontres qui mènent à coup sûr vers d’autres projets ! En mai, nous organisons une exposition autour de la gravure qui se nommera Kabinet d’estampes et réunira une trentaine de participants. »
L’histoire de l’art observée
« Dans mon travail j’emprunte beaucoup à l’histoire de la gravure, de Martin Schongauer aux expressionnistes allemands Emil Nolde et Ernst Ludwig Kirchner, en passant par le Français Rodolphe Bresdin. Citons également l’art figuratif, de Paul Gauguin et Henri Rousseau jusqu’à Robert Combas et la figuration libre des années 1980. Ces références le sont pour l’énergie, voire la rage, que laisse transparaître le traitement de l’image et pour cette accumulation méthodique et/ou frénétique de détails et de motifs ne laissant aucune place au vide. Autant de choses qui ressortent dans mon travail, soit de façon directe comme des “citations” ou des “collages”, soit par la naissance d’une nouvelle image directement liée à la force des œuvres observées. Je reprends aussi quelquefois la composition de tableaux classiques, comme dans ma série de trois gravures Funny Game, où je me suis inspiré de peintures représentant le meurtre d’Abel. Si j’utilise des thèmes bibliques et mythologiques, c’est pour la violence des récits. Elle est fascinante, car elle illustre très bien le monde dans lequel nous vivons. Cette combinaison de séduction et de révulsion me donne envie de créer des images crues et sauvages, mais précises et maîtrisées. Parler du périmètre artistique qui m’inspire ne serait pas complet si j’omettais de citer Damien Deroubaix, dans l’atelier duquel j’ai travaillé, et le graveur Yves Doaré, qui m’a beaucoup appris sur la technique, la finesse et la concentration nécessaires à ma pratique. Dans ma génération, je suis évidemment proche de mes amis artistes du collectif Körper – Julie Laignel, Klervi Bourseul, Maël Nozahic et Cedric Le Corf – et j’admire bon nombre de mes “collègues” de la galerie Maïa Muller comme Eudes Menichetti, Hélène Muheim, Aurélien Louis et Vincent Bizien. »