L’allégorie de la caverne
revisitée par Makiko Furuichi

Si votre œil parcourt ce texte entre 10 h et 18 h, vous pouvez parier sur l’endroit où se tient Makiko Furuichi. L’artiste japonaise travaille actuellement et assidûment à quelque 10 mètres du sol. Elle peint directement sur la paroi d’une des caves de la plus ancienne Maison de fines bulles de Saumur. La lauréate 2021 de la résidence Ackerman + Fontevraud peaufine une proposition étonnante à l’intersection de l’art rupestre et de la mythologie japonaise. ArtsHebdoMédias est allé à la rencontre de cette peintre que la démesure attire.

Makiko Furuichi en tenue de travail. ©Photo MLD

Bleu de travail moucheté de poussière, bonnet noir et masque blanc, Makiko Furuichi approche d’un pas décidé. Ce matin-là, l’air est frisquet mais la voix enjouée de l’artiste rend l’atmosphère chaleureuse. Elle est la lauréate 2021 de la résidence Ackerman + Fontevraud et elle n’a pas de temps à perdre. Il lui faut être prête d’ici à la fin du mois de mars car, si les conditions sanitaires le permettent, le public sera invité à découvrir son installation picturale dès les premiers jours d’avril. Après avoir serpenté dans les caves troglodytiques, nous débouchons dans une vaste nef, creusée dans le tuffeau, de quelque 10 mètres de haut et 50 mètres de long. L’endroit est majestueusement hors-monde. Au centre, se dresse un échafaudage. Imaginer Makiko Furuichi peignant des heures durant à même l’impressionnante voûte force le respect et convoque des images d’autres temps. De la Préhistoire comme du Moyen Age ou de la Renaissance. « Je n’avais jamais peint sur des surfaces aussi importantes. C’est un grand défi. Sans compter qu’il faut faire avec les fissures et sans les petits morceaux qui se détachent ! Je dois travailler avec toutes les irrégularités de la matière si je veux que cela marche. J’utilise de la peinture à la chaux, très mate et lourde, que je fabrique moi-même. Une recette secrète ! », s’amuse l’artiste.
Makiko Furuichi est en France depuis 11 ans. Forte d’un cursus à l’Université des beaux-arts de Kanazawa (Japon), en section peinture à l’huile, elle est arrivée à l’ENBA de Nantes en quatrième année. « Je ne peins pas des tableaux car j’aime qu’il n’y ait pas de limite. Au musée, vous êtes face aux peintures. Dans mon travail, j’ai envie que la peinture vous entoure. Le ressenti est très différent. » Depuis quelques années, l’artiste s’intéresse aux installations picturales à caractère immersif. Citons notamment, dans le cadre du projet Chambres d’Artistes du Voyage à Nantes, en 2019, Dream Jungle, qui voit une végétation colorée s’exprimer sur les murs, le plafond et les rideaux de la pièce. « Ce travail est toujours visible, vous pouvez même dormir à l’intérieur ! Quand on est petit, on a envie de dessiner sur les murs. C’est cette idée simple, enfantine, que je poursuis. Répondre à l’appel à candidature pour la résidence Ackerman + Fontevraud était l’occasion de pousser dans cette direction. D’autant que j’avais très envie de peindre sur ce tuffeau. Sa couleur est tellement belle. »
Le regard balayant la voûte, Makiko invite alors à la contempler. « Je vais travailler sur toute sa longueur, y dessiner des yokai, des créatures surnaturelles du folklore japonais. Leur présence était évoquée dès qu’un phénomène incompréhensible se produisait. Il suffisait que des gens meurent sans véritable raison pour que la population accuse les yokai habitant la montagne ou la forêt d’à côté ! » Ainsi, il y aurait des yokai pour tout. Tantôt malicieux, tantôt malveillants. Tantôt extraordinaires, tantôt mystérieux. Ils portent chance ou sont synonymes de déveine. Doués pour se métamorphoser, ils possèdent souvent des attributs d’animaux. Celui qui plane au-dessus de nos têtes est de la famille des tengu, reconnaissables à leur nez anormalement long et leur capacité à voler. Sans coller aux représentations traditionnelles, Makiko s’en inspire tout en interprétant les formes déjà présentes à la surface de la roche. « Je trouve marrant de les peindre ici comme s’ils vivaient à l’abri du tuffeau, l’habitant telles des âmes. Cette galerie a été creusée à la main. Ceux qui ont travaillé ici ont laissé des traces. Mes créatures se mélangent à leur histoire. »

Travail en cours. ©Photo MLD

L’artiste ne sait pas encore si toutes seront reliées les unes aux autres. « J’essaie de ne pas trop définir les choses par avance, de me laisser porter par ce que je sens. » Une certitude toutefois, les visiteurs feront la connaissance de différents yokai. Pour l’heure, seule des mains colorées suggèrent leur arrivée. Makiko Furuichi explique maintenant le reste de l’installation. A la hauteur des visiteurs, deux immenses miroirs vont être installés l’un en face de l’autre, au centre de la nef. Grâce à cet artifice, l’artiste souhaite elle aussi creuser l’espace comme les ouvriers avant elle. Elle explique que le miroir est un élément important du Shinto et que les Japonais ne parlent que peu de religion. Les paroles affluent au rythme des pensées, sautant d’un point à un autre. Elle se souvient alors d’Amaterasu, la déesse du soleil, qui avait trouvé refuge dans une grotte, plongeant la Terre dans l’obscurité, et de tous les stratagèmes mis en place par les autres dieux pour l’en faire sortir. Un miroir habilement positionné à l’entrée de la cavité reflétera la très convoitée déesse, que la curiosité poussera à avancer jusqu’à rejoindre le monde. Et pourquoi ne pas rêver : elle-même.
« Je vais installer des torches contemporaines qui permettront aux visiteurs de se sentir comme les premiers découvreurs de mes peintures. Elles seront installées sur la paroi et s’allumeront par intervalle, comme une sorte de pouls lumineux battant dans l’espace. » Renforçant ainsi l’expérience de la caverne, ritualisant la découverte des peintures. Jusqu’à provoquer l’émerveillement. L’heure de se quitter approche. Beaucoup de travail reste à accomplir. La jeune femme parle encore des dimensions impressionnantes du lieu, de sa couleur, de son odeur, de la joie qu’elle ressent à peindre. Elle évoque sa première visite « en douce », avant de répondre à l’appel à projet. « J’ai bien fait, car c’était beaucoup plus grand que ce que j’avais imaginé. Ça m’a vraiment donné envie de tenter l’aventure. Depuis septembre, je n’ai pas cessé d’y penser. » Alors… à tous ceux qui pensent que la magnifique proposition de Julien Salaud, premier lauréat de la résidence, est indépassable, un seul message : allez et laissez-vous enthousiasmer !

Mains de yokai, Makiko Furuichi. ©Makiko Furuichi, photo MLD

 

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