Chaque année, Corridor Eléphant sort une douzaine d’ouvrages et met en ligne plus de cent cinquante expositions. Une fois par mois, ArtsHebdoMédias vous invite à entrer dans un univers auquel notre partenaire a consacré une exposition ou un livre. En mars, nous vous proposons de vous laisser emporter par Oum el Dounia de Flora Elie.
Profondément sensible à la notion de patrimoine culturel et aux enjeux sociaux liés à la mondialisation, Flora Elie est un témoin de sociétés qui oscillent entre tradition et modernité. En plaçant les modes de vie, les spécificités culturelles et la spiritualité au cœur de sa démarche documentaire, la photographe souhaite illustrer la diversité des cultures qu’elle traverse.
« Depuis Le Caire, on perçoit immédiatement la dimension urbaine de cette mégalopole à la croissance folle. Les rues sont pleines de petites boutiques, d’échoppes et d’ateliers où ouvriers et artisans exercent des métiers qui ont parfois disparu en Europe du fait de l’industrialisation ou des délocalisations. J’aimais par-dessus tout déambuler dans ces lieux pleins de vie, où le regard est capté par des couleurs, des textures, des enchevêtrements saisissants, le tout dans une obscurité limpide qui est l’un de mes terrains de jeu photographique favoris. De ces promenades, des liens se sont tissés avec ces hommes dont je suis fière d’avoir documenté le travail. La foi occupe une place particulière dans le cœur de nombreux Égyptiens et, aujourd’hui encore, la vie quotidienne est rythmée par un riche calendrier spirituel.
Les lumières des fanousses du Ramadan illuminent les banquets de rue ou l’intimité des maisons, la nuit résonne de la musique saturée des mouleds sur laquelle les gens se balancent en transe jusqu’au jour, des villages entiers se rassemblent pour célébrer des mariages qui sont souvent la seule occasion pour les hommes et les femmes de se rencontrer en public dans certaines parties du pays, des familles et des groupes d’amis de tous âges déambulent dans les rues au crépuscule pour échapper à la chaleur des maisons et profiter de la chaleur des nuits d’été.
Pourtant, l’Égypte reste un pays essentiellement agricole. Même au cœur des villes, la nature n’est jamais loin : le ciel du Caire est peuplé de pigeons élevés sur les toits, et les étals des vendeurs ambulants ponctuent le passage des saisons avec leurs cargaisons de fruits qui changent au fil des mois. Je m’échappais souvent à la campagne pour documenter les travaux des champs, car dans ce cadre bucolique, hommes, femmes et enfants s’affairent à cultiver et récolter les fruits de cette nature splendide : dattes, coton, figues et bien d’autres.
El Oum el dounia (« la mère du monde » en égyptien, surnom donné à l’Égypte) vit et bouillonne sans discontinuer. Celui qui va à sa rencontre à travers ses rues, ses villes et ses campagnes, sera pris dans son joyeux désordre, alimenté par la cacophonie des klaxons et des sonos, l’odeur de la poussière, de l’encens et des cacahuètes grillées, dans un rythme enivrant dont j’ai essayé de capter les couleurs, la spontanéité, l’empreinte de la vie quotidienne. »
Image d’ouverture> Jeune garçon rappelant ses pigeons, Le Caire, 2022. ©Flora Elie/Agence Hans Lucas