Les belles âmes sont souvent réservées, secrètes. Et j’ai eu la chance de partager quelques heures avec l’une d’elles. « Je suis un type timide » me confie Jean Tirilly au début de notre entretien. Heureusement ce timide-là adore parler ! Cigarette au bec, il me fait les honneurs de son atelier monastique. Le tour d’horizon est rapide : une palette, des tubes de couleur et quelques pinceaux. Au mur, trois toiles toutes fraîches, « inspirées par la crise économique ». C’est l’onirisme du rêve qui semble conduire ses œuvres, comme des visions capturées juste avant de s’abandonner aux bras du dieu des songes et de la nuit. Mêlées humaines, grouillements énigmatiques, aplats de couleurs éclatantes qui évoquent la bande dessinée. « Comme des gosses un peu fous, mes tableaux me dépassent. » Pour expliquer la genèse de son inspiration, Jean Tirilly évoque le cinéma. « C’est un film en cours de montage, je m’arrête sur un plan-séquence. » Un plan qu’il faut vite travailler. Deux jours pour un tableau. Pas de distraction, sinon l’image s’enfuit. « On n’est pas dans le normal mais dans l’acte de peindre. »
Il y a ceux qui osent et ceux qui renoncent. Jean Tirilly attendra presque quarante ans avant de se « lancer en peinture ». Il s’engage dans l’armée à 16 ans, fait trois fois le tour du monde. Chemins de traverse et boulots alimentaires, l’artiste côtoie les milieux de la publicité, de la psychiatrie ; il étudie le zen. Tandis qu’il nourrit son imaginaire, germe en lui au fil de ces années le désir de briser l’anonymat. Il rentre en Bretagne, à Léchiagat, brûlé par la peinture. Sa mère est sceptique mais elle accepte de l’aider. Autodidacte et reclus volontaire, Jean Tirilly met au point son alphabet graphique, invente son style. En 1984, il vend sa première toile. L’enthousiasme des collectionneurs fait le reste. Très vite, la notoriété de l’artiste dépasse les frontières de la Bretagne ; ses toiles s’exposent à la Collection d’art brut à Lausanne et au musée d’Art spontané à Bruxelles. A prendre le risque de dévoiler son âme, Jean Tirilly a bouleversé les cœurs.
« J’étais malheureux avec les autres. Aujourd’hui, j’essaye de prendre du bon temps. » Jean m’avait fait visiter les trois pièces au-dessus de son atelier, dans cette petite maison de Pont-l’Abbé qui avait besoin de quelques travaux. Ici, il y aurait une chambre ; là, une salle de bains. Jean estimait qu’il méritait enfin un certain confort. La maladie ne lui en a pas laissé le temps. Il nous a quittés le 28 juin dernier. Il avait 63 ans.