A Chaumont-sur-Loire,
la saison d’art est fin prête

Plutôt que de ménager le suspense, soyez d’emblée épatés et intrigués par la prochaine programmation de la saison d’art du Domaine de Chaumont-sur-Loire ! Joël Andrianomearisoa, Miquel Barceló, Pascal Convert, Chris Drury, Sheila Hicks, Safia Hijos, Min Jung-Yeon, Abdul Rahman Katanani, Fabien Mérelle, François Réau, Chiharu Shiota et Carole Solvay en sont les invités. Chacun d’eux a imaginé une proposition spécifique pour l’espace intérieur ou extérieur qui lui a été confié. Tandis qu’ont été choisies des œuvres inattendues de Jean Dubuffet et Paul Rebeyrolle. Revue de détail avec Chantal Colleu-Dumond, qui orchestre l’ensemble.

Vue de l’entrée du château avec son pont-levis.

Alors que la végétation sort peu à peu de son sommeil hivernal et que les premières fleurs bravent une météo changeante, le Domaine de Chaumont-sur-Loire s’active. Nous ne prendrons pas de précautions oratoires particulières – chacun sait que l’ouverture au public des lieux patrimoniaux et culturels est suspendue à l’évolution de la pandémie – car, pour l’heure, l’important est de vous faire découvrir ce qu’ardemment les équipes du Centre d’arts et de nature finalisent. Depuis plusieurs semaines déjà, des artistes se succèdent dans le château, son parc et ses dépendances afin d’y installer leurs œuvres, voire les réaliser in situ. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit d’une première mais quelques-uns ont le privilège d’y revenir. Preuve qu’ici des liens se créent et perdurent. C’est avec opiniâtreté et enthousiasme que Chantal Colleu-Dumond imagine chaque année depuis 2008 une programmation réunissant une quinzaine d’artistes d’expressions et d’horizons divers capables d’entraîner dans leurs imaginaires un public très large. Pour elle, l’art comme la beauté ne sont pas réservés à quelques-uns mais destinés à tous. Laissons donc la parole à celle qui place la transmission au cœur de son action.

Vue d’artiste de l’installation de Sheila Hicks dans l’escalier d’honneur du château.

ArtsHebdoMédias. – Comment se porte le Domaine ?

Chantal Colleu-Dumond. – Aussi bien que possible dans la période difficile que nous traversons. Habituellement, la saison d’art débute la dernière semaine de mars et le Festival des jardins une vingtaine de jours plus tard. L’an dernier, nous n’avons pu ouvrir qu’en mai et avons dû fermer nos portes dès novembre. Notre nombre de visiteurs a donc forcément été moindre et nous avons été obligés de renoncer à certains événements, mais ces difficultés n’ont pas entamé la volonté des équipes. L’hiver a été consacré à la réalisation de travaux menés par la Région. Ont été notamment restaurés le pont-levis et la passerelle d’accès au château. L’aile Est a également fait l’objet de travaux qui lui permettront, dans les années à venir, d’accueillir de nouveaux projets culturels. Depuis quelques semaines, nous travaillons à mettre en place les jardins et accueillons les artistes de la Saison d’art. En résumé, nous préparons les choses avec beaucoup de détermination et d’ardeur, malgré la morosité du contexte.

Direction of Consciousness, Chiharu Shiota, dans la Galerie Basse du Fenil.

La pandémie a-t-elle influencé la programmation de la saison d’art ?

A priori non, du moins pas de manière consciente. Chaque saison d’art se développe obligatoirement à partir d’un lien que les artistes entretiennent avec leur environnement naturel. C’est l’objet même de la mission du Centre d’arts et de nature du Domaine. Il est possible néanmoins que ce contexte très anxiogène m’ait donné l’idée de faire appel à des artistes dont les œuvres sont encore plus diverses et plus tourmentées qu’à l’habitude. Pour résumer et se laisser inspirer par les évocations de conte qui naissent à la vue du château, je dirai que parmi les invités de cette saison, il y a des géants, des anges et des revenants !

Paysage du soir, Paul Rebeyrolle, 2001.

Commençons donc par les géants.

Le premier d’entre eux est Paul Rebeyrolle. C’était un thaumaturge incroyable. J’ai le souvenir persistant de son atelier dans la campagne, en Bourgogne. Il y avait dans cet antre extraordinaire des tableaux d’arbres immenses qui faisaient plusieurs mètres de haut et donnaient à voir une matière picturale intense, pleine d’éléments rajoutés, pierres, branches, lichens… Cette mise en évidence de la rugosité et de la réalité de la matière m’avait semblé tout à fait fascinante. Quelque chose d’extrêmement puissant s’est alors emparé de mon imaginaire. Nous allons montrer une trentaine de paysages, de toutes les époques de sa création, qui sont probablement moins connus que ses toiles expressionnistes plus violentes, comme la série des « suicidés ». Ils seront présentés dans les ailes sud et ouest du château, accompagnés de portraits de l’artiste réalisés magistralement par le photographe Gérard Rondeau. Le deuxième géant est Miquel Barceló. Cet autre magicien de la matière va concevoir une œuvre qui demeurera au Domaine. Sorte de conque colorée en terre cuite et céramique dans la droite ligne du travail magnifique qu’il a réalisé pour la cathédrale de Majorque. Elle viendra s’inscrire à partir de juin dans le parcours des œuvres pérennes situées dans le parc historique. Barceló est un artiste absolu, capable d’utiliser tous les médiums, d’intégrer toutes les cultures. C’est un grand voyageur. Je suis contente qu’il ait accepté d’associer son génie de façon permanente à l’univers du Domaine. Le troisième artiste que je mets du côté de la puissance, mais peut-être aussi de la douleur, c’est Abdul Rahman Katanani. Cet artiste franco-libanais d’origine palestinienne, qui a vécu son enfance dans le camp de Sabra, travaille avec des matériaux de récupération évoquant le point de départ de sa réflexion, mais transformés pour révoquer tout déterminisme. Chez lui, la pratique artistique est un véritable feu émancipateur. Il a réalisé d’impressionnants nids en fil de fer barbelé qui sont d’ores et déjà accrochés à des arbres du parc historique.

Série Cnidaires, Sans titre, Carole Solvay, dans l’Asinerie.

Viennent maintenant les anges…

Les anges travaillent des matières douces et légères, conçoivent des univers oniriques, mais n’oublient pas pour autant d’être, eux aussi, très puissants ! La première de ce cercle d’artistes est Chiharu Shiota. Le pavillon du Japon à la Biennale de Venise 2015 est dans toutes les mémoires. Ces deux barques prises au piège d’une saisissante toile de fils rouges arborant des milliers de clés suspendues m’avaient bouleversée. L’artiste a décidé de poursuivre sa recherche sur les liens, orientée, pour l’occasion, vers ceux qui unissent l’homme et la nature, cherchant des similitudes entre le corps humain et les arbres, entre les impulsions nerveuses de notre cerveau et les modes de communication de ces derniers. Un travail d’une grande délicatesse, composé de fils noirs et d’éléments végétaux, qui met l’accent sur l’unité du vivant. Un autre type d’arborescences aériennes et complexes a été pensé par Carole Solvay. Un ange qui use aussi de fils mais surtout de plumes. Au rez-de-chaussée de l’Asinerie, l’artiste belge a réalisé une très subtile installation sous l’imposant lustre à pampilles et à l’étage, des formes sensibles posées à même le sol. Au château, c’est un ange revenant qui a opéré ! En effet, nous sommes très heureux d’accueillir de nouveau une œuvre de Sheila Hicks. Spécialement conçue pour l’escalier d’honneur, celle-ci est composée de « constellations », tondos barrés, brodés, de rais en laine et en soie magnifiquement colorés. Cette commande, financée par la Région Centre-Val-de-Loire, vient accroître de façon pérenne la charge poétique du lieu, à l’instar des œuvres déjà présentes de Kounellis, Sarkis et Orozco, notamment. L’ange suivant utilise la céramique comme moyen d’expression. Si elle a longtemps vécu en Belgique, c’est désormais dans le sud de la France, que Safia Hijos est installée. Dans deux boxes des écuries du château, l’artiste a créé un jardin suspendu d’une infinie délicatesse qui convoque l’esprit de la Renaissance italienne.

Détail de l’installation de Pascal Convert dans une des chambres d’invités du château.

Puis ensuite les revenants !

Le premier est Pascal Convert. Les visiteurs de l’an dernier se souviennent immanquablement de ses souches d’arbres et des livres cristallisés que nous avions montrés dans le château. Des pièces incroyablement émouvantes qui, toutes, par un phénomène d’alchimie ou de transsubstantiation, célèbrent la mémoire. Je suis très heureuse d’avoir pu les conserver une année encore et de les donner à voir complétées d’une création nouvelle. Réalisé en collaboration avec le même maître verrier, un lit d’enfant, des chandeliers et des miroirs ont également été cristallisés et ont pris place dans une des chambres d’invités à la tapisserie ancienne et déchirée. Magnifique évocation de l’enfance, que cette « chambre intérieure » cristallisée ! J’ai beaucoup d’admiration pour le travail de Pascal Convert. En lien constant avec l’empreinte, la mémoire, la douleur, ses œuvres, à la fois sensibles et oniriques, vous bouleversent très vite. Deuxième « revenant », Chris Drury, dont l’immense cercle en bois de peuplier, Carbon pool, est encore visible dans les Prés du Goualoup. Pour cette nouvelle invitation, l’artiste a imaginé une œuvre d’épines et de lichen en forme d’amanite, qui célébrera le cycle de la vie dans la Grange aux Abeilles. Joël Andrianomearisoa revient, quant à lui, avec un travail inédit, une tapisserie extérieure aux tons de vert qui joue avec l’architecture et le jardin de la Cour Agnès Varda.

Les herbes folles du vieux logis, Jöel Andrianomearisoa, Cour Agnès Varda.

Sans oublier un artiste inclassable…

Jean Dubuffet ! Dans la Salle du Porc-épic, nous allons présenter quelque 120 estampes de la magnifique série des « Phénomènes », à la manière d’un cabinet de curiosités. Un effet d’accumulation qui entraînera le regard dans un univers en noir & blanc d’une grande qualité graphique. Je suis très heureuse d’accueillir cet ensemble lié à la nature et par un mode d’expression pour lequel Dubuffet s’est passionné tout au long de sa vie. Un travail pour lequel il a joué tant avec des pierres qu’avec des branches et autres éléments naturels, qui est trop peu connu.

Nuages d’épines et de Lichen, Chris Drury, dans la Grange aux Abeilles.

…et une première !

En effet, le Domaine accueille pour la première fois, dans les galeries de la Cour Agnès Varda, des dessinateurs. Tous trois ont autour de 40 ans. Fabien Mérelle nous plonge dans une réflexion vertigineuse sur la relation de l’homme et de la nature. Regardez cette branche noueuse sortant de sa tête ou cet arbre à l’ombre anthropomorphe ! Chacun de ses dessins, fruit de plusieurs mois de travail, est à la fois graphique et philosophique. Autre talentueux dessinateur, François Réau. Conçus spécialement pour Chaumont-sur-Loire, ses nuages vont entourer le visiteur : douze panneaux en noir et blanc associés à un élément végétal de 7 mètres viennent témoigner de la beauté et de la fragilité du monde naturel. Un travail délicat entrant en parfaite résonance avec celui de l’artiste coréenne Min Jung-Yeon, qui aime réunir des éléments différents de la nature, à la recherche d’une harmonie renouvelée. Mon pari est que ces trois œuvres très singulières établiront naturellement une riche conversation. Objectif qui s’étend d’ailleurs à l’ensemble de la programmation, puisque des correspondances secrètes ne manquent jamais d’apparaître à Chaumont-sur-Loire.

Tissage (fragment), Min Jung-Yeon, 2019.
Contact

Saison d’art du Domaine de Chaumont-sur-Loire, jusqu’au 1er novembre. Voir le site.

Crédits photos

Image d’ouverture : Les Nids, Abdul Rahman Katanani, dans le parc historique. ©Abdul Rahman Katanani, photo Leighton Gough. Vue du château ©Photo du Domaine. Nuages d’épines et de Lichen. ©Chris Drury, photo du Domaine, Direction of Consciousness ©Chiharu Shiota, photo du Domaine. Paysage du soir ©Paul Rebeyrolle. Courtesy Galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris. Série Cnidaires, Sans titre ©Carole Solvay, photo du Domaine. La Chambre d’enfant ©Pascal Convert, photo du Domaine. Tissage (fragment) ©Min Jung-Yeon, photo Thierry Estrade, courtesy Galerie Maria Lund. Les herbes folles du vieux logis ©Jöel Andrianomearisoa, photo MLD.

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