Pour accompagner la sortie du nouvel e-mag d’ArtsHebdo|Médias consacré à la collection au XXIesiècle, nous publions tout au long de la semaine des entretiens avec des acteurs du monde de l’art et des articles thématiques sur la question. Depuis deux ans, Karine Marenne développe le projet Art Maid*, une performance pour laquelle l’artiste se rend chez des collectionneurs pour des « œuvrages » à domicile. Le néologisme né de l’association des mots « œuvre » et « ouvrage » est un concept qui désigne différents « tableaux » dans lesquels un collectionneur accepte de se mettre en scène avec une ou plusieurs œuvres d’art lui appartenant. Karine Marenne devient alors « Art Maid », la soubrette de l’art, habillée, maquillée et équipée en conséquence ; une démarche atypique, à l’image de l’artiste.
Elle se revendique d’une tradition artistique belge marquée par un humour particulier, un décalage qui s’exprime par l’absurde et n’a pas peur du loufoque. Malgré un large sourire et une légère robe verte, c’est à un seau rose que le futur interlocuteur est ainsi censé reconnaître Karine Marenne. Attablée à la terrasse d’un des nombreux cafés installés face à la gare du Nord, la plasticienne se confie avant son départ pour Bruxelles. Enfant, elle accumule et conserve les objets qu’elle ramasse à l’extérieur : « Je ne sais pas si je peux parler de collection mais dès que je voyais quelque chose qui me plaisait dans la forêt, je le mettais dans mes poches. Ma mère les vidait régulièrement, mais ce que j’arrivais à garder, je l’installais dans ma chambre. » A l’école, Karine passe beaucoup de temps à dessiner et les mathématiques ne sont pas son fort alors, quand on lui demande si l’art est une vocation, elle préfère parler d’évidence. C’est donc naturellement qu’elle intègre l’Ecole supérieure des arts plastiques et visuels de Mons où elle aiguise son œil. Elle fréquente un atelier pluridisciplinaire où l’accent est mis sur le développement d’une réflexion artistique dans l’espace public, sans pour autant proposer une spécialisation sur tel ou tel médium : « On se spécialise, ça vient de soi au fur et à mesure en fonction du message qu’on souhaite véhiculer, mais on n’apprend pas le dessin ou la peinture. » Pendant dix ans, Karine Marenne se consacre alors à la vidéo avant de se tourner définitivement vers la performance et la photographie. C’est aussi très jeune qu’elle découvre son goût pour le contact, un intérêt que l’on retrouve dans plusieurs travaux et qui prouve sa constante recherche d’un art relationnel. C’est ainsi qu’elle est amenée à collaborer avec Monsieur et Madame Tout-le-monde, artistes comme contrôleurs de train ! Dans Caravan of Love, elle est au côté d’un jeune homme avec lequel elle forme le couple de Monsieur et Madame Dufour, une immersion dans l’intimité d’un quotidien qui permet de souligner les rapports qui y prennent vie.
Avec We Love Art, au Palais des beaux-arts de Bruxelles, Karine Marenne propose un parallèle entre l’art et le sport. Deux domaines éloignés auxquels l’artiste trouve pourtant des similitudes : « C’est assez paradoxal mais, pour moi, on est dans le même milieu, il y a des sponsors qui misent sur une personne, dans le domaine de l’art, c’est un peu la même chose ! » L’artiste réalise alors une performance et demande à l’équipe du musée, artistes et commissaires d’exposition, de faire du sport, de suer pour l’art. Avec le slogan « We Love Art », directement inspiré de « I Love New York », l’artiste dresse un parallèle entre le monde de l’art et la Grosse Pomme, candidement aimée par des touristes qui ne soupçonnent pas la rudesse de sa réalité sociale. Une manière de proposer une approche critique du milieu de l’art et de sa logique mercantile.* Le projet Art Maid est mené par Karine Marenne avec l’aide de Geert De Taeye (photos), Magali Gérard (maquillage) et avec la complicité de la galerie Dubois-Friedland. Avec la complicité de galerie Dubois-Friedland, Karine Marenne organise des performances dans les salons d’art. Elle met en scène un personnage qu’elle décrit « entre une œuvre d’art et une femme objet ». L’artiste s’introduit alors dans des foires sans y être attendue, elle met en scène son apparition, attirant la curiosité des visiteurs, qui découvrent son personnage en plein « œuvrage » – néologisme né de l’association des mots « œuvre » et « ouvrage » – et cherchent ainsi à en savoir plus. A travers « Art Maid », l’artiste porte un regard nouveau sur la féminité en créant un décalage entre les clichés qui peuvent entourer la soubrette et des détails qui viennent les contredire : « En jouant sur les accessoires ou sur la couleur rose, je cherche à créer une distance entre la réalité et la part de fantasme qui peut l’entourer, une façon d’affirmer avec humour la part féministe de mon travail. » Grâce au personnage de la soubrette de l’art, c’est dans l’intimité des collectionneurs qu’elle s’introduit, une démarche qui implique de séduire pour rassurer et convaincre : « C’est la partie la plus délicate du projet, heureusement je peux compter sur la galerie Dubois-Friedland qui défend bien ce travail et qui réussit à transmettre toute la finesse et la subtilité qu’il y a derrière la performance. »
Comme sur un tournage
L’artiste se déplace chez le collectionneur après avoir eu connaissance du lieu. Ce dernier accepte ou non les scènes proposées à proximité des œuvres de sa collection. La performance est préparée en amont par la plasticienne qui dessine un véritable storyboard. Toutes les scènes sont croquées, une à une, comme on organise les différents plans d’un film : « Quand je me déplace avec mon équipe, nous sommes en tournage ! Même si c’est un travail photographique, je le conçois en mini-séquences pour conserver cette idée de mouvement. » Chaque performance dure environ une journée pendant laquelle le photographe prend quelque 700 images parmi lesquelles l’artiste choisit ensuite huit photographies. Le collectionneur acquiert six images uniques. Les deux autres clichés (avec l’accord du collectionneur) seront destinés à la publication et un tirage multiple : « Je conçois souvent les images en diptyque. L’une est un peu le contrepoids de l’autre. Par exemple, pour la première, je cire les chaussures du collectionneur et, pour la seconde, il se met à quatre pattes dans les escaliers pour me servir de marchepied afin que je puisse nettoyer une œuvre. » A terme, les clichés publics seront rassemblés pour une édition qui reprendra les images d’une quinzaine de performances. Pour ses interventions, l’artiste passe par un « contrat » de travail jouant avec les termes juridiques et qui renoue avec une certaine forme de mécénat. Convaincre les collectionneurs de participer à l’œuvre est parfois une mission difficile mais, une fois les réticences dépassées, ce sont les bons moments qui demeurent en mémoire. L’artiste garde ainsi des souvenirs avec tous ceux qui ont accepté de se livrer au jeu. Et notamment les plus hardis d’entre eux qui ont poussé jusqu’à l’improvisation : « C’est toujours agréable d’être surprise ! Partie avec la tenue que je lui avais proposée, une collectionneuse est revenue habillée d’une autre et a répondu à mon univers ; elle était magnifique ! Ce fut un beau cadeau. »