Au commencement était le Virus. Et la peinture, peu à peu contaminée, dévorée, phagocytée par des virus informatiques lui dévorant ses couleurs, se transforma sous nos yeux en monochrome… A travers cet « Art rétinal revisité : histoire de l’œil », 20 peintures assistées par robot (dont 10 sont accompagnées d’animations numériques), nous font vivre en direct l’intrusion de ferments de vie artificielle dans l’image. Mais Dieu merci, nous avons affaire à de gentils virus nullement rebelles, bien élevés et tout… Avant destruction l’artiste fixe le moment où – arrêt sur image – la peinture trouve son salut ! Rien d’aléatoire donc, un petit virus ne saurait abolir un hasard programmé. Et ce hasard offre nuances et coloris à l’envi sous un voile arachnéen.
Docteur en philosophie et pionnier dans le développement de l’art numérique, Joseph Nechvatal travaille entre New York et Paris avec les images électroniques de la technologie informatique depuis près d’un quart de siècle. Ses peintures, assistées par ordinateur, traduisent des images du corps humain en unités picturales que les virus informatiques s’empressent d’attaquer. Sans son intervention, le processus de propagation s’achèverait par la destruction complète de l’image initiale. La peinture sur toile contaminée par les nouvelles technologies digitales génère alors une interface entre le réel et le virtuel, ce que l’artiste appelle le « viractuel ». Mais ces animations virales ainsi associées aux toiles permettent à l’artiste de rappeler son opposition à Marcel Duchamp qui considérait que l’art qui fait appel à l’intelligence ne saurait flatter l’œil. « L’art intelligent n’a pas besoin d’être opposé au regard agréable. Une belle femme peut également être incroyablement intelligente » conclut-il.
Mort et sexualité
Référence au livre de Georges Bataille Histoire de l’œil, ouvrage sulfureux comme on se plaît parfois à dire, à la croisée du sacré et d’un érotisme exacerbé que fascine l’outrance du désir, ultime transgression avant d’atteindre cette expérience intérieure où dialoguent Eros et Thanatos, ce sous-titre de l’exposition est aussi un hommage à la fiction érotique de l’écrivain. « Pour Bataille, l’excès est la facette non hypocrite de l’homme, qu’il a interprété comme une dépense non productive empêtrée avec la joie de vivre. L’excès est, pour Bataille, moins un surplus qu’un passage efficace au-delà des limites établies ; une impulsion qui dépasse même son propre seuil. Une vision engagée va aussi dans ce sens, comme il y a toujours quelque chose de plus à voir. »
Si lèvres et rectum sont ici les images choisies pour l’exposition, l’artiste new-yorkais explique : « Les yeux sont braqués et centrés par des peintures-animations qui examinent les lèvres du rectum humain. J’ai constaté que l’œil était la valve la plus haute située sur l’échelle de la machine du désir humain – et le rectum la plus basse. Et je voulais qu’elles soient similaires… Toutes deux contrôlées par des sphincters influencés par la psyché. »
Prolongeant Art rétinal, une projection de Viral SymphOny de Joseph Nechvatal et Stéphane Sikora aura lieu, suivie d’une performance du compositeur américain Rhys Chatham qui interprétera Viral Concerto, en création simultanée en temps réel avec Joseph Nechvatal. Dans la longue lignée des empêcheurs de voir ou d’écouter en rond – Histoire de l’œil est apparu à travers des recherches théoriques sur le rôle du bruit dans la culture – l’artiste n’a pas fini d’emprunter les chemins dérobés de la connaissance et de l’expérimentation, et de s’interroger sur l’ambivalence sinon l’ambiguïté de l’art d’aujourd’hui.