Le peintre compte parmi les artistes mis en avant dans le Contre-Annuaire, publié fin décembre 2012 par 11-13 Editions. L’ouvrage souhaite être « le témoin des trames artistiques actuelles » dans les domaines de la peinture, du dessin, de la sculpture, du street art et de la photographie. Un premier volume riche en découvertes et très bien fait.Chaque matin, le peintre prend son café face à la mer. A l’atelier, aucune toile ne l’attend. Jamais il n’en sort s’en avoir terminé son ouvrage. Au loin, le phare du Four a les pieds dans l’eau. Sa mise noire et blanche en spirale évoque celle de ses aînés de la côte Est des Etats-Unis. Depuis quelques années déjà, Pascal Guérineau s’est installé sur la façade Atlantique de l’Hexagone. « J’avais besoin d’horizon, de voir loin. L’océan est merveilleux. » Là, à portée d’oreille du ressac, il peint, assemble, enseigne et explore. « Un artiste est toujours à la recherche de quelque chose qui n’a pas été fait », explique-t-il sans rien vouloir dire de son projet en cours. Son univers « toujours en expansion », il l’a construit au fil d’une histoire qui débute au Mans. « Enfant, je faisais de tout, tout le temps. Dès l’âge de cinq ans, je dessinais tout ce que je voulais. Mon père me donnait ses excédents de rouleaux à tapisserie, que je découpais et dont j’affichais le côté vierge au mur grâce à quatre trombones. A l’époque, je dessinais directement au feutre et, quand j’avais terminé, j’allais les vendre aux voisins. Ça me permettait d’acheter des bonbons ! »
Le petit Pascal est très actif, demande beaucoup, s’invente beaucoup. Il sait depuis toujours que la vie est un cadeau et qu’il doit en profiter. Né hydrocéphale, son espérance de vie n’excédait pas quelques mois selon les médecins. « Malgré leur volonté de me garder à l’hôpital, mes parents ont souhaité me ramener à la maison. Ma grand-mère, qui était croyante, faisait de nombreux kilomètres chaque jour à pied pour rejoindre, en pleine campagne, une petite chapelle en pierre qui abritait une statuette de sainte Thérèse. La tradition disait qu’il fallait en faire vingt fois le tour en priant pour être exaucé. » Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, le rituel s’est poursuivit jusqu’à la guérison de l’enfant. Pour le corps médical, il devint un cas d’étude, pour sa famille, un miraculé. « Cette histoire m’a été racontée très jeune. Je savais que je n’aurais pas dû vivre. Probablement que ça a influencé ma façon de penser et d’être. »Impossible de le faire marcher dans le rang
A l’école, tous les enseignants le trouvent très intelligent, mais déplorent son souhait de ne rien faire ! L’enfant lit beaucoup, aime l’histoire et la géographie, ne prenant cependant rien pour argent comptant. « Je contestais tout, m’insurgeais en permanence. Je trouvais les gens conformes à ce qu’on attendait d’eux et je ne voulais pas en être. » Impossible de le faire marcher dans le rang. La vie de ses instituteurs est infernale, la sienne se déroule essentiellement hors des bancs de classe où il s’ingénie à endosser le rôle de celui qui enseigne. « Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours appris aux autres à dessiner et à peindre. » Il raconte ainsi comment, après avoir réalisé, avec l’aide de son père, un Pinocchio, il a poussé tous ses copains à en faire autant. Pascal s’en donne à cœur joie, notamment l’été où il est le fournisseur officiel des trophées distribués lors de compétitions sportives imaginées par les enfants de son quartier. « Nous étions nombreux à ne pas partir en vacances et, pour s’occuper, nous avions décidé d’organiser “nos” Jeux olympiques. Dès le mois de mai, je modelais de la terre que je faisais sécher avant de la peindre. Il y avait toutes sortes d’épreuves et chaque participant recevait un prix. »
L’année de ses sept ans, peut-être dans l’espoir de lui trouver enfin un maître qui sache se faire respecter, et aussi de lui permettre d’acquérir de véritables bases en dessin et en peinture, l’enfant est présenté à un peintre, ami de la famille. Roger Olivier est un homme original. Dans sa grande maison bourgeoise, deux étages sont consacrés à ses différents ateliers. Touche-à-tout, il chante, compose des poèmes, entretient une armée de petits soldats, fait de la faïence, peint à l’huile, grave, dessine à l’encre de Chine… « Il était de petite taille et avait une bouille ronde ! Je l’ai tout de suite aimé. Il possédait une sacrée patte. C’était un homme exceptionnel dont le travail dans une mutuelle achevait de le rendre totalement atypique. J’allais chez lui tous les jeudis et samedis. Je le regardais peindre et il me racontait l’histoire de l’art. » Avec lui, l’enfant découvre aussi les musées. A l’atelier, il consigne tout dans des cahiers. Un jour, en arrivant il découvre une toile posé sur un chevalet et entend Olivier lui dire : « A ton tour ». Sans modèle, il réalise alors un perroquet plein de couleurs, un oiseau des îles avec des ergots bien acérés et une queue énorme qui tombe sur la branche. A la fin, il reçoit ce simple commentaire : « C’est bien, tu as compris ». Au lieu de se réjouir, l’élève lance : « J’aimerais être impressionniste ». « Impossible, on naît impressionniste, on ne le devient pas », rétorque le maître. « Ce fut une immense déception. J’ai mis beaucoup de temps avant de comprendre que ce jour-là il m’engageait à demeurer moi-même. » Retour à l’école.
« Je dessinais des portraits à Montmartre »
Si en primaire, le coin lui était souvent assigné, au collège, c’est la porte qui lui est montrée ! Un oncle professeur en chaudronnerie d’art sauve alors l’enfant terrible. « J’ai visité l’atelier où il enseignait. La forge. Bam ! Bam ! Les marteaux et ce métal chaud qui prenait forme, ça m’a plu. » Pendant deux ans, l’élève Guérineau n’a que des bonnes notes et obtient son CAP. La suite de l’histoire se poursuivra à Paris. Car, malgré ce cursus réussi, il n’est pas pour autant question de faire carrière dans le domaine étudié, pas question non plus de chercher un travail comme tout un chacun. Le rebelle poursuit son chemin.
A 17 ans, il décide de rejoindre la capitale, aidé par de la famille installée là-bas. « Je dessinais des portraits à Montmartre. Avec d’autres, nous tournions autour du Sacré-Cœur. Impossible d’accéder à place du Tertre, il ne fallait tout de même pas rêver ! Nous passions la journée debout à croquer et le soir nous dépensions toute notre recette. On était une bande de jeunes, garçons et filles, et c’était la vie de bohème ! » Après deux ans à Paris, le petit groupe décide de partir dessiner et peindre en Espagne. « C’était notre unique projet. Nous sommes passés par Barcelone et descendus jusqu’à Malaga. On rencontrait des artistes, visitait des ateliers. A l’époque, j’ai dessiné beaucoup de taureaux. Je vendais ce que je faisais au fur et à mesure pour subvenir à mes besoins. » Au bout de deux ans, Pascal Guérineau rentre en France et s’installe à Narbonne, avant de repartir pour Paris. Débute alors une vie plus conventionnelle d’artiste. « J’expose dans des expositions collectives puis une galerie, avenue Matignon, présente mon travail en solo. » A l’époque, il peint essentiellement des nus et des paysages.
« Dans ma peinture, il y a de la figuration, des traits expressifs et, toujours, une vibration. Quand je voyageais, je ne faisais que du dessin que je complétais à l’aquarelle par endroit. J’ai beaucoup utilisé l’huile, mais j’ai complètement abandonné. Aujourd’hui, je travaille à l’acrylique. Je me souviens être allé souvent sur la côte normande et avoir peint au couteau avec une palette réduite de bleus, de gris et de blanc. En peinture, on a l’image de ce qu’on veut dire, de ce qu’on ressent. C’est une vision. » Une vision qu’il aime faire naître chez les autres, et notamment chez ses élèves. « J’aime transmettre et j’apprends beaucoup. Les élèves me remercient mais c’est un partage. Si j’avais eu un prof plus moderne, peut-être serais-je un peu plus en avance aujourd’hui ! Avec Roger Olivier, j’ai peint glacis sur glacis, j’ai appris toutes les techniques. Et même si j’aurais aimé avoir 20 ans à l’époque de Van Gogh, je crois qu’il est nécessaire de connaître la peinture académique et de l’avoir pratiquée. Une anecdote à ce propos : alors que j’étais à Narbonne, j’ai rencontré des élèves des Beaux-Arts. Ils fanfaronnaient et prétendaient qu’en dehors de cette voie, on n’était rien. J’ai alors lancé un défi à l’un d’entre eux : réaliser un portrait, sans modèle. Il n’a jamais pu terminer le sien contrairement à moi. La vie est pleine de gens ! Il faut synthétiser tout ce que l’on voit, photographier mentalement l’expression des visages et pouvoir la rendre. Il doit y avoir quelque chose en soi qui permette cette restitution. Tout ce que tu as dans le ventre, tu dois le mettre sur la toile. Si ce n’est pas le cas, tu ne seras jamais un artiste. »L’abstraction, une intellectualisation de la pratique
Quand on évoque avec Pascal Guérineau son besoin de figuration, il réplique : « Pour moi l’abstraction est une évolution de la peinture, je ne pense pas qu’on puisse devenir abstrait du jour au lendemain. Plus un artiste avance dans le temps, plus sa palette se réduit, plus son trait disparaît et plus il va vers l’abstraction des choses. C’est une évolution et une intellectualisation de la pratique. Il faut des années de peinture pour y arriver. Un artiste de 20 ans qui fait de l’abstrait, j’ai du mal à y croire. J’aimerais savoir ce qu’il sait faire d’autre. »
Dans l’atelier, l’homme se bat avec sa toile. C’est très physique. Mais depuis quelques années, la peinture n’est plus la préoccupation exclusive de l’artiste. Des sculptures naissent également de ses mains. « A un moment, je sais que je vais avoir besoin de mettre en volume, de passer à autre chose. Je peux faire cinquante toiles avant d’entreprendre une pièce qui sera aussi lisse que ma peinture est hachée. C’est le point final d’une émotion. » Ainsi s’achève désormais chaque série. Son café à la main, face à la mer qu’il a choisi pour horizon, Pascal Guérineau est serein. « L’inspiration, c’est l’émotion de l’instant », conclut-il.