Kin-Wah Tsang – Judas et l’Internationale s’invitent chez LV

Originaire du Guangdong, province côtière du sud de la Chine, Kin-Wah Tsang est devenu hongkongais en 1982, à l’âge de 5 ans, lorsque ses parents sont venus s’établir dans la cité portuaire. Après de brillantes études artistiques, il obtient en 2002 une bourse qui lui permet de séjourner à Londres et d’approfondir ses connaissances. Ses supports d’expression sont le papier, le verre, le tissu, mais aussi les objets, les murs et les plafonds, qu’il habille au gré de ses installations à double lecture. Bien différents sont en effet sensations et messages, selon qu’ils sont perçus à distance ou à proximité de l’œuvre. Car Kin-Wah Tsang ne se contente pas de travailler l’harmonie des formes et des couleurs, son trait constitue un véritable langage ; des milliers de mots témoignent d’une réflexion engagée sur l’homme, de ses rapports avec la société et le monde qui l’entoure. Il est l’un des sept jeunes artistes chinois sélectionnés pour participer à l’exposition estivale d’art contemporain, parrainée par la Fondation Louis Vuitton pour la Création, au musée d’Art de Hong Kong. L’artiste y présente sa première installation utilisant la vidéo et mettant en scène la projection, sur la surface d’un plafond, de ses textes et arabesques si singuliers. Nous l’avions rencontré il y a un peu moins de deux ans. Kin-Wah poursuit ici le dialogue entamé et fait le point sur son parcours.

It would be better if you have never been born [Ce serait mieux si tu n’étais jamais venu au monde] est le titre de votre dernière œuvre présentée actuellement au musée d’Art de Hong Kong. Dans le même temps, vous exposez à la Maison Louis Vuitton de cette même ville une œuvre murale jouant avec le sigle de la marque. Ces deux événements font-ils partie du même projet ? Aviez-vous pour obligation d’utiliser le monogramme LV ?

Kin-Wah Tsang : Les deux expositions ont en commun d’être présentées au même moment mais constituent deux projets différents. Je n’avais aucunement l’obligation d’utiliser le monogramme LV. En fait, c’est moi qui ai décidé d’y faire référence. Cette œuvre devant être exposée dans leur boutique, il m’a semblé que c’était une bonne idée de me servir du sigle prestigieux pour exprimer à quel point les gens d’ici, à Hong Kong et en Chine, « vénèrent » la marque, et pour traduire leurs réflexions relatives à LV, l’argent, l’identité, le statut social, etc.

L’œuvre exposée actuellement au musée d’Art de Hong Kong est votre première installation vidéo. Avez-vous l’intention d’avoir davantage recours à ce média ?

Je pense que oui. C’est un média avec lequel j’ai rarement travaillé jusqu’ici, mais il me fascine. Je réalise des installations à partir de dessins, de motifs et de textes depuis plusieurs années et lorsque j’ai ressenti qu’elles avaient tendance à devenir quelque peu figées et silencieuses, j’ai entrepris d’ajouter du son, de la musique, et découvert que l’atmosphère ainsi créée venait enrichir l’œuvre et accentuer son caractère dramatique. J’ai donc conçu et testé plusieurs installations à base de textes impliquant son et musique. La vidéo me semble être un média tout à fait approprié pour rendre mon travail plus organique, expressif et dramatique, je pense donc l’utiliser davantage.

Vous jouez et travaillez avec les mots depuis des années. N’avez-vous jamais pensé à écrire un livre ?

Cela m’a traversé l’esprit, il y a longtemps, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Faire une compilation de mes textes ne m’intéresse pas. Le jour où j’aurai un sujet et que je saurai comment le mettre en mots, je me lancerai. C’est plutôt vers la musique que mes recherches aujourd’hui s’orientent. J’aimerais réaliser un CD avec les morceaux et les sons utilisés pour mes installations. Pour le moment, ce n’est encore qu’une ébauche.

Beaucoup de vos œuvres précédentes questionnaient les rapports entre les artistes et les galeries, l’art et le commerce. Comment vivez-vous vos relations avec le monde de l’art ?

Je ne suis pas très sociable, voire un peu timide. Pour être honnête, je préfèrerais ne me consacrer qu’à la création, développer mon travail artistique et en repousser toujours plus loin les limites, plutôt que d’être astreint à assister à des vernissages, développer mes contacts, m’occuper de la promotion… Mais je sais bien que cette vision est par trop idéaliste. Si je veux multiplier mes chances de travailler dans différents espaces et me donner les moyens d’élargir mon champ d’expérimentation, il faut que je continue à me plier à ces exercices de communication. L’essentiel étant de ne pas perdre de vue mon travail. Certains artistes se laissent déborder par ces obligations au détriment de leur œuvre. Cela me dérange.

Vous avez dit que It would be better if you have never been born était une œuvre faisant référence à Judas. Pourquoi lui<sp>?

C’est lié à mon passé de chrétien. Je pense que Judas est une sorte de personnage tragique, né pour être un traître et n’ayant absolument aucun contrôle sur sa destinée. Il n’avait d’autre choix que de « trahir » Jésus en vue d’accomplir la tâche qui lui était assignée. J’ai essayé de décrire la condition psychologique d’une personne en pleine confusion, lorsque toutes les règles, les croyances et les normes relatives à ce qui est juste ou pas s’écroulent. En travaillant sur cette installation, je me demandais ce que cela avait pu signifier pour Judas de décider de remplir ou non sa mission. Chacun d’entre nous est à un moment ou un autre confronté à cette sorte de dilemme. Pour ma part, un jour j’ai choisi de suivre la voie opposée à celle en laquelle je croyais et il en est résulté un grand gâchis. Cette expérience fut une bonne leçon et pour le moins a radicalement changé ma façon de penser. Mais je reste persuadé que la vie ne nous appartient pas, que nous ne sommes pas maître de notre existence.

Tsang Kin-Wah
Tsang Kin-Wah

Peut-on dire alors que vos récents travaux sont le reflet d’une réflexion sur le christianisme, la religion en général ou simplement sur la place de l’homme dans l’univers<sp>?

J’étais chrétien adolescent et, en fait, le christianisme a beaucoup d’influence sur ma façon de penser, de manière positive, mais essentiellement négative. Et la raison pour laquelle j’aime tant Nietzsche, c’est parce qu’il m’a donné à voir le monde de façon complètement différente. Cette forme de lutte entre ma foi passée et ma compréhension du philosophe du surhomme me fait souvent réfléchir à la nature de l’homme, à la valeur de la religion, à la moralité… Ma dernière œuvre dépasse une simple réflexion sur le christianisme et la religion, elle est un questionnement métaphysique, une interrogation sur la nature de l’être humain et la coexistence en lui du bien et du mal.

Vous vivez à Hong Kong depuis un moment. Habitez-vous toujours un petit village éloigné du brouhaha de la ville<sp>? N’avez-vous jamais pensé à aller vivre ailleurs en Chine ou dans le monde<sp>?

Je ne vis plus au même endroit qu’il y a deux ans mais toujours dans le même village. J’ai loué quelque chose de plus grand pour y travailler et habiter de nouveau avec mes parents. J’ai songé à déménager vers d’autres contrées, m’installer en un lieu où les gens s’intéressent davantage à l’art et à la culture et, comme j’expose beaucoup en Europe, j’ai même imaginé une ville européenne, Paris ou Berlin. Mais, en fait, la vie y est beaucoup plus chère qu’à Hong Kong. J’ai passé un an à Londres, mais je pense que ce n’est pas un endroit pour moi… Je ne sais d’ailleurs toujours pas ce qui est bon pour moi, et je vais sans doute rester ici encore quelques années !

Hong Kong a-t-elle beaucoup changé depuis 1997<sp>?

Hong Kong a changé de manière subtile depuis 1997. On prêche le patriotisme un peu partout, phénomène commun à bien d’autres pays. Ce patriotisme empêche parfois les gens de prendre en compte les problèmes propres à leur pays. Il semble aussi que la diversité des opinions s’amenuise et que la population n’accepte plus les idées et avis avancés par la minorité. Par contre, ce qui est bien, c’est que notre système judiciaire continue de fonctionner comme avant et a conservé son indépendance.

Etes-vous soumis à une quelconque censure en tant qu’artiste chinois, d’autant que vous avez recours à l’écriture et, en un sens, à la liberté d’expression<sp>?

Je ne pense pas qu’il s’agisse uniquement d’un problème chinois. Je ne me rends pas, ni n’expose souvent en Chine continentale, il ne serait donc pas très juste ni objectif de m’exprimer sur le sujet. Si je me fie à mon expérience, je n’ai jamais ressenti à Hong Kong de réelle censure en dehors du monde des affaires. Mais j’ai le sentiment qu’il porte un regard plutôt « conservateur » sur les mots que j’utilise. Mes commanditaires sont inquiets de l’image de leur marque et de la réaction de leurs clients, ils préfèrent donc éviter trop de provocation. De ce point de vue, il en va ici comme ailleurs…

Sur votre site Internet, une rubrique regroupe quelques-unes de vos pensées. Y figurent les paroles françaises de l’Internationale, pourquoi<sp>?

Cela se rapproche de mes réflexions sur le monde et la politique. Même si le texte a été écrit il y a plus d’un siècle, je continue de le trouver très inspirant, riche de sens et pouvant s’appliquer à n’importe quelle époque et dans n’importe quel lieu, en Chine ou en France, dans un pays dit « communiste » ou dit « capitaliste ».

A quel projet travaillez-vous actuellement ?

Mon prochain projet concerne la 10e Biennale de Lyon, qui ouvrira ses portes le 16 septembre prochain. Je travaille sur deux installations que y seront présentées. La première sera constituée de textes et de dessins et la seconde sera une installation vidéo, ma deuxième œuvre de ce genre après It would be better if you have never been born.

GALERIE

Contact
Louis Vuitton : A Passion for Creation jusqu’au 9 août Musée d’art de Hong Kong, 10, Salisbury Road – Tsim Sha Tsui – Kowloon, Hong Kong, Chine.
Tél. : +852 2721 0116 http://www.lcsd.gov.hk/.
@www.tsangkinwah.com
Crédits photos
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