A 15 ans, il détestait se salir les doigts et rêvait de dessins animés chez Walt Disney. Mais quelque génie malicieux échappé des studios et de la lampe d’Aladin s’est subrepticement chargé de lui révéler les secrètes lueurs irradiées au plus obscur de la pierre. Entré à l’Académie Charpentier, en 2e année de cours de modelage, Louis Thomas-d’Hoste s’attaque à un plâtre qui durcit trop vite. La lutte est inégale ; la chose résiste opiniâtrement. « Grâce à Dieu, je l’ai ratée ! » confie-t-il. Mais le combat n’aura pas été vain, il aura même viré à la révélation. Oublié le dessin, « du jour au lendemain, brutalement, je suis devenu sculpteur ». Son premier professeur reconnaîtra en lui un « pierreux ». Désormais, entre le monde minéral et le jeune artiste, une discrète connivence s’établit, un pacte peut-être. Recevant ce souffle muet qui sourd des entrailles du marbre ou de la pierre, une manière d’indicible l’appelle.
Insensiblement, l’artiste passera du figuratif animalier à l’abstrait. L’obscure clarté de ses marbres est l’entaille qui s’ouvre, au-delà de l’oxymore, à un monde intérieur ciselé au burin. Elle révèle les subtiles harmonies, les fastueux équilibres à défier l’espace-temps ; et les veines des marbres Noir de Cihigue, Vert Sala du Portugal, Rouge antique ou ce Bleu Turquin impérial qui chantent si bien, irriguent ces corps mis à nu, dépouillés de leurs scories, libérés de leur improbable gestation, transcendés. La froide et dure matière s’est faite chair, caresse de l’âme. L’Anneau du secret laisse filtrer une lumière venue du lointain cosmos, l’Oiseau solaire comme le Vaisseau fantôme nous entraînent vers les rivages d’une mythique Ithaque où n’aborde pas qui veut et La Cime des nombres semble nous rappeler que leur interprétation était la clé de voûte, l’essence de l’harmonie… La sensualité devient alors partie intégrante d’une cosmogonie qui se déploie dans l’épure ; la lumière donne moins à voir qu’à entendre ce chant du créé qui vibre au sein de formes en charge de nous rappeler instamment la dualité de notre monde et peut-être aussi que l’art, parfois, peut défier le verbe avec superbe. On songe à l’humilité inspirée d’un Michel-Ange : « J’ai vu un ange dans le marbre et j’ai seulement ciselé jusqu’à l’en libérer. »
Le minuscule atelier de Thomas-d’Hoste, caché au fond d’un jardin habité de sculptures, a tout du lieu retranché. L’espace est si mesuré que seul l’escabeau sur lequel repose le bloc informe consent à partager l’espace avec le maître des lieux. Nul chauffage, même au cœur de l’hiver. Le dépouillement, ici, n’a rien d’ostentatoire ; il est le reflet d’un homme de la lignée des bâtisseurs de cathédrales pour qui le sentiment du beau est indissociable d’un certain ordre intérieur ; qui patiemment a appris que ce qui élève passe par la rigueur, que le tribut à payer est souvent un combat jamais achevé pour retrouver l’harmonie, la paix intérieure. Dialogue ici-bas avec l’au-delà, l’œuvre ne livre qu’avec parcimonie son mystère ; elle enchante par la perfection de ses formes, mais sous le poli si soyeux du marbre quel combat tait son âpreté dont on ne perçoit symboliquement que la poussière qui jalonne le sol, cette poussière lumineuse d’étoiles échappées du ciseau pour que la métamorphose advienne.