La peinture émancipée de Vicenta Valenciano

Surface, volume, matière et lumière sont quelques-uns des mots clés de la démarche de Vicenta Valenciano. Engagée depuis une dizaine d’année dans une exploration singulière de la peinture et de sa physicalité, étroitement associée à une réflexion sur l’homme et l’évolution de la société, l’artiste n’a de cesse de jouer avec les limites, les frontières, évoluant dans un subtil entre-deux où s’entremêlent bi et tridimensionnalité. A l’occasion de l’exposition Transgression, qui réunit une sélection de ses travaux abstraits et figuratifs à la galerie Charron, dans son espace de la rue Alasseur à Paris, Vicenta Valenciano a accepté de se livrer à l’exercice du Jeu des mots.

Enfance

« J’habitais à Majorque. Je ne suis jamais partie en vacances en dehors de l’île et ça ne m’a jamais manqué. Mes étés étaient magiques et mes hivers aussi. Mon univers était contenu dans une île de 3 600 km2, protégé par la mer. En été, les touristes venaient partager nos plages, puis ils repartaient, traversant de nouveau la mer, accentuant notre sensation d’être “décollés” du reste du monde. En hiver, nous étions seuls et on regardait vers l’intérieur. Je faisais de la peinture comme tout enfant qui aime peindre, mais ce qui me séduisait le plus, c’était de créer. Je démantelais et transformais mes jouets, je coupais les cheveux de mes poupées. Activités qui menaient généralement plutôt à une destruction totale, par épuisement, qu’à une construction. »

Création

« Mon besoin de créer s’est toujours manifesté sous forme de pulsions. Elles président aussi au choix du matériel. J’opte souvent pour la peinture, liquide ou solide, comme langage. Ma créativité n’est jamais linéaire, même si le processus de construction de l’œuvre peut l’être ; spontanée ou pas, elle s’éveille très facilement. Ce côté pulsionnel est très présent dans mes créations, dévoilant un univers de possibilités – et d’impossibilités – offert par la matérialité de la peinture que j’explore inlassablement. »

Toiles signées Vicenta Valenciano.

Peinture

« Mes peintures “subissent” les qualités naturelles du matériel pictural, sorte de parasite qui a besoin d’un support pour exister, l’envahissant souvent de telle manière qu’il le fait sombrer dans l’oubli. Cependant, une fois sèches, mes peintures sont effectivement dépourvues de support et, paradoxalement, son absence ne fait qu’en renforcer l’évocation. Par le biais du pouring et du dripping, la peinture prend forme, devenant à la fois matière et matériel, dont j’explore les propriétés physiques telles que la flexibilité, la transparence et la relation à la lumière imaginées souvent avant même son décollage. »

Support

« Dans un premier temps, je l’ai mis à l’écart pour concrétiser le concept de liquid painting, soit de peinture sans support. Mais, j’ai pour projet de réintroduire le support dans mes œuvres pour explorer différemment sa relation avec la peinture. Ma réflexion sur le sujet me mène à le considérer comme un matériel supplémentaire. Cette décision de ré-associer le support à la peinture, dans un rapport qu’on pourrait définir comme plus symbiotique, fait référence au besoin de reconsidérer notre propre support, soit la biosphère, la planète, comme quelque chose non pas d’inerte, mais avec lequel on interagit, que l’on peut impacter. L’exaltante fragilité de l’œuvre s’imposerait comme la métaphore d’une humanité en danger d’extinction. »

Volume

« Dans mes œuvres, les volumes sont une conséquence du mouvement de la matière, parfois né lors sa conception, mais surtout lors du décollage et du recollage. De surfaces planes, les peintures deviennent ainsi des objets tridimensionnels au moment du décollage, car même les œuvres vouées à être d’un format en deux dimensions, comme les portraits figuratifs, acquièrent de la profondeur une fois décollées. Exposées suspendues dans des boîtes en plexiglas, elles dévoilent en effet, outre le côté “caché” d’un tableau traditionnel, une troisième dimension qui devient un véritable protagoniste de l’œuvre. Dans les pièces retravaillées sur un support, le mouvement propose des volumes et des formes sur lesquels viendra par la suite jouer la lumière, créant de nouveaux cheminements pour l’œil du regardeur, ponctués de vides et d’ombres. »

De gauche à droite, Sans titre, Vicenta Valenciano.

Lumière

« La lumière fait partie intégrante de mes œuvres. Elle est présente dès le moment de la conception. Elle traverse les pièces dont la couche de peinture est moins épaisse, dévoilant les traits du pinceau, créant des volumes, des ombres, faisant apparaître des lignes et des formes. Elle transforme radicalement les œuvres de la série Acrylique, où aucun pigment n’intervient, révélant et dessinant à elle seule, en fonction de son intensité, les lignes à son passage. »

Visage

« Un visage évoque un dialogue intérieur bien avant qu’il ne s’extériorise. Je cherche à comprendre cet échange et à le traduire grâce aux traits du pinceau en un nouveau dialogue entre la matière et la représentation, ainsi qu’entre celles-ci et le regardeur. Je veux créer une image et en fracturer la perception grâce à la matérialité de la liquid painting et à la lumière. »

Liberté

« La liberté est à la fois la première conséquence et la plus importante caractéristique de la liquid painting. A première vue, la peinture libérée de son support suggère un détachement violent, une origine plane et une émancipation vers le statut d’objet. Mais cette liberté offre aussi de nouvelles possibilités d’être et de créer. J’aime à imaginer la transformation de l’œuvre par le biais de la lumière comme une liberté de changer d’aspect continuellement après sa création, et tout spécialement prononcé dans ma série Acrylique. Je constate également, quand la peinture est mise à nu, certains caractères physiques du matériel qui échappent au contrôle du pinceau. Je découvre des lignes, des trous et des figures qui n’existaient pas avant le décollage depuis une surface. Dans le parcours autour de l’œuvre, ces éléments ne sont visibles que depuis des certains angles, selon l’incidence de la lumière, qui métamorphose le figuratif en abstrait. Cela transforme mon œuvre et mon travail, et cette nouvelle “liberté” est aussi une manière de me libérer moi-même. »

Toiles signées Vicenta Valenciano.

Lire aussi « Le corps de la peinture »

Contacts

Transgression, jusqu’au 31 mars à la galerie Charron, 9 rue Alasseur, 75015 Paris.
Le site de l’artiste : www.vicentavalenciano.com.

Crédits photos

Toutes les photos sont créditées Vicenta Valenciano

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