Les escales solidaires en archipel

Tandis qu’au Musée de l’homme à Paris, une exposition salutaire Migrations, une odyssée humaine, nous rappelle et nous éclaire sur les déplacements de populations fondateurs de notre humanité en perpétuelle évolution, depuis le 20 novembre jusqu’au 7 janvier 2025, une série d’événements culturels avec pour climax un grand rassemblement festif au théâtre du Châtelet, fédèrent autour des équipes bénévoles de SOS Méditerranée, les défenseurs du sauvetage en mer, partisans de la liberté de circulation des êtres, du droit à la dignité et à l’assistance à personne en danger. Le 3 décembre une vente aux enchères de cartes maritimes rares retravaillées par des artistes aura lieu (en accès libre sur inscription) à la fondation Lafayette Anticipations à Paris, tandis que le 5 décembre sera vernie à la librairie du Jour à Paris dans le 13ème arrondissement l’exposition des planches originales du dessinateur Hippolyte à l’origine de la BD, Le Murmure de la Mer

C’est qu’il faut compter 24 000 euros par jour pour maintenir opérationnels, l’Ocean Viking et son équipage, navigant au secours des enfants, des femmes et des hommes qui au péril de leur vie, tendent de rejoindre les rivages de terres moins hostiles que celles qu’ils ont perdues ou dû quitter. Depuis 2016, SOS Méditerranée* a secouru plus de 41 172 personnes – dont 9942 enfants – montées à bord du navire Aquarius puis désormais de l’Ocean Viking.

Son capitaine se tient face à nous au Théâtre du Châtelet, témoignant de façon poignante de l’état dans lequel sont trouvés les réfugiés susceptibles de sombrer au moment même du sauvetage, « préférant en finir par la noyage, plutôt que de tomber dans les filets puis les geôles des gardes de côtes libyens. »

Johanna de Tessieres, OCEAN VIKING, OV, ROTATION 033.2, SOS MEDITERRANEE

Depuis sa création en 2014, l’association SOS Méditerranée* a organisé plus de 400 événements culturels, entrainant dans son sillage de nombreux partenaires historiques engagés dans toutes les villes de France. C’est dire si son implication artistique au sein de la société civile est à l’image de son action humanitaire en mer dont la mission première est de sauver, protéger et témoigner ! Réunies autour de ses équipes bénévoles, plusieurs responsables de structures ont décidé de constituer un « archipel » pour ses nouvelles Escales solidaires, dont les fonds récoltés iront au bénéfice de l’association.

Le 20 novembre dernier, le coup d’envoi fut donné par une exposition photo en cours Save our souls à voir sur les berges de Seine en aval du Châtelet : des clichés pris par des photographes chevronnés grands reporters ou plasticiens auxquels l’Ocean viking réserve toujours quelques places à bord.

vue de l’exposition photographique « Save our » souls » sur les berges de la Seine ©orevo

 

Le titre de l’exposition fait écho au film documentaire de Jean-Baptiste Bonnet, Save our soulsprojeté à La Cinémathèque BPI du Centre Pompidou, le 28 novembre dernier. Pendant six semaines, le réalisateur-photographe a accompagné les sauveteurs et sauveteuses de l’Ocean Viking et ses rescapé.e.s  jusqu’à leur débarquement dans un lieu sûr : l’ensemble de celles et ceux qui souhaitaient partager leur histoire se sont placés devant sa caméra. Le film donne à voir un espace intemporel à l’extérieur des portes de la « forteresse Europe » : « Le huis-clos a cette force centrifuge, résume Jean-Baptiste Bonnet :  il permet de concentrer les questions à la fois humaines et politiques. Le microcosme de l’Ocean Viking est un espace paradoxalement utopique, un refuge pour notre humanité. Un lieu où, au cœur de la violence de leurs voyages, les rescapé.e.s peuvent commencer à raconter. Un espace où il nous faut trouver un langage commun pour nous comprendre », témoigne le réalisateur.

Plusieurs films documentaires mettent ainsi en lumière les récits épiques et singuliers de ces aventuriers désireux de prendre leur destin en main et de sauver leur peau.  Projeté au cinéma Melies à Montreuil le 25 novembre dernier, le documentaire de Muriel Cravatte se concentre sur des exilé.es qui fuient la Libye et plus particulièrement sur l’espace réservé aux femmes et aux enfants, à bord de l’Ocean Viking, le Women’s Shelter. « J’y ai tourné une grande partie du film : regarder une femme bercer son bébé dans cet endroit, c’est en soi une scène simple et universelle, et en même temps, une image vertigineuse, du fait du contexte, » nous rappelle la réalisatrice.

©Photo Hippolyte, SOS Méditerranée, enfant à bord  de l’Ocean Viking

Le prochain rendez-vous du 7e art se tiendra le 12 décembre au Pathé Alésia à Paris dans le 14e arrondissement. Moi capitaine, de Matteo Garrone emprunte les codes du grand film d’aventure et fut récemment récompensé d’un Lion d’argent à la Mostra de Venise pour sa réalisation : le film  met en scène le périple d’un adolescent de 16 ans parti du Sénégal avec son cousin et qui malgré lui se retrouve à la barre d’une embarcation de fortune. Cette histoire est celle de Fofana Amara : « La première fois que j’ai regardé le film, je suis resté cinq minutes sans arriver à parler.Je n’avais pas choisi de conduire le bateau, je ne savais même pas nager à ce moment-là, dit-il. On s’est retrouvé à 250 personnes, avec environ 15 enfants et 25 femmes, dont une enceinte. C’était dur, mais une fois que l’on a commencé, que l’on a pris le chemin, on savait qu’il n’y avait plus de solution : il fallait arriver vivants, raconte ce héros de l’histoire contemporaine – vous connaissez le décompte des vivants et des morts ? Avec le temps, on s’habitue aux chiffres. Derrière ces chiffres, il y a des personnes, qui ont des désirs, des familles, qui poursuivent des rêves. »

Les chiffres mis à jour le 8 novembre 2024 recensent 1737 personnes mises hors de danger de mort au cours de 34 sauvetages réalisés cette année mais, combien n’ont pu être sauvées ? Les entraves aux missions de sauvetages se multiplient alors même que la mortalité a explosé en 2023 avec au moins 3 155 victimes sans compter les disparus. Au moment où nous écrivons ces lignes l’Ocean Viking navigue avec 48 personnes réfugiées à bord dont 43 adolescents, « pourtant, au-delà du soulagement, c’est l’indignation qui domine, précise l’association, car les autorités italiennes ont désigné le port de Ravenne, à 1 575 kilomètres au Nord-Est du pays, pour débarquer les rescapés. Cela représente quatre jours de navigation et autant pour retourner sur la zone d’opérations. » Cette pratique d’assignation de ports éloignés a été introduite par le « Décret Piantedosi » en janvier 2023.

© Tess Barthes / SOS MEDITERRANEE

Cette actualité dramatique  nous rappelle la tragédie de l’Aquarius, en juin 2018 que la dramaturge Lucie Nicolas a mise en scène : ainsi s’est joué à la MC93 de Bobigny (du 15 au 22 novembre) « Dernier voyage Aquarius » une pièce de théâtre qui relate les dix jours d’errance de l’Aquarius avec 629 rescapé.e.s à bord, dans l’attente d’une décision politique et d’un port où débarquer. Pour cette pièce, l’autrice et metteuse en scène est partie à la rencontre de l’équipage et à la recherche des personnes sauvé.e.s par l’Aquarius afin de composer à partir de leurs témoignages un texte polyphonique d’une acuité déchirante, révélant les symptômes d’une société déboussolée dont les enfants spectateurs ne trouvent pas de réponse à la question : pourquoi empêcher de sauver des vies ? Il ne s’agit pas d’idéologie politique, mais d’un droit international inaliénable.

©dessin Hippolyte

« Là où certains adultes vont débattre jusqu’à l’absurde s’il vaut mieux sauver des gens ou protéger des frontières, les enfants n’y voient aucune hésitation possible », explique Anaïs Allais Benbouali, la metteuse en scène d’Esquif (à fleur d’eau) une autre pièce de théâtre, présentée aux jeunes publics de janvier à mars qui se jouera au théâtre de la colline du 4 au 22 décembre prochain. Anaïs Allais Benbouali tisse ici un conte moderne sur les exils contraints espérant redonner humanité autant qu’une ligne d’horizon, à une jeunesse porteuse de changement et d’espoir : « c’est par le récit de leurs histoires que nous pourrons peut-être sortir d’un profond sommeil collectif », dit-elle.

©Migrations, une odyssée humaine :  Dispositifs audiovisuels et sonores, mêlant interviews, images réelles, films en motion design et data-visualisation ou encore une fresque immersive produite par Escalenta et Nova Pista.DR

Parallèlement, au Musée de l’Homme, depuis le 27 novembre et jusqu’au 8 juin 2025 l’exposition Migrations, une odyssée humaine partenaire de l’association SOS Méditerranée nous invite à réfléchir sur ce qu’est la migration à travers quinze dispositifs produits par Escalenta et Nova Pista – des migrations préhistoriques d’Homo sapiens aux discours de haine, en passant par les récits de réfugiés aux parcours singuliers et pluriels,

Trait d’union de ces Escales Solidaires, le Théâtre du Châtelet pour ponton,  le lundi 9 décembre, nous pourrons embarquer avec un équipage d’humoristes et d’artistes engagé.e.s, pour une soirée festive, animée par Charline Vanhoenacker et Waly Dia, avec les musicien.nes Ballaké Sissoko, Zaho de Sagazan, Sandra Nkaké trio (ELLES), Raphaële Lannadère et Thomas de Pourquery, en présence de la comédienne Anna Mouglalis et du dessinateur Hippolyte. « Cette soirée est une formidable occasion de dresser le rire, la musique et le dessin comme un bouclier contre l’indifférence », souligne Sabine Grenard , responsable de l’événementiel SOS Méditerranée France, et programmatrice des Escales Solidaires.

©Affiche du festival par Hippolyte

Chers lecteurs et lectrices vous aussi vous êtes appelé.es à monter à bord de l’Ocean Viking, « pour faire résonner les valeurs qui nous poussent à agir contre l’individualisme, le repli sur soi et la haine de l’autre, pour la solidarité, la fraternité et le droit à la vie » qui sont les mots d’ordre de la manifestation mais aussi  l’art et de la culture  qu’Artshebdomedias défend depuis 15 ans !

Mais pour l’heure, rendez-vous ce soir mardi 3 décembre à la Fondation Lafayette Anticipations pour l’opération Un Trésor à la Carte, une vente aux enchères qui pourra également être suivie en  ligne et en direct sur Drouot Digital : Un Trésor à la carte – Accueil – Un Trésor à la Carte,  organisée par l’association Watever-SEAtizens. Il s’agit explique son président Jérémy Bertaud, d’offrir une seconde vie à des cartes marines en les confiant à des artistes issus de nombreuses disciplines, pour qu’ils ou elles y mettent leur griffe voire beaucoup plus ! N’oubliez pas de vous inscrire ici, il va y avoir du beau monde ! La première édition de 2019 avait permis de reverser près de 50 000€ à SOS MEDITERRANEE et à la SNSM, pour cette nouvelle édition, 100 % des bénéfices seront de nouveau reversés à des acteurs du sauvetage en mer, dont SOS MEDITERRANEE.  Si vous désirez voir les œuvres avant de faire monter les enchères, c’est par ici !

 

© Un Trésor à la Carte : Jean Charles Castelbajac et Laurent Kariv
© Un Trésor à la Carte : Theo Mercier et Anne-Sophie Mathieu

Vous n’êtes pas disponible qu’à cela ne tienne, les occasions de monter à bord, d’émbrasser tous les arts et de rejoindre les membres de SOS MEDITERRANEE sont nombreuses : jeudi 5 décembre à 18h, se tiendra en présence de l’auteur Hippolyte, le vernissage à la librairie du Jour, de l’exposition Murmure de la Mer, qui présente depuis le 2 décembre déjà, les planches originales, de la Bande Dessinée éponyme, parue en avril 2024 aux éditions Les Arènes. Auteur, photographe et illustrateur Hippolyte y fait entendre à l’issue d’un séjour imersif à bord de l’Ocean Viking, « Le murmure, de ces gens qui traversent la Méditerranée, dit-il, murmure qu’on essaie de ne pas entendre, mais qui est toujours là. Un murmure d’une beauté infinie, qui est fait d’espoir… C’est aussi le murmure des sauveteurs, des gens qui sont à bord, des gens qui sont à terre et qui se battent pour nous rendre un peu de notre dignité, et redonner un peu d’humanité à ce monde. » Ames sœurs, l’Ocean Viking a besoin de porte-voix !

Planche de la BD le murmure de la mer ©Hippolyte

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*Note : SOS Méditerranée est une association humanitaire européenne basée en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse et constituée de citoyennes et citoyens mobilisés pour la recherche et le sauvetage des personnes en détresse en mer. Elle reçut le Prix Unesco Houphouët-Boigny 2017 pour la Recherche de la Paix et remporta le prestigieux prix de la Fédération internationale du sauvetage en mer en 2022 International Maritime Rescue Federation, IMFR) et, en 2023, the Right Livelihood Award, considéré comme le « prix Nobel de la paix alternatif ». Depuis 2014, plus de 30 390 hommes, femmes et enfants recensés (sans compter les autres) ont perdu la vie en Méditerranée en tentant la traversée sur des embarcations de fortune. Il y a 10 ans, l’opération de la marine italienne Mare Nostrum, qui avait permis de secourir plus de 150 000 personnes en détresse en Méditerranée centrale en un an, prenait fin, privant ainsi la route migratoire la plus mortelle au monde de tout moyen de sauvetage. Depuis, des milliers d’anonymes, bénévoles, donateurs ou donatrices, ainsi que des personnalités publiques, partageant la même indignation face à la tragédie en Méditerranée se sont engagé.e.s au côté de l’ONG.

Le silence de la mer par l’artiste Nicolas Rubinstein – carte offerte par Armel Tripon

Infos pratiques :

Save our souls, jusqu’au 7 janvier, berges de la Seine à Paris. Accès libre – visites guidées tous les samedis à 15h et 16h. Exposition photographique créée en partenariat avec la Ville de Paris, produite par de SOS Méditerranée avec les photographies de : Alexia Arrizabalaga, Alisha Vaya, Annalisa Ausilio, Ania Gruca, Anthony Jean, Camille Martin Juan, Camille Toulmé, Charles Thiefaine, Claire Juchat, Flavio Gasperini, Guillaume Bernhard, Guillaume Madec, Hadrien Bels, Hippolyte, Jérémie Lusseau, Johanna De Tessieres, Julia Schaefermeyer, Kevin Mc Elvaney, Laurence Bondard, Laurence Hayette, Laurin Schmid, Leonard Muller, Luciano Gallo, Marion Gronier, Mehdi Hemart, Nissim Gasteli, Patrick Bar, Stefano Belacchi, Tara Lambourne, Tess Barthes, Virginie de Galzain, Yannick Taranco.

Migrations, une odyssée humaine, exposition du 27 novembre  au 8 juin 2025. Musée de l’Homme, Paris 16e. Tarifs : de 12€ à 15€

Le Murmure de la Mer, une exposition des planches originales de la BD reportage d’Hippolyte du 2 au 22 décembre 2024. Librairie du Jour Paris 13ème. Accès libre du mercredi au samedi, de 11h à 19h. Vernissage le 5 décembre.

Un Trésor à la Carte, vente aux enchères animée par la Maison de vente Million, avec, les contributions des navigateur.rice.s :
 Isabelle Autissier, Yannick Bestaven, Charlie Dalin, Kito de Pavant, Roland Jourdain, Titouan Lamazou, Jean Le Cam, Armel Le Cleac’h, Philippe Poupon….

Et parmi des artistes : Edmond Baudoin, Jean-Charles de Castelbajac, Bruno Catalano, Hervé Di Rosa, Jef Aerosol, Christian Lacroix, Jérôme Mesnager, Daniel Pennac, Claude Ponti, Speedy Graphito, Nicolas Rubinstien …

©Un Trésor à la Carte : Quentin-Spohn et Anne-Sophie Mathieu

Le 3 décembre à 19h00 à Lafayette Anticipations, rue saint croix de la bretonnerie, Paris 4e. Accès libre sur inscription. La vente pourra être suivie en direct sur Drouot Digital : Un Trésor à la carte – Accueil – Un Trésor à la Carte

Escale Solidaire – Bienvenue à bord avec SOS MEDITERRANEE ! Avec Charline Vanhoenacker, Zaho de Sagazan, Waly Dia, Ballaké Sissoko Sandra Nkaké trio (ELLES), Raphaële Lannadère, Thomas de Pourquery, Anna Mouglalis  et le dessinateur Hippolyte. Spectacle musical, humour, témoignages. Lundi 9 décembre à 20h. Tarifs : de 5€ à 55€

ESQUIF (à fleur d’eau) : pièce de théâtre d’Anaïs Allais Benbouali à La Colline théâtre national, Paris 75020. Spectacle tout public dès 8 ans – Du 4 au 22 décembre, avec la présence des bénévoles de l’antenne parisienne de SOS MEDITERRANEE qui tiendront un stand d’information lors des représentations les 4, 6, 13, 14, 15, 20, 21 et 22 décembre et un débat à le 11 à 20h.

Moi Capitaine, un film de Matteo Garrone le jeudi 12 décembre à 20h15 au Cinéma Pathé Alésia Paris 14e.

Visuel d’ouverture > Photographie  © Jérémie Lusseau-SOS Méditerranée