Conversation avec Hervé Fischer

Avec cette nouvelle conversation, Norbert Hillaire poursuit ses entretiens avec des artistes et intellectuels du monde de l’art, discussions qui proposent de décoller le nez des œuvres pour mieux les écouter. Après des échanges avec le peintre Christian Bonnefoi et le philosophe Pierre Caye, le voici face à l’artiste et philosophe Hervé Fischer. Pour ArtsHebdoMédias, les protagonistes de cette conversation abordent le passionnant sujet du rôle de l’art et des artistes à l’heure où la planète étouffe, où la guerre fait de nouveau rage en Europe et où toutes les boussoles semblent déréglées.

Emmanuel Levinas, grand philosophe de l’altérité opposait deux figures de l’universel : l’universel par englobement, auquel il assimilait le christianisme, et l’universel par rayonnement auquel il assimilait le judaïsme. L’universel par rayonnement ne prétend rien imposer, ni sa vérité, ni ses modèles, sinon une certaine éthique de la relation à l’autre, et donc une éthique de la différence : l’étude juive est le lieu même de cette ouverture constante du monde à travers l’étude de la Torah dont le sens se réinvente à travers les âges, dans la réappropriation toujours différente et nouvelle de ce même texte que font les commentateurs. Et l’art, c’est, dans le même sens, cette altérité même que résume formidablement la formule de Rimbaud : « Je est un autre ». Ce que j’ai depuis très longtemps aimé chez Hervé Fischer, c’est ce sens de l’écoute, de l’attention aux autres – dans les entreprises, les projets, les œuvres qu’il conduit et les idées qu’il défend, depuis des décennies (et en particulier avec cet art pourtant disruptif qu’est l’art sociologique). Cette position l’a toujours tenu à l’écart du modèle de la table rase, qui fut le propre des avant-gardes et qu’un certain art numérique a cru pouvoir reconduire à ses débuts.

Pourtant, il faut se rendre à l’évidence : si le numérique ouvre de formidables perspectives à la réinvention de l’art, les technologies digitales ne peuvent être dissociées de l’économie avec lesquelles elles font corps : car l’économie est une science acosmique, qui repose sur l’effacement des distances et des délais, de l’espace et du temps, ce que lui offrent précisément les technologies numériques : la possibilité de s’affranchir de l’espace et du temps au profit d’un ordre mondial de l’existence globalisée – et singulièrement dans le domaine des industries culturelles, où l’on retrouve cette prétention à universel, mais par englobement, que j’évoquais à l’instant.

Et c’est pourquoi, dans cet échange, je défends la différence de l’œuvre. J’ai toujours préféré les artistes qui se réinventent (au sens où chacune de leurs œuvres est différente, et non codifiée dans un langage immédiatement reconnaissable, une signature) à ceux qui opèrent sur le même modèle que le marketing et la publicité, qui promeuvent des images standard de la culture qu’ils répètent sur une scène mondiale (des Marilyn de Warhol au Balloon Dog de Jeff Koons), mais l’art postal ne s’inscrit pas dans cette dernière catégorie, car s’il se réapproprie les codes ou l’iconographie mondialisée de la Poste, c’est pour les détourner, les réinventer. L’œuvre, à mon sens, est plutôt candidate à l’universel par le rayonnement qu’elle produit au-delà de sa sphère d’influence et par l’écart qu’elle creuse au sein de sa propre culture, dès lors que l’artiste, loin de tout égotisme, se mesure à sa propre altérité.

Parce que nous vivons dans un monde globalisé, livré à l’instantanéisme des marchés financiers et à l’économie digitalisée de la destruction créatrice, je partage les engagements d’Hervé Fischer en faveur d’une éthique de la responsabilité des artistes et je souscris aux actions, à la fois globales et urgentes, qu’il propose et qu’appelle l’effondrement actuel de l’art et de la culture dans le marché mondial : c’est tout le sens de son manifeste, que cette conversation est aussi une invitation à signer.

Norbert Hillaire (à gauche) et Hervé Fischer. ©Innovaxiom

Norbert Hillaire. – Commençons par la fin, si vous le voulez bien. L’une de vos pièces récentes représente un QR code, et ce titre en forme de question : L’art est-il devenu invisible ? En pensant à ce titre (la question des titres est devenue si décisive dans l’art moderne, on pense au ceci n’est pas une pipe, qu’elle a pu se renverser parfois en son absence, le « sans-titre », – un peu comme la non-œuvre, l’œuvre sur rien, l’œuvre désœuvrée des grands écrivains de la modernité littéraire était venue dans l’après-coup des illusions et désillusions quant au pouvoir de la littérature à éclairer le monde, sinon à le changer – de Hugo jusqu’aux écritures minimalistes, ou les écritures du silence venues après-guerre. En réfléchissant à votre titre, je pensais à cette réponse d’Yves Michaud : Que reste-t-il de l’Art, maintenant que le beau est partout ? Rien. « Il est mort », répond Yves Michaud, dans une question que lui adresse un journaliste de Philosophie Magazine, à propos de son dernier livre : L’Art, c’est bien fini (NRF Gallimard, essais). Conservé comme un placement financier dans des « zones esthétiques protégées », les ZEP que sont les collections et les musées.

Hervé Fischer. – Cette pièce L’art est-il devenu invisible ? avec un code-barres QR a beaucoup de sens pour moi. J’y dénonce au moins deux tendances marquantes de l’histoire de l’art actuelle. La première, en effet, reprend à partir de Fluxus cette idée que l’art devrait se fondre dans la vie et la réalité. L’idée était pieuse et utopique. La réalité devrait être esthétisée, admirée comme une magnifique œuvre d’art en soi et célébrée par les artistes. Yves Michaud l’a clairement critiquée, mais sans en montrer suffisamment, selon moi, l’erreur. Je suis un grand admirateur de la nature, qui est mon Église, mon vitrail, ma dévotion, d’autant plus qu’elle est actuellement dévastée par notre activité humaine que j’appelle anthroposcènique. Je suis un militant écologique alarmé.

Mais la nature n’est pas l’art, qui, au contraire de l’état de nature, est un artifice, pas même une copie, mais une interprétation imaginaire libre et distancée. L’art relève de la symbolique, pas de la nature. Et il doit garder cette distance, celle d’un langage, pour regarder, questionner, critiquer ou célébrer la réalité. Si non, à force de s’identifier à la nature, il s’y fond, y disparaît et perd tout pouvoir de conscience humaine. Il devient invisible. C’est sa disparition : il devient invisible comme l’air qu’on respire, comme le souligne Yves Michaud.

Mon deuxième point avec cette peinture, c’est que le marché spéculatif de l’art ; que j’ai appelé dans un livre récent le Market Art, en transformant l’art en produit marchand spéculatif manipulé par les grands collectionneurs financiers, devient de cette façon aussi, invisible (caché dans les coffres forts des ports francs, parfois pour des générations).

Ou pire encore, en exploitant médiocrement les références aux grands artistes pour attirer les collectionneurs nouveau riches incultes, il invisibilise les questions contemporaines et les grands drames douloureux, tout en repoussant dans les marges invisibles les démarches artistiques les plus significatives et importantes de notre époque si difficile.

Entre-deux

N. H. – Cette condition douloureuse de l’artiste que vous évoquez me rappelle une idée de Barthes. Dans une lettre adressée à Antonioni, Barthes évoque la difficile condition de l’artiste moderne, qu’il qualifie de fragile. Je trouve qu’il n’en va pas différemment, à certains égards, de l’artiste contemporain, qui ne se reconnait dans cette appartenance qu’au prix d’un retrait, d’un balancement entre l’appartenance à ce monde de l’art tel qu’il va et une prise de distance avec cette formule : « l’art contemporain ».

H. F. – Oui, Barthes était un intellectuel hypersensible et démystificateur. Il a analysé le degré zéro de l’écriture, la textualité, le grain fin de l’œuvre d’art, et il aurait pu élargir sa réflexion au degré zéro de l’art, tout aussi tristement envahissant dans d’innombrables galeries d’art commerciales. Mais surtout, il a insisté sur la fragilité de toute chose. Cette fragilité est pour moi devenue, à l’encontre de l’arrogance triomphante de l’anthroposcène, de la puissance revendiquée de l’Intelligence Artificielle, de l’utopie machiniste de l’« homme augmenté » et du posthumanisme, un trait particulièrement sensible de notre nouvelle condition planétaire. Fragilité de l’homme, de la nature, de notre planète, de l’éthique, de l’écologie, de la démocratie, aujourd’hui aussi fragile et menacée que la nature. Ce constat de fragilité appelle à l’engagement pour l’éthique et l’écologie planétaires, qui vont de pair. Même combat.

Il n’y a pas de progrès en art, 2018. ©Hervé Fischer

N. H. – « La fragilité, écrit encore Barthes, est ici celle d’un doute existentiel qui saisit l’artiste au fur et à mesure qu’il avance dans sa vie et dans son œuvre ; ce doute est difficile, douloureux même, parce que l’artiste ne sait jamais si ce qu’il veut dire est un témoignage véridique sur le monde tel qu’il a changé, ou le simple reflet égotiste de sa nostalgie ou de son désir : voyageur einsteinien, il ne sait jamais si c’est le train ou l’espace-temps qui bouge, s’il est témoin ou homme de désir. »

H. F. – Je ne suis pas de la même génération que Barthes. Je ne suis pas un esthète un peu décadent comme Barthes. Je ne me pose pas de question subtile sur mes états d’âme, sur ma propre fragilité métaphysique, mes angoisses existentielles. Je sais clairement ce que je dénonce, ce que je crois être le nouveau récit hyperhumaniste qui s’impose. Je ne remplis pas mes livres et mes œuvres de l’esthétisation de mes doutes. Je suis un artiviste de la pédagogie et de la clameur, de l’engagement pour changer le monde en changeant nos mythes et nos gouvernes. Et il y a urgence. Je suis philosophe et artiste de l’urgence. Le monde va clairement trop mal pour se questionner longuement avant d’entreprendre les gestes de survie. Contrairement à Barthes, j’attache beaucoup plus d’importance à l’éthique qu’à l’esthétique. Lui était de la génération postmoderne qui ne croyait plus à aucun récit, ni à l’éthique, et s’amusait esthétiquement. Je crois au contraire qu’il faut écrire un nouveau récit éthique et écologique salvateur que nous puissions partager. Je crois qu’il n’y a pas de progrès en art – en cela Barthes serait certainement d’accord – mais que l’art peut changer le monde.

La réparation dans l’art, Norbert Hillaire, aux Nouvelles éditions Scala, 2019.

N. H. – Il y a en ce sens une dimension sotériologique dans votre travail et votre engagement. Un appel à la vie, à lutter contre l’entropie généralisée que vous décrivez, comme si notre monde (y compris le monde de l’art), avait atteint un seuil, une limite, mais que le récit qui permettrait de les franchir n’avait pas encore trouvé sa langue.  C’est pourquoi cet appel sonne un peu comme la formule de Beuys : « La mort me tient en éveil ». En somme, nous savons que nous sommes dans cette époque, mais nous nous savons aussi déjà en dehors d’elle, d’un savoir sans horizon d’attente, sans fenêtre ouverte sur le monde et vers l’ailleurs. Notre condition, de ce point de vue, pourrait être décrite comme parergonomique (c’est ainsi que je me suis amusé à la décrire dans mon livre sur la réparation), ce mot qui désigne le cadre du tableau, mais dans le sens presque littéral que l’on peut lui donner : au sens où nous serions nous-mêmes désormais sur le cadre, comme on est sur le fil du rasoir.

Car le parergon, c’est justement cela, s’il est vrai que le cadre ne fait pas partie de l’œuvre elle-même, mais qu’il ne fait pas partie non plus du monde extérieur, comme l’a relevé Jacques Derrida, dans son texte sur le parergon. Il est entre les deux et il se détache des deux. La parergonomie serait alors la conscience douloureuse qu’il faut habiter ce monde entre-deux, et la manifestation, souvent exprimée avec un humour assez désespéré, dans certaines pièces d’art ou objets du design, de ce « détachement » de l’œuvre d’avec elle-même comme d’avec son dehors. Cet entre-deux, c’est un autre nom possible du contemporain (qui conduit d’ailleurs de nombreux artistes majeurs, mais estampillés contemporains contre leur gré, à vouloir s’affranchir de cette appartenance qui entrave leur liberté).

H. F. – Bien sûr, je pense le contraire. Le temps n’est plus du piétinement hésitant dans l’entre-deux de la conscience. Dans ma démarche d’art sociologique, je suis passé, au vu des scandales du monde immonde dans lequel nous vivons, dont il nous faudrait nous accommoder, d’une esthétique interrogative initiale (dans les années 1970 après Mai-68) de commentaires sur l’art, à une posture éthique engagée. Ma démarche n’est pas partisane, mais elle est demeurée depuis le début, socio-pédagogique. Et poursuivant mon analyse sociologique des années 1970 sur les liens entre structures et idéologies de l’art et de la société, à une analyse sociologique des imaginaires collectifs, que j’appelle la mythanalyse, je fonce, loin des entre-deux dans leur démystification systématique, avec une seule obsession : leur valeur éthique. C’est pourquoi le postulat de la mythanalyse que je fonde déclare, parodiant Hegel, le maître de la Raison dialectique, que Tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais j’ajoute que pour autant nous gardons ou devons construire un gouvernail éthique, car Il ne faut pas se tromper de fabulation et éviter les hallucinations.

N. H. – Programme très ambitieux et salutaire ! Votre projet de mythanalyse éveille en moi le souvenir d’une phrase de Bruno Pinchard, poète, philosophe et ami, qui écrivait récemment : « À chaque fois, l’esprit du monde cherche son moment et sa forme, mais si la puissance mythologique vient à manquer, c’est à l’histoire d’écrire la page sanglante que le poète n’a pas su arracher à ses entrailles. » Et pourtant, malgré cette situation dont je comprends très bien qu’elle vous ait fait basculer d’une esthétique interrogative à la recherche de ce gouvernail éthique que vous nommez mythanalyse, il y a (encore) des œuvres qui, à travers mille difficultés, continuent, cherchent et parfois, habitées secrètement par les puissances du mythe, rencontrent les formes de leur temps et réinventent l’énigme de l’œuvre d’art ! L’art, cette vieille chose, qui n’en finit pas de mourir et de renaître ! Comme on dirait de la terre épuisée : « E pure, si muove ! ».

Cela fait longtemps, à ce sujet, que je m’interroge sur cet étrange objet qui nous obsède et pourtant nous échappe : la modernité – cet objet qui se déplace aussi vite dans notre esprit que les outils conceptuels que nous forgeons pour tenter de le saisir. La modernité, c’est comme le fleuve d’Héraclite : on ne baigne jamais deux fois dans le même mot. C’est pourquoi je me vis même encore aujourd’hui, comme un moderne plus encore que comme un contemporain, mais dans un sens très différent de celui que nous associons aux avant-gardes : à mille lieues des postures de ces éternels prophètes du nouveau – éternels vieux militants toujours prompts à faire du passé table rase.

H. F. – Vous avez raison. Moi aussi, je me pense comme un moderne, pas comme un postmoderne, ou un contemporain (ce qui n’est qu’un constat temporel vide de sens). Un moderne, c’est-à-dire, quelqu’un qui croit encore aux grands mythes de la Révolution de 1789 : la Liberté, la Raison, le Progrès, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce n’est pas parce que nous avons trahi ces idéaux par des violences et des guerres terribles que nous ne pouvons plus y croire. Bien au contraire, il est nécessaire d’y croire plus que jamais. Et il faut en renouveler et actualiser l’expression mythique. C’est pour cela que je prêche pour l’hyperhumanisme, un technohumanisme en résonance avec l’émergence de l’âge du numérique. Hyper pour plus d’humanisme grâce aux hyperliens numériques qui nous permettent une information immédiate sur tout ce qui se passe de bien et de mal à l’échelle planétaire, en temps réel. Nous développons ainsi une conscience augmentée en temps réel (bien plus importante pour notre avenir que la réalité augmentée), des réactions d’indignation, de dénonciation, de solidarité, en lien avec les exigences de notre éthique planétaire.

Conscience augmentée, 2019. ©Hervé Fischer

N. H. – Hans Belting déclare que l’histoire et la théorie de l’art sont toujours en retard sur l’art lui-même, et je me suis souvenu récemment de cette formule à propos d’Edmond Couchot, dans un texte publié ici même au moment de sa disparition, qui m’apparait lui aussi comme un moderne malgré son engagement résolu dans l’art de l’époque digitale.  Cela l’empêcha de réifier ses convictions dans une vision congelée des choses de l’art, et lui permit de faire une place constante aux œuvres, contre une certaine arrogance de la science dont il était pourtant un passionné. Il avait certaines qualités devenues rares aujourd’hui : la bienveillance, l’ouverture d’esprit, l’attention aux autres, le goût de la liberté, et le sens de la mesure dans la démesure même de cette croissance illimitée des technologies à laquelle nous assistons, ainsi qu’il l’écrit à la fin de sa biographie : « Ce n’est pas pour autant que la technologie impose fatalement à l’art ce qu’il doit être. Quand cela se produit, les œuvres ne sont que soumission, effet de mode. Mais quand la technologie est repensée, déviée de sa finalité instrumentale et pragmatique, elle devient alors l’occasion d’une expérience esthétique, un moyen d’échange intersubjectif d’émotions, de sentiments, d’idées, de connaissances ; elle prend sens. » Je trouve qu’il y a chez vous aussi une inquiétude, une vigilance ouverte et enjouée, de même nature.

H. F. – Les penseurs postmodernes ont désenchanté le monde à l’acide sulfurique. C’était lucide et légitime après les horreurs humaines d’un XXe siècle qui se prétendait humaniste. Mais je crois qu’il faut aimer la vie, le monde, l’humanité et réenchanter le monde avec de nouvelles croyances, de nouveaux mythes. De toute façon, il nous est impossible de ne croire à rien. Nous imaginons le monde qui nous demeure un mystère. Nous le poétisons (Hölderlin). Alors autant choisir ses croyances. Athée, je ne crois plus qu’au vitalisme et à l’énergie du monde, qui m’émerveille. Et il n’y a qu’un seul absolu dans notre condition planétaire, avec lequel nous devons compter : la souffrance. Ce n’est pas un simulacre, une lubie, un mirage. C’est là, dans notre chair animale et dans notre cerveau. Tout le reste peut être simulation et relativisme. C’est sur cet absolu que je fonde l’éthique planétaire de l’hyperhumanisme, l’amour de la vie, de la nature, le respect de l’autre, de soi-même, et l’engagement qu’induit la responsabilité, que renforce la culpabilité de ceux qui peuvent connaître le bonheur – comparativement au malheur de ces milliards d’êtres humains que nous négligeons, dans le Sud, en bas-de-page de notre grande épopée.

La sociologie de l’art et l’art sociologique

N. H. – Mais cette énergie, cette soif d’absolu apparaissent, en un sens, contradictoires avec l’idée d’un art étayé sur les sciences humaines, comme l’art sociologique qui fut votre cheval de bataille. Il y aurait deux, sinon trois versions de l’entrée en scène des sciences humaines dans le monde de l’art, et en particulier de la sociologie. Il y eut, dans la continuité de Bourdieu, une école, un courant de la sociologie qui se consacre à l’étude du monde de l’art, en particulier contemporain (je pense par exemple à Nathalie Heinich). Il y eut aussi l’art sociologique, et l’influence qu’exercèrent les outils de la sociologie (la statistique, les techniques de l’enquête, et leur détournement à des fins artistiques), dans la mouvance de ce questionnement incessant de la position du spectateur qui est au centre de l’art du XXe siècle. Et vous avez rempli dans ce courant le rôle d’un fondateur éclairé, d’abord avec Fred Forest, puis sans lui. Il y eut enfin un autre fil rouge, qui me parait très intéressant à remonter, et qui s’inscrirait à la frontière de plusieurs images de la modernité, et qui trouverait son expression dans les textes de cet étrange sociologue que fut Simmel, à travers cette sociologie des sens qu’il applique à la grande ville – et qui, à mi-chemin, entre la poétique, la phénoménologie et la sociologie, tente de tracer une voie originale – mais qui, à mes yeux nous vient directement des vues de Baudelaire dans certains de ses textes sur Paris, sur les foules, une figure en somme assez proche de la figure du flâneur dans les passages chers à Walter Benjamin. Où en êtes-vous aujourd’hui avec l’art sociologique et avec la sociologie ? Quelle place faites-vous à ces grands sociologues des mutations de la sensibilité ? Ont-ils quelque chose à nous dire aujourd’hui encore ?

L’histoire de l’art est terminée, Hervé Fischer, Editions Balland, 1980.

H. F. – Nous nous sommes retrouvés assez seuls avec l’art sociologique dans les années 1970. Au-delà du collectif, il y avait une mouvance dont je me suis toujours senti très proche : Hans Haacke, Antonio Muntadas, le groupe de Rosario et de façon générale des artistes sud-américains confrontés aux dictatures, Joan Rabascal, Nil Yalter, Léa Lublin, des artistes d’Europe centrale, pour les mêmes raisons de dictatures. La liste pourrait être beaucoup plus longue. Je m’y suis essayé dans ce recueil collectif que j’ai appelé ART versus SOCIÉTÉ. Mais aujourd’hui, je vois émerger une nouvelle génération planétaire d’artistes sociologiques. Ils viennent des quatre coins du monde, des pays pauvres du Sud, de nos anciennes colonies. Ils dénoncent les anciens esclavagismes, les exploitations, les souffrances que les pays du Nord leur ont infligées. Ils sont de la cancel culture. Je ne les suis pas dans leur agressivité, mais je la comprends. Et paradoxalement, alors que le marché de l’art a toujours rejeté l’art sociologique qui le dénonçait, nous voyons maintenant la haute finance des grandes galeries exposer et marchandiser les œuvres de ces artistes africains, indiens, indonésiens. Le Market Art est capable de cannibaliser tous ces artistes, souvent remarquables. Tant mieux pour eux, et qu’ils en profitent tant que ça durera. Ils ont tellement de rancœur accumulée légitimement que le marché exploitera sans vergogne. Les jouisseurs riches et décadents ont du plaisir à se faire fouetter. L’art sociologique est donc devenu planétaire. Au fond, c’était prévisible.

N. H. – Plus récemment, en réaction au silence des artistes dans le flot de commentaires, de prises de positions engendrés par la pandémie chez les intellectuels, les philosophes, vous avez décidé de réagir et vous avez réactivé la forme du manifeste, comme pour réveiller le monde de l’art, et vous avez aussi conduit une grande enquête auprès de très nombreux artistes et spécialistes sur le thème ART versus SOCIÉTÉ. Plusieurs questions viennent à l’esprit : pourquoi les artistes sont-ils si peu présents dans le grand débat que la pandémie a provoqué ? Je ne parle évidemment pas ici de ces prises de positions humanitaires qui mobilisent parfois les artistes de la scène au profit de telle ou telle grande cause. Je parle plutôt de la contribution intellectuelle de l’artiste aux débats de société. Il y a là un vrai sujet, comme si l’artiste contemporain avait été définitivement relégué en dehors de la sphère médiatique, et comme si, sans même parler d’engagement militant, ou critique, de l’art de notre temps dans la vie publique, sa présence s’était tout simplement effacée, au bénéfice des experts qui envahissent les plateaux télé. Il en va pour les artistes d’une sorte d’exclusion paradoxale : leur parole ne compte plus, leur voix ne porte plus, à l’exception de quelques grands noms planétaires, au service d’un art planétaire, ou d’une contre-culture planétaire : de Jeff Koons à Bansky. C’est dans ce contexte que votre manifeste a été imaginé… dans une sorte de sursaut, comme pour rappeler les artistes et la société à l’exigence d’une certaine dignité, à leur responsabilité…

©Hervé Fischer

H. F. – Oui, c’est parce que je faisais ce constat et m’en désolais, que j’ai lancé en juin 2020 ce Manifeste pour un art philosophique et éthique, dans une dizaine de langues. J’ai recueilli pas loin de 1500 signatures et réuni dans la revue italienne M@GM@ une soixantaine de contributions des cinq continents de la part d’artistes, critiques et historiens d’art, directeurs de musées, écrivains, philosophes, sociologues. Cela a été pour moi une grande expérience, celle d’un collectif sociologique planétaire. Et j’espère une édition papier pour bientôt (de quelque mille pages !). L’art a de nombreuses fois changé le monde, sa sensibilité, son regard (qu’on pense récemment à l’impressionnisme, au surréalisme, au cubisme, à Duchamp). Cela ne survient pas du lundi au mardi, mais c’est plus profond qu’une déclaration à la Une d’un grand quotidien.

N. H. – Pourtant je m’interroge : vous dites que la crise planétaire en appelle à une campagne planétaire pour un art philosophique et éthique qui questionne la « normalité » politique, économique, sociale, mais aussi artistique qui nous a conduits à cette catastrophe. Certes. Je note cependant un absent dans la liste de ces adjectifs : c’est technologique, à moins de présupposer qu’il est inclus à ce point dans l’économique qu’il n’est plus besoin de le nommer expressément. Car, pour reprendre une formule de Deleuze : que peut l’art encore dans un monde qui (se) fait lui-même son (propre) cinéma ? Que peut l’art encore quand le calcul des signes a remplacé l’interprétation des signes ? Quand l’artiste n’est plus le dépositaire de l’épaisseur symbolique des choses et quand, comme dit Vincenzo Cuomo, l’heure de la fin des anciens régimes d’appartenance symbolique a sonné* ? Ou quand le métavers promet de réunir toutes les technologies qui se cherchaient voici peu, chacune de leur côté, sans avoir encore réussi à trouver leur vraie part de marché, dans une sorte de convergence encore plus puissante que celle qui a réuni voici trois décennies à peine, avec le déjà vieux multimédia, le téléphone, l’ordinateur et la télévision ? Et quand les régimes d’autorité symbolique, qui avaient trouvé dans l’art un refuge provisoire, après la fin du religieux et avec la sécularisation – dans ces zones protégées que sont les Musées et les Collections dont parle Michaud, qui ont fini par remplacer les églises –, se voient, à leur tour, détrônés par les puissances du calcul, sous les effets de ces convergences nouvelles qui s’annoncent ?

Quelques indicateurs : d’abord, la convergence des industries du métavers et de l’art numérique, désormais passé aux NFT (outre les crypto-monnaies, les jetons non fongibles (NFT) sont la principale méthode de monétisation et d’échange de valeur au sein du métavers). Ensuite, la réappropriation par les industries de l’imaginaire de la plus grande puissance de calcul : le 2 février dernier, lors de l’annonce des résultats de Méta pour 2021, Mark Zuckerberg a annoncé le lancement en 2022, de ce qui s’annonce comme le plus puissant super-calculateur au monde (le RSC, qui devrait détrôner le tenant actuel du titre, le supercalculateur japonais Fugaku, tous deux fonctionnant à l’échelle de l’exascale, soit un milliard de milliards d’opérations par seconde). Jeux, concerts, achats en ligne, arts numériques, immobilier virtuel, galeries virtuelles, mode, groupes de recherche et de travail, e-sports, c’est la totalité de la réalité qui bascule dans le métavers. Le casque de réalité virtuelle, couplé aux très nombreux dépôts de brevets déposés par Méta, augurent d’un futur placé plus que jamais sous le contrôle des GAFAM. On a le sentiment que la frontière qui séparait l’art et les industries culturelles est de plus en plus poreuse, et le Métavers participe de cette évolution.

De cela, on peut trouver maints signes et symptômes dans le déversoir du Grand Journal Quotidien : j’ouvre au hasard le Figaro flash actus de ce matin, 28 février : « Une robe spectaculaire, crinoline de superpositions multicolores, tirée du défilé de la créatrice Roksanda qui vient de s’achever au British Museum fait face à la même robe sur un écran numérique, qui viendra bientôt habiller les avatars du métavers. En pleine semaine de la mode à Londres, les professionnels se sont penchés lundi, lors d’un événement consacré à l’avenir du secteur, sur la montée en force des NFT, du métavers, de la réalité augmentée dans l’industrie des belles étoffes et des drapés sophistiqués. »

H. F. – C’est le constat, souvent sidérant, souvent excitant, souvent alarmiste par rapport à ce que nous appelons encore l’art. Nous parlions de son effacement dans le flux de la vie au début de notre échange. Voilà maintenant son invisibilisation dans le flux du robinet à pixels qui nous noie dans un nouveau déluge. Allons-nous inventer un Noé algorithmique qui sauvera l’humanité ? Ce sera plutôt notre sentiment d’omniprésence et de saturation numérique qui nous sauvera et nous incitera à retrouver des saveurs du terroir, d’autant plus appréciées en comparaison de cette industrialisation de la production/consommation/destruction. Le métavers est un mirage instrumental. Allons-nous nous y noyer ou découvrir qu’il n’y a pas plus d’eau potable dans cet artefact laborieux qu’il n’y en avait dans Second Life ?

Le robinet à pixels, Tweet art, 2018. ©Hervé Fischer

N. H. – En ce sens, je m’interroge : la bonne échelle n’est-elle pas plutôt, comme au Moyen-âge, celle du retrait dans des cercles à la fois privilégiés et confidentiels, sur le modèle des ordres monastiques : prendre le monde à revers, œuvrer dans l’envers du monde, comme l’artiste Christian Bonnefoi œuvre dans l’envers du tableau. Dans le portrait de l’artiste contemporain que je vous avais donné pour la publication ART versus SOCIÉTÉ, je faisais référence à un mot que m’avait adressé le directeur de la Maison Rouge, Antoine de Galbert, en réponse à un mail : « De manière plus générale, je serais tenté par un lieu d’écologie, perdu, qui ne ferait rien pour faire venir un public, tout en l’accueillant s’il le désirait. Phalanstère-couvent-utopie-montagne que le public atteindrait après deux heures de marche, loin de toute industrie culturelle. Enfin ne plus être en demande de rien ! ».

H. F. – Je suggère plutôt la Norvège, bien que le taux de suicide y soit très élevé. Quant à moi, je suis un batailleur qui essaie de construire ma sérénité dans ma tête plutôt que dans un refuge. Il demeure très reposant d’en imaginer un avant de repartir sur le front. C’est un bon truc.

N. H. – Un batailleur-artiste, cependant, et votre démarche s’inscrit dans un héritage, que je situerais volontiers sur une ligne très paradoxale, qui irait de Mallarmé, jusqu’à l’art postal. Car les grands Modernes aiment la Poste. Les écrivains, les peintres, les poètes ne s’y étaient pas trompés. Les facteurs sont leurs amis, comme le fameux facteur Roulin pour Van Gogh, les gardiens d’une certaine forme de mystère de ce qui est cacheté, de ce qui est adressé, après avoir été scellé, et en même temps, les messagers d’un nouveau monde. On trouve les premières manifestations d’une rêverie postale sous la plume de Mallarmé (avec 27 quatrains parus sous le titre Les Loisirs de la Poste).

Vous-même, vous vous inscrivez dans cette tradition, mais en cherchant à la réinventer au temps du numérique et de Google. Vous pratiquez un art situé à mi-chemin entre art critique et design typographique, entre pictogrammatique, art sociologique, et numérique. Ainsi, écriviez-vous en mars 2011 : « En lançant le “tweet art” (l’art gazouillis), je propose un nouveau développement du web art, qui poursuit la tradition des « mots en liberté » du futurisme, des tampons d’artistes et de l’art postal, des pilules de la Pharmacie Fischer, des tags et graffitis sur les murs des villes, des affiches et des signalisation imaginaires dans les rues. Je parle aussi de “google art”, parce que ce moteur de recherche permet aussi d’accéder planétairement et immédiatement à ces petites images. Le tweet art se diffuse à grande vitesse sur le web, plus vite que la Poste, comme auraient aimé les futuristes italiens. Sans doute plusieurs artistes en feront-ils un gazouillis euphorique et divertissant comme le tweet des oiseaux – Monet disait que “l’artiste doit peindre comme l’oiseau chante” –, mais c’est plutôt pour moi, dans l’esprit de l’art sociologique, un art numérique de questionnement philosophique, socio-critique et éthique. » Où en êtes-vous aujourd’hui, avec l’art postal, au regard des dernières métamorphoses du monde digital dont nous venons de parler ?

H. F. – J’aime ce rappel historique. L’art postal a été beaucoup moins développé et reconnu en France que dans bien d’autres pays d’Amérique du Nord et du Sud, d’Europe du Nord et centrale. Il y a là un travail intéressant pour un historien d’art. Les multitudes d’amis de Twitter n’ont rien à dire si ce n’est que chaque post est un appel à reconnaissance planétaire qu’ils existent malgré leur anonymat de masse. Et ils sont assoiffés de compter leurs amis-témoins de leur existence. Ils en font un concours. Je l’ai dit déjà : la tweetomanie est comme la fumée de cigarette des fumeurs intimidés qui veulent socialement s’affirmer, surtout lorsqu’ils sont encore adolescents. Pour moi, mes tweet-art sont des bouteilles philosophiques et pédagogiques jetées à la mer, en quête d’une plage où un promeneur les ramassera avec une curiosité attentive et efficace : un art socio-pédagogique utopique.

Pilules pour ralentir le temps. ©Hervé Fischer

N. H. – La Poste me permet de prolonger la question du temps. Où en êtes-vous avec le temps ? Ne faut-il pas chercher aussi la réponse à cette question du côté de cet écart, de cette inadéquation fonctionnelle (de la technique, des œuvres d’art, et du courrier) avec le monde, avec le destinataire, auquel ces objets sont adressés, et qui lui arrivent presque toujours en retard. Ne faut-il pas, depuis les Modernes, considérer, mais avec joie, que le monde roule sur des malentendus, comme dit Baudelaire ? C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre ce que disait Duchamp : « Les tableaux sont des retards… »

La grande question, plutôt que celle de l’urgence à répondre aux défis que le monde, la pandémie nous adressent, ne consisterait-elle pas alors, pour l’artiste, à savoir aussi prendre son temps, à s’attarder, à durer, à dévier le cours du temps ? C’est Jean-Claude Milner, qui, à mon sens, a le mieux saisi, dans son livre Les penchants criminels de l’Europe démocratique, les dangers qui nous guettent.  Ils tiennent dans ce couple infernal, le couple Problème/Solution (couple que, d’ailleurs, un certain solutionnisme technique tend à ressusciter), qui ne reconnaît qu’un seul régime de temporalité : celui de la hâte, de la précipitation, de l’urgence. Exactement le régime de temporalité des années trente, dont on connait l’issue tragique dans la solution finale.

Quand le mot de développement durable tend à devenir une sorte de formule vide de sens, ne faut-il pas réinventer le Temps, apprendre à durer ? C’est pourquoi, je vous pose la question : certes, il faut en appeler à la dignité de l’artiste, à sa responsabilité, et reconnaître qu’il y a urgence. Mais cette injonction ne présente-t-elle pas aussi le risque du dogmatisme, d’une certaine posture de l’engagement moral qui ne peut pourtant fonctionner autrement, s’agissant des œuvres d’art, que sur un mode « inadéquat », ou pour le dire avec Barthes, subtil.

H. F. – Je suis un artiste de l’urgence du fait de notre époque dangereuse. Mais je vis la majeure partie de mon temps dans un chalet de la forêt boréale, au bord d’un petit lac. C’est là que je pense tranquillement en osmose avec la nature, les arbres et l’eau. Et j’ai aussi distribué des « pilules pour ralentir le temps », « des pilules pour penser ». Je suis membre du réseau d’artistes sud-américains RedCSur et j’aime ce tag de l’artiste mexicain Sol Henaro :

Sol Hernano : « Ralentir la vitesse du temps, c’est aussi un geste politique ».

N. H. – Divergence. Le mot divergence revient souvent dans votre lexique personnel, un mot qui résonne profondément dans votre vie et dans votre œuvre, et il en va de même pour moi.

H. F. – Une divergence est une singularité. Dans le livre La Condition planétaire, que j’ai commencé en pleine pandémie et terminé un mois après l’invasion de l’Ukraine par les tanks poutinesques, je vois en effet une divergence, qui, après celles du numérique, puis de la pandémie du Covid 19, fait croître notre conscience augmentée planétaire en temps réel, porteuse de l’éthique planétaire hyperhumaniste. Je ne vois aucune subjectivité dans cette divergence, ni dans l’éthique, ni dans notre transcendance humaine, telle que je la conçois, laïque, collective, minimaliste, technologique, planétaire. La technologie crée paradoxalement de la conscience et de l’éthique collectives.

Note> *Dans sa Cartographie du techno-art (L’Harmattan, Collection Eidos, série ART, Automne 2019), Cuomo décrit le techno-art selon cinq champs (la cruauté, la métamorphose, la sensation, l’hybridation et le vide), qui relèvent « du champ du non symbolique », lesquels champs viennent en miroir des mutations psycho-sociales, technologiques et médiales des formes de vie qu’analysent Deleuze, Lyotard ou Baudrillard – et en écho à la narcose médiale décrite au même moment par McLuhan.

Image d’ouverture> L’art est-il devenu invisible ?, acrylique sur toile, 91x152cm, 2018. ©Hervé Fischer

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