Edifice de la transparence et de la lumière, vibrant dialogue entre la forme et les œuvres accueillies, défi à la légèreté avec une membrane translucide de 8 000 mètres carrés en fibre de verre et Téflon, le centre Pompidou-Metz offre 5 000 mètres carrés d’exposition permettant d’accueillir des œuvres monumentales. Sa flèche centrale, qui culmine à 77 mètres, clin d’œil à son illustre parent parisien inauguré en 1977, couronne cet écrin futuriste flamboyant conçu pour magnifier l’art.
8 heures : le TGV ralentit et doucement stoppe à hauteur des quais. Un ciel blanc accueille les passagers. Sur l’esplanade devant la gare, un immense panneau a été dressé : des lettres de couleur annoncent METZ. D’autres, blanches, indiquent Centre Pompidou. Une flèche fait le reste… Pas de doute. Nous sommes attendus. 46 000 personnes ont déjà pris ce même chemin lors de la semaine inaugurale et 50 000 ont participé aux événements organisés à l’occasion de la Nuit des Musées aux abords de l’établissement. Des chiffres qui font sourire les Messins qui n’arrivaient pas à imaginer un tel succès mais qui l’espéraient très fort. Un minibus stoppe à notre hauteur. A peine deux minutes écoulées et le conducteur annonce fièrement : « Centre Pompidou-Metz ». Il avait omis de préciser qu’il suffisait de franchir un tunnel et quelques centaines de mètres pour découvrir la splendide œuvre architecturale conçue par Shigeru Ban et Jean de Gastines ! Le bâtiment, au sommet duquel flotte le drapeau tricolore, a quelque chose d’un vaisseau extraterrestre posé sur cette terre de Lorraine. Sa photo a déjà fait le tour du monde et ses initiateurs espèrent pour lui une renommée aussi importante que celle acquise par le Guggenheim de Bilbao. Le Centre Pompidou-Metz diffère de son grand frère tant par sa forme que par les matériaux utilisés. Autre temps, autre architecture. Fini les couleurs criardes, les tuyaux qui s’affichent, une enveloppe qui vole la vedette aux œuvres qu’elle expose. Bienvenue aux courbes élégantes, au blanc reposant, au bois rassurant, qui rendent le bâtiment accueillant et paisible. L’art contemporain s’offre ici un écrin. A cette heure matinale, point de queue, les portes ne s’ouvriront qu’à 11 heures. Le temps de quelques photos et d’une promenade dans la ville. Dès le hall d’entrée, on comprend que l’espace, la respiration sont privilégiés. Dans la file, pas d’impatience mais de la bonne humeur. Les gens se parlent comme galvanisés par la joie d’être là. Ils échangent sur cette première exposition au titre provocant : Chefs-d’œuvre ? La question est posée mais visiblement personne ne doute qu’il va pouvoir en admirer plus d’un. Il faut dire que la télévision s’est chargée de passer en boucle des toiles de Picasso, Matisse ou Miró. Le billet en poche, la visite peut commencer.
Direction la Grande Nef, le centre Pompidou-Metz se prend pour la nouvelle cathédrale de la ville ! Mais ici l’intérieur est cosy, délimité par des panneaux d’un bleu profond qui dessinent de drôles d’alvéoles dans lesquelles sont disposées les œuvres. En guise de plafond des ouvertures, qui tantôt laissent entrevoir de gros tuyaux blancs, probable clin d’œil au parent parisien, tantôt un miroir géant qui révèle la salle suivante comme s’il reflétait l’avenir. Cette première partie de l’exposition propose un parcours chronologique en 17 salles retraçant la notion de chef-d’œuvre au fil des siècles. On sort étourdi de cette promenade labyrinthique même s’il est toujours agréable de se rafraîchir la mémoire : du Moyen Age à nos jours en passant par les chefs-d’œuvre de Jacques Callot et Georges de La Tour, le salon des Indépendants de 1912, le Balzac de Rodin ou les abstractions géométriques. La lumière du jour surprend, un aimable surveillant indique qu’il faut prendre l’escalier pour accéder à la Galerie 1 qui abrite l’ensemble intitulé Histoires de chefs-d’œuvre. Accueilli au cœur de Respirare l’ombra de Giuseppe Penone, le visiteur doit décider de son chemin : soit commencer par une succession d’espaces consacrés aux avant-gardes (cubisme, impressionnisme, fauvisme, pointillisme…), soit se diriger vers des terres moins fréquentées, mettant en valeur des figures et des mouvements du XXe siècle longtemps déconsidérés, ignorés, nous annonce-t-on. On retient en vrac Dream Passage with Four Corridors de Bruce Nauman, vaste dispositif architectural né d’un rêve de l’artiste où il se voyait emprunter un couloir étroit qui débouchait sur une pièce où il trouvait son double, Le magasin de Ben, reconstitution d’un lieu d’art, autrefois situé à Nice que l’artiste a fini par démonter, Raysse Beach, une installation de Martial Raysse qui fait revivre les vacances sur la Côte d’Azur dans les années 1960 avec tout ce qu’elles pouvaient contenir de commercial et d’artificiel et Precious Liquids, le très connu réservoir d’eau en bois de cèdre aménagé par Louise Bourgeois. Devant l’immense baie vitrée est érigée 32 Clouds Installation, mur alvéolaire en Polystyrène de Ronan & Erwan Bouroullec qui nous cache le Jordan fait dans la même matière de Xavier Veilhan. Il faut avouer que même si l’on prend plaisir à les voir réunis la surprise n’en est pas moins grande car il ne semble pas que ni les uns ni l’autre aient été déconsidérés ou oubliés par le monde de l’art. Les premiers sont présents dans nombre de musées, notamment outre-Atlantique et le second occupait Versailles il y a peu. Notons que postés juste au-dessus de l’entrée du centre, ces deux œuvres sont visibles de l’extérieur et que ce sont donc elles qui accueillent les visiteurs.
Direction l’ascenseur, à l’étage suivant la Galerie 2 abrite Rêves de chefs-d’œuvre. Pour la première fois, le parallélépipède rectangle livre son volume sans entraves. L’espace est immense, offrant à chacune de ses extrémités une vue superbe sur les environs. Divisée en trois sur la longueur, cette galerie met en parallèle les contenants, c’est-à-dire les musées, et les contenus, les œuvres. On découvre depuis un couloir étriqué, dont un des murs est découpé d’ouvertures rectangulaires, une parade d’œuvres emblématiques du XXe siècle présentées chronologiquement. Des œuvres de Rodin, Dubuffet, Klein, Pollock, Giacometti… respirent ici à l’unisson. Plus difficile à comprendre est l’accrochage de sièges, chaises longues et tabourets qui leur font face. Même si tous sont signés d’illustres créateurs. Derrière la seconde cloison, une trentaine de réalisations architecturales imaginées pour abriter des musées : maquettes, dessins originaux et entretiens filmés. Du Palais de Tokyo de 1937 au futur Louvre Lens. On s’ennuie un peu. Retour à l’ascenseur et en route pour la Galerie 3, dernier volet de la visite. Là, les architectes ont joué sur les perspectives pour donner un élan particulier à cet espace dont toutes les lignes convergent vers une vaste ouverture donnant sur le centre de Metz et notamment sur sa superbe cathédrale gothique. Cette dernière partie intitulée Chefs-d’œuvre à l’infini interroge la persistance de la notion de chef-d’œuvre à l’ère de la reproductibilité des images. On y découvre nombre de photographies signées Eric Poitevin, Gerhard Richter ou encore Christian Boltanski dont ses Saynètes comiques rehaussées au pastel. De petites salles ont été aménagées pour la projection de vidéos. Sur les murs des citations viennent alimenter la réflexion du visiteur, celle de Sol LeWitt attire l’attention : « Une idée seule peut être une œuvre d’art ; elle s’inscrit dans une chaîne évolutive d’où vient surgir une forme quelconque. Il n’est pas nécessaire de donner à l’idée une réalité physique. » Ultime notion de chef-d’œuvre s’il en est.
En sortant on s’arrête encore pour admirer les volumes du hall et le superbe entrelacé de bois qui supporte le voile protecteur de l’ensemble du bâtiment. La visite a été sereine, l’espace est apprécié comme un luxe dont les quelque 800 œuvres présentées profitent au mieux et la réalisation architecturale fait l’unanimité. L’exposition, quant à elle, n’est pas exempte de critiques. Mais comment pourrait-il en être autrement : chacun arrive avec sa vision du musée idéal et un panthéon bien personnel. On peut regretter de ne pas voir plus d’artistes vivants représentés, et notamment Jean Rustin, enfant du pays né à Montigny-lès-Metz. Un jour viendra, n’en doutons pas, car nul n’est prophète… Mais Chefs-d’œuvre ? n’interroge-t-elle pas à la fois sur le statut des œuvres présentées et sur l’édifice qui les accueille ? Au public le mot de la fin !