L’exposition Kader Attia touche à sa fin au Centre de création contemporaine de Tours. Le 31 octobre, l’installation monumentale conçue à partir de matériaux de récupération ne sera plus qu’un proche souvenir. D’ici là, vendredi et samedi, l’artiste dont la famille est originaire d’Algérie va prêter les toits de la Kasbah deux soirs durant au danseur et chorégraphe Bernardo Montet, directeur du CCNT (Centre chorégraphique national de Tours) pour une performance unique en son genre : une pièce complexe sur un terrain de jeu hostile, semé d’obstacles et parfois même périlleux pour les entrechats et autres portés. Soit un unique tableau de quarante minutes où vont se mesurer quatre danseurs. Spectateurs et danseurs sont logés à la même enseigne : « Il est assez rare que l’on soit dans la même unité de temps et d’espace que le public qui sera placé sur les côtés de la Kasbah, à même la tôle », remarque le chorégraphe qui a auparavant collaboré avec la plasticienne sonore Laurella Abenavoli pour le théâtre de Chaillot et avec Gilles Touillard. Rompu à l’exercice, Bernardo Montet est en revanche intimidé par l’absence de Kader Attia qui n’est jamais intervenu – ni de près ni de loin – dans le processus de création. « Je n’ai jamais travaillé seul sur une œuvre déjà en place. C’est impressionnant, les danseurs vont s’approprier un espace, une œuvre qui, en soi, se suffit à elle-même. Cela implique pour nous un profond respect pour le travail de l’artiste. On doit garder présent à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une surface de jeu ; c’est avant tout un contenant », précise le chorégraphe. Un contenant qui transporte le visiteur sur les toits de bidonvilles ou de favelas ; socle instable, chaotique, il agit sur notre imaginaire comme sur notre conscience politique. Kader Attia nous confronte aux scories de l’économie globalisée, échouées et réinvesties dans les zones de grande pauvreté. Il invite le spectateur à s’impliquer dans un jeu de correspondances plastiques où des êtres démunis de tout se réapproprient le monde ; il l’incite à entrer en résonance avec les fondements de la culture méditerranéenne, d’une architecture traditionnelle vernaculaire, le pousse à s’aventurer sur ces toits-terrasses, qui même envahis d’antennes paraboliques demeurent des espaces de vie et des lieux d’échange, et ce, du pourtour méditerranéen aux favelas brésiliennes.
Il y a quelques semaines, quand Bernardo Montet est entré la première fois dans cet espace clos, il a été saisi par le poids des silences qui en émanent. Les bruits de la médina sont couverts, inaudibles, suggérés. « Ça veut dire quelque chose pour un chorégraphe. Il correspond au silence du danseur quand il bouge. Il faut du silence pour pouvoir écouter. » Il aura aussi fallu composer avec le bruit – un vacarme parfois assourdissant – qui surgit une fois que l’on pose le pied sur ces toits faits de bric et de broc, essaimés de chausse-trapes. Cet assourdissant silence, ces bruits, cette vie pressentie qui émane de ces objets abandonnés ou de cette armée de paraboles, parlent de notre époque, « créent du lien ». Bernardo Montet nous interroge, à sa façon, sur notre société et, à son tour, crée ce lien qui nous ouvre à des vies souvent oubliées.