La Halle Saint-Pierre, centre culturel dédié à l’art brut et singulier situé aux pieds de la butte Montmartre, s’est associée avec Anne et Julien, cofondateurs de la revue Hey! – magazine emblématique d’une nouvelle culture urbaine hors normes –, pour présenter une soixantaine d’artistes issus de l’art outsider, mix inclassable d’art brut, marginal, naïf et autodidacte. Depuis quelques jours, et pour quelques semaines encore, vingt-cinq nouvelles œuvres de Naoto Hattori, Ray Caesar et Jeff Soto sont venues enrichir cette vitrine détonante d’un art contemporain décoiffant.
Il est loin le temps où les artistes Anne et Julien faisaient la première partie improvisée du groupe de musique d’avant-garde américain The Residents sur une scène parisienne. Depuis, le binôme de journalistes-artistes, issu de la culture fanzine, a créé dans les années 1990 un lieu d’exposition d’art outsider dans le XVIIIe arrondissement de Paris, s’est lancé dans l’édition de la revue Hey!, référence de la contre-culture dont ils viennent de publier le huitième numéro, et s’expriment via le groupe musical 78 RPM Selector. En point d’orgue de ces aventures fécondes : leur rôle de curateur de l’exposition présentée actuellement à la Halle Saint-Pierre et intitulée Modern Art et Pop Culture, véritable ode à la grande famille d’artistes issus de la culture underground.
« Les artistes présentés ici sont le reflet de notre démarche originale pour décrypter l’art urbain : regarder, sentir, comprendre », confie Anne, flamboyante brune tatouée. Effectivement, les deux étages de la Halle fourmillent de dessins, sculptures, peintures et installations liés par les mêmes formes d’expression brutes, provocantes et subversives inspirées par le street art, l’art brut et singulier, le lowbrow, l’art tatoo ou la bande dessinée. Ignoré des institutions, cet art underground grouille de talents en tous genres et secoue les codes habituels de l’art contemporain.
De l’étrange et de l’humour
Les boudoirs sacrés inspirés des techniques de papiers enroulés du XVIIIe siècle de Muriel Belin, les sculptures enflammées de l’Américain AJ Fosik, composées de centaines de pièces en bois peintes et vernies, le journal personnel de quatre mille feuillets* de l’Allemand Horst Haack, les assemblages compulsifs et apocalyptiques de jouets anciens de l’Américain Kris Kuksi, les univers graphiques issus de l’underground bédéiste de Stéphane Blanquet et d’Aurélie William Levaux, les sculptures fascinantes de super-héros de Marvel en cristal de synthèse d’Alexandre Nicolas, les formidables créations des artistes tatoueurs Titine K-Leu et Navette ou encore les monumentales cartes à gratter du Suisse Thomas Ott… Tout est surprenant dans cette exposition multiple et unique en son genre, notamment grâce à la cohérence du sujet malgré l’éventail extrêmement large des genres artistiques proposés : on distingue rapidement les influences et énergies communes aux artistes qui jouent de l’étrange, du morbide et, surtout, de l’humour.
Quelle plaisir de se laisser porter par ces actes créatifs instinctifs, non calculés, qui nous projettent dans l’enfance et le marginal. La spontanéité est le mot d’ordre, l’innocence le sous-entendu. « Je peins juste pour peindre, confiait Titine K-Leu à la revue Hey!, il y a des maladresses, des naïvetés que j’aime beaucoup, que je ne veux pas perdre. Ce truc comme un enfant qui joue à l’état pur, quand aucun mur ne le retient. Cet endroit-là est merveilleux. »
* En constante évolution, cette Chronographie terrestre (work in progress) a été débutée dans les années 1980 par Horst Haack. Chacun des feuillets constitutifs de l’œuvre mesure précisément 22 cm sur 17.