S’appuyant sur la notion d’hétérotopie – du grec heteros (autre) et topos (lieu) –, développée par Michel Foucault dans les années 1960, Vincent J. Stoker mène depuis plusieurs années une minutieuse investigation phénoménologique du lieu. Après avoir mis en exergue, à travers Heterotopia, la chute tragique, la beauté singulière et étrange de constructions abandonnées et/ou tombées dans l’oubli, il s’intéresse à des bâtiments contemporains déshumanisés et privés de toute vie, posant la question de l’homme et de son devenir incertain. La galerie Alain Gutharc, à Paris, présente, à partir de ce jeudi 24 octobre Heterotopia, la fin de l’histoire, une série que le jeune photographe inscrit dans la continuité de ses travaux précédents.
« La fin de l’histoire affirme une foi en l’homme, en sa capacité de dépassement, de surpassement. La croyance au progrès trouve son essor dans le concept de fin de l’Histoire de Hegel : la raison, la technique doivent permettre la résolution des conflits pour enfin aboutir à un temps sans tension, hors contradiction. Les lieux de La fin de l’histoire s’imposent par leur rigidité monolithique et se présentent comme des vérités immuables. Leur statuaire colossale donne le sentiment d’être pérenne et fait oublier, puis contester, un instant la vérité portée par la série Heterotopia, la chute tragique, la vanité du monument et la précarité des sociétés. La croyance au progrès est séduisante et irrésistible. Mais elle flatte autant qu’elle rend aveugle. Siégeant au milieu de cette exubérance artificielle, de cet excès de civilisation, parfaitement arraché à la nature, qui apparaît ici comme objet de deuil, le spectateur perd ses repères et s’enfonce dans l’abîme culturel. Son regard ébloui est dépassé, mais s’évertue vainement à reconnaître ce qui, au fur et à mesure qu’il avance, l’engouffre et le fait disparaître. Le temps de l’homme, celui qui le constitue en tant qu’être dans la nature, est dépassé. Prend place, alors, le temps de la fin de l’Histoire qui ingurgite l’homme et sa forme putrescible, pour enfin en faire disparaître la part naturelle au cœur de ses entrailles inorganiques. »