Rue de la Forge-Royale : nom évocateur, ô combien ! On songe à l’art du fer considéré parfois comme un royal secret ou encore sacerdotal. N’a-t-on pas vu chez les Touareg des forgerons occuper les fonctions de premier ministre ! Mais ici, dans cette rue épargnée du tintamarre parisien – une voie presque provinciale –, se cachent le « Cabinet d’amateur » et la belle exposition de Michelle Knoblauch. Des fils métalliques, la forêt et des araignées plus aériennes que les aranéides peuplent cette secrète galerie au charme raffiné et discret. Point de forge rougeoyante ni de braises avides pour embraser et asservir le dur métal, ni même d’éclats de diamant ; au mur seulement des “bijoux” : l’artiste a « choisi la boîte des diamantaires, a pris les couvercles et jeté le reste… » Un pied de nez au destin, un acte de liberté, un signe à son père qui lui a légué ces boîtes retrouvées dans son bureau, petits coffrets métalliques dépouillés qu’elle transmue comme en tendre dérision.
« 1943, je suis condamnée à mort » écrit cette enfant d’émigrés juifs polonais établis en Belgique dans les années 30. Arts-Déco de Bruxelles, un temps professeur de dessin, un autre temps pour répondre à l’appel du grand large et une Asie encore mythique… Katmandou n’est qu’une étape. La jeune femme rebelle a l’esprit nomade et après un premier atelier à Saint-Germain-des-Prés, elle se lance dans la création artistique : forêts aux fins et fragiles troncs noirs dont les branches chatoient et nous invitent à un voyage imaginaire dans une contrée sans frontières ; l’horizon transparaît par-delà les fûts sombres, l’équilibre se trouve quelque part entre terre et ciel, et si de fins grillages semblent voiler les “bijoux” accrochés aux murs, ils évoquent sans conteste ces voilettes d’un temps pas si lointain destinées autant à masquer qu’à révéler… Voiles immobiles et flottants, rigides et impalpables, ils dansent et se défilent, laissant passer, à travers leurs mailles ténues, un souffle d’escapade, de liberté retrouvée. Et puis cette confidence de l’artiste : « J’aime l’hôtel et les chambres d’hôtel – Je n’aime pas ce qu’il y a au mur – Je décroche, il reste le clou – Je sors de ma petite boîte un “Bijou de mur”, je l’accroche et là je suis chez moi. » Tout est dit. Ou presque. Entre deux expositions au Japon qui l’a définitivement adoptée (elle est attendue à Tokyo pour la troisième fois en janvier 2011), Michelle Knoblauch séduit par une œuvre toute de transparence et de légèreté, une manière bien à elle d’appréhender l’espace, de s’y trouver comme en suspension, non à l’image des funambules en équilibre contraint, mais plutôt à la façon des araignées, suspendue. Et si Arachné fut métamorphosée pour avoir offensé Athéna dans l’art du tissage et condamnée à se balancer éternellement au bout de son fil, celles de l’artiste, loin de toute ambition démiurgique, nous inviteraient plutôt, au-delà du voile des illusions, à une méditation plus platonique ou ludique que platonicienne. Des œuvres que l’on peut emporter en voyage ou voyager avec en quelque sorte.