Le parc de sculptures du domaine de Kerguéhennec, dans le Morbihan, fêtera ses 30 ans l’année prochaine. Comme en avant-première de l’événement, deux sculpteurs ont ouvert la saison artistique 2015 du centre d’art : Vincent Barré et Clémence van Lunen s’emparent ainsi chacun d’un espace du château ou de ses dépendances, le premier déployant ses fontes d’aluminium en regard d’une série de dessins, la seconde présentant le fruit dynamique et polychrome de sa pratique de la céramique.
« Toute abstraite qu’elle soit, ma sculpture n’a jamais quitté le domaine du corps », explique Vincent Barré, qui investit les anciennes écuries ainsi que le bassin de la cour d’honneur du Domaine de Kerguéhennec. Ici, un couple monolithe se tient debout. Là, un torse est couché. L’artiste passe justement la main sur son travail, pointe du doigt les accidents de fonte qui s’inscrivent désormais dans son œuvre. Ses gestes révèlent encore la dimension charnelle des sculptures, ce subtil équilibre entre fragilité et solidité. Vincent Barré n’est jamais très loin des statuaires archaïques, religieuses. Sa recherche s’inscrit dans une tentative de filiation plongeant dans des temps anciens et jusqu’à l’époque moderne. « L’arche est sainte et sacrée dans toutes les cultures, commente-t-il devant le Grand Anneau. Il importe de sortir la tête de l’événementiel, de s’inscrire dans un temps plus long… » Dans le bassin de la cour d’honneur, Vincent Barré a déposé quatre éléments horizontaux qui semblent caresser la surface de l’eau. Face à ces pièces instables, le sculpteur évoque son amie peintre, Judit Reigl, passant en équilibre sur une échelle, au-dessus d’un couloir de mines, pour fuir la Hongrie en 1950. La vie, encore une fois, s’incarne dans l’œuvre…Des fleurs « diaboliques et mauvaises »
Au rez-de-chaussée du château, Clémence van Lunen présente pour sa part ses Wicked Flowers, « fleurs géniales et mortelles ». L’artiste s’attaque sans détour à la question du décoratif. Ses compositions florales surdimensionnées, vase inclus, sont le résultat d’un combat avec la matière. « J’aime travailler le grand format, me confronter avec quelque chose que je ne domine pas, explique-t-elle. La terre est forte quand elle est bancale. » La sculptrice ne cherche pas à faire beau. Elle travaille seulement des volumes qui occupent l’espace. Preuve supplémentaire, et « pour éviter la trop grande séduction des émaux », elle n’a laissé sur les pièces que des traces de couleur, comme des échantillons… Clémence van Lunen estime que « souvent, l’art souffre d’un trop-plein de sens, de mises en abyme, comme s’il constituait un monde parallèle au monde réel ». Ses fleurs « diaboliques et mauvaises », dans leur raffinement rustique, ramènent en tout cas la sculpture dans le champ qui est le sien : celui de la véritable présence.
Le Domaine de Kerguéhennec propose par ailleurs, au premier étage du château, d’appréhender une cinquantaine de peintures et un ensemble de dessins retraçant le parcours, de 1962 à 2008, d’un peintre méconnu, François Aubrun – disparu en 2009 –, tandis que le parc de sculptures s’enrichit de deux nouvelles productions : Chêne de Roland Cognet et La Hache et la rose de Matthieu Pilaud.