« Prendre conscience de la guerre pour mieux profiter de la paix. » Voici ce à quoi nous convie avec une ferveur tranquille Patrick Chauvel, à travers une série de photomontages grands formats intitulée Guerre ici. Sur l’un d’eux, un char en piteux état semble comme échoué au pied de l’Arc de Triomphe ; plus loin, la tour Montparnasse explose au bout de la rue de Rennes, tandis que le parvis du Trocadéro rougit du sang d’un soldat tombé au combat. Ces images effrayantes, surrréelles à force de réalisme, entremêlent des lieux et décors parisiens, gravés dans notre mémoire collective, avec quelques-unes des scènes capturées par le photographe au gré de ses innombrables reportages au fil des conflits ayant déchiré les hommes un peu partout sur la planète depuis quarante ans. Parsemé de cadavres et de carcasses de blindés, Paris n’est plus que désolation et souffrance. « Je ne veux pas mentir, je ne veux pas faire croire aux gens que c’est là, mais je veux leur montrer comment ça pourrait être », explique celui qui se définit lui-même comme un « rapporteur de guerre, ramenant la guerre ici en mots et en images ». « Nous ne voulons plus de guerre, Nous ne voulons plus de sang », chantait Ferrat. A côté de chacun des montages proposés, Patrick Chauvel a pris soin d’apposer le document original, afin de rappeler le contexte particulier inhérent au drame ici déplacé, « pour que ça ne soit ni gratuit, ni vulgaire ». Comparant ses retours de reportage à ce que peut vivre quelqu’un qui descend d’un bateau après une tempête, et qui continue de sentir le roulis quelque temps, il confie doucement « tanguer encore par moments de la guerre ». « J’ai voulu balancer cette tempête ici, poursuit-il, pour que les gens mettent leur ciré, relèvent leur col, gardent le cap. La paix n’est pas un état naturel, ça se tient, ça se fabrique. Et l’histoire de Sarajevo, de Jérusalem, c’est aussi la nôtre. » Une invitation à la réflexion, à la vigilance.
Présentés dans le cadre somptueux et chargé d’histoire de la Monnaie de Paris, ces travaux de Patrick Chauvel sont associés à ceux de Michael Wolf ainsi qu’à une partie des archives du magazine Paris Match au sein d’une exposition unique et collective. Sous le titre Peurs sur la ville, celle-ci développe plusieurs approches du thème de la violence urbaine, physique ou psychologique, dans les rues de la capitale. Les clichés de Paris Match illustrent la violence, née de malaises sociétaux ou de conflits idéologiques, propres à l’histoire et à l’actualité. Ils nous emmènent au cœur du Paris de la Libération, de celui de la guerre d’Algérie, des barricades de Mai 1968 ou des attentats des années 80 et 90, mais aussi de l’embrasement des banlieues en 2005: « Quelques-unes des tragédies qui ont fait l’âme de Paris, rappelle Olivier Royant, directeur de la rédaction du magazine. Des photos à vif pour ne pas oublier la mémoire des hommes. »
Poursuivant depuis de longues années une démarche axée sur l’univers de la ville, Michael Wolf offre pour sa part un éclairage inédit de la violence urbaine contemporaine. Le photographe allemand propose ainsi une série troublante et terriblement dérangeante qui prend la forme d’images de grandes dimensions aux contours flous, pixelisées à l’extrême provenant de captures d’écran réalisées grâce au logiciel StreetView de Google. Pari réussi de la mise en évidence, puis en garde, de toute l’agressivité psychologique contenue dans une forme nouvelle de brutalité urbaine ; celle exercée par des caméras que nous ne percevons pas et qui, pourtant, se saisissent impunément et de manière aléatoire d’instants privés, pour les partager aussitôt avec le monde entier grâce à la magie (noire ?) d’Internet.
Une exposition à entrées multiples et dont chacun possède ses propres clés d’interprétation, qui engage en tout cas à poursuivre le débat et la réflexion bien au-delà des salons du quai de Conti.