« Il s’est passé à Auschwitz quelque chose qui reste tapi dans la société comme une béance, une blessure qui ne se referme pas. » Déporté à l’âge de 17 ans avec l’ensemble de sa famille dans les camps d’Auschwitz puis de Buchenwald en 1944, Miklos Bokor a survécu. Rentré au lendemain de la guerre dans son pays, la Hongrie – qui devient bientôt un satellite de l’Union soviétique –, il choisit définitivement l’exil en 1960, après la perte de son fils, et s’installe en France. C’est à la peinture qu’il confie dès lors le soin de porter et rapporter l’indicible horreur, l’inimaginable déshumanisation dont il fut victime et témoin ; en tant qu’homme il opte pour le retrait, l’effacement, laissant le geste et l’esthétique produire leur propre langage. « Je pense avant et après, mais quand je peins, je ne pense pas. Je ne prends aucune décision, c’est après que je constate : ce fut donc ça. Et si je faisais autrement, si je laissais ma volonté décider, il en résulterait un échec. Il faut abdiquer de soi-même, abdiquer de tout vouloir ; se rendre ouvert, disponible, n’être qu’une caisse de résonance. » De ses vastes toiles aux teintes calmes, où dominent les bruns, gris et bleus, émergent des corps à peine esquissés et pourtant terriblement présents, porteurs d’une exceptionnelle énergie lumineuse et d’une inaltérable soif d’exister. Si sa peinture et son travail développé autour de la figure humaine illustrent une évidente et profonde réflexion sur l’histoire, tragique, qui a dominé son siècle, il serait trop facile autant qu’injuste de les réduire à une forme de témoignage. L’artiste lui-même refuse de s’y laisser enfermer et part aisément vagabonder sur des chemins davantage métaphysiques qu’existentiels. Le bras tendu d’un de ces corps évanescents n’est alors peut-être pas tant un geste de supplique que d’invitation, d’appel à rejoindre le mouvement, la ronde célébrant la mémoire mais aussi l’espoir, car les toiles bouleversantes de Miklos Bokor donnent avant tout l’envie de continuer à espérer.
L’homme qui monte de l’abîme, jusqu’au 4 juin à la Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008, Paris, France.
Tél. : 01 44 71 07 72 www.galerieguillaume.com.
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