Le souffle du vent comme les flots, le feu échappé de la terre comme l’ardeur tombée du ciel ont façonné les roches, sculpté de mirobolantes contrées parfois jusqu’à l’épure extrême, le désert et ses mirages, ses pierres brûlantes le jour, éclatées la nuit. La roche dressée dans le sable murmure d’antiques secrets au souffle du vent, et le mirage se poursuit : l’homme relève le défi ; prêt à affronter les dieux, il s’empare de l’informe, pressentant « l’essence cosmique de la matière ». Créateur ou intercesseur, il n’abolit pas le hasard mais le transcende.
A l’enseigne de « l’Ecu de France », nulle taverne ou estaminet, encore moins de reîtres prêts à frapper d’estoc et de taille, mais une aimable assemblée de graveurs et sculpteurs, des maîtres en taille douce et en taille directe. Burin, ciseau et pointe sèche sont les outils de leur noble art. Pour la gravure c’est la pointe d’un stylet dont les arabesques effleurent la chair du bois ou du cuivre qui alors tressaille, vibre, se réveille d’un rêve enfoui, le délivre. Sous le ciseau, le marbre laisse ses veinures s’irriguer, abandonne vieille carapace rugueuse, se lustre, se réenchante. Ils sont une vingtaine à offrir les métamorphoses de l’inerte, la richesse et la rigueur d’une abstraction qui ne se plie aux exigences de ces pierres dures et intraitables que pour les apprivoiser, en révéler le secret, la mémoire tue. La lumière, chez Dominique Neyrod, Daniel Lacomme ou Christiane Vielle caresse des noirs bleutés, de Chine ou d’ébène ; ces orfèvres, ciseleurs de techniques pratiquement inchangées depuis Dürer, nous entraînent dans un univers de transparence et d’opacité, dans les profondeurs de l’aquatinte, et entre ombre diaphane et lumière nous laissent entrevoir un monde fantastique et la vision toujours réinventée de l’artiste.
Où le monolithe m’inspire, ou je le romps !
Ici ce ne sont que marbres, granits, laves ou basaltes. Une étrange communion se fait parfois entre l’homme et la roche ; un dialogue qui a commencé loin dans le temps, aux premières lueurs de l’humanité. Les « pierres suspendues » de Stonehedge, pense-t-on, parlaient aux astres et les hommes les avaient érigées. Chaque pierre possède sa lumière propre, une âme peut-être. Michel-Ange ne considérait pas le bloc de marbre qu’il allait affronter comme une masse informe mais comme une forme enfermée, prisonnière, qu’il s’agit de libérer. L ‘affrontement solitaire du sculpteur avec ce bloc de granit bleu ou de basalte s’annonce comme une lutte sans merci. « Le bloc scié est muet, je le casse pour ouvrir le dialogue… Ou le monolithe m’inspire, ou je le romps ! » confie Catherine Léva, qui ajoute : « Les failles me suggèrent le chemin et me conduisent dans mon cheminement. » Les pierres nous disent la patience dans leur souverain silence, la voix rencontre la vision ; Antonio Machado écrit : « Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin s’ouvre en cheminant. » Si le poète a les mots, le sculpteur a son ciseau pour s’avancer au-devant de l’âme secrète de la pierre, là où la vie s’élève, là où aussi, peut-être, elle ne s’apaise jamais. Pierres encore qui sont mémoires archaïques, lieux sacrés, jardins secrets ou entrelacs et symboles à déchiffrer dans l’espace-temps de Miyata Hideko, ou encore la matière transfigurée d’Alvaro Botez qui allie le marbre noir, le granit et l’onyx en de surprenantes mosaïques. Quant à Jean-Yves Gosti, il nous embarque pour un voyage au long cours, peut-être même au-delà des frontières terrestres. Ses figures se livrent et se dérobent. Masque sénoufos ou cyclades, ces références en trompe-l’œil ne sont qu’illusion, le sourire fugitif masque la gravité, un indéfinissable message est inscrit qu’il ne faut pas chercher à déchiffrer, mais auquel mieux vaut s’abandonner.
Enfin, un homme qui obstinément a toujours privilégié la même quête depuis plus d’un demi-siècle, un artiste qui compte parmi les derniers tailleurs de pierre, de la lignée des artisans qui ont appris à apprivoiser les « pierres sauvages », des bâtisseurs de cathédrales. Peu lui chaut la forme identifiable, ses clés sont pour les entrées secrètes, les équilibres improbables, les passages dérobés, Louis Thomas d’Hoste va à l’essentiel, à l’harmonie. Du bloc informe il tire une mystérieuse exigence intérieure, qui tel un chant profond vire de l’opacité à la lumière. « Le débat de la vision ou de la voix est plus enivrant que celui des dents ou des armes… Je vois les Dieux se réunir et donner des noms à la nuit » écrit Michel Butor en hommage à cet artiste qui communie avec la grâce, comme cette Tour aux serrures en « élévation », en suspens, transpercée de lumière.