A bien observer les quatre dernières sculptures de Mark Manders exposées à la galerie Zeno X à Anvers, la surprise succède à la perplexité, finalement transcendée par l’exaltation de découvrir, une fois encore, la folie magnifique des compositions de l’artiste hollandais. Shadow Study en est l’expression la plus insensée : un trépied aux fines jambes de métal supporte un bras tout aussi mince au bout duquel pend une tasse de porcelaine blanche, légère et retournée dont l’ombre vient taquiner un… os ! Plus loin dans la galerie, Ramble-room Chair représente le buste d’une jeune fille fragilisée par l’absence de membres inférieurs, et qui trouve l’appui salvateur d’un grand fauteuil noir. L’apparence est trompeuse : si la sculpture semble constituée de terre glaise à peine sèche, le véritable matériau utilisé par l’artiste est un bronze, gris mat pour parfaire l’illusion, que renforce la présence d’un plastique censé protéger le fauteuil de l’humidité de l’œuvre.Un procédé que l’on retrouve dans la majorité des pièces de l’artiste depuis quinze ans. « Cette couleur exprime une certaine intemporalité, explique Mark Manders, car qu’elles aient été réalisées la veille ou des années auparavant, ces sculptures se rejoignent dans le présent. »
Fragments d’un immense puzzle imaginaire en expansion depuis dix-huit ans, ces sculptures-installations dévoilent leur sens au fil du temps. Vue à la Biennale de Venise en 2001, puis à Documenta XI l’année suivante, Selfportrait as a Building, œuvre d’envergure, donne à voir des séries de gisants, un chien couché sur le flanc, la gueule ouverte sur des ramettes de papier, ou encore un chat noir coupé en deux par le fil d’un instrument au faux air de yo-yo. Des jeux de construction érigés grâce à des objets du quotidien pour créer l’interrogation et laisser une grande part d’interprétation au public. « Cette œuvre est devenue une sorte de machine dont je suis le maître mais qui évolue par elle-même en une construction logique comme un vrai building », précisait l’artiste en 2009. Mark Manders conçoit ainsi l’autoportrait non pas dans son sens littéral mais comme un ego virtuel, fictif, personnel mais aussi universel, dont il donne régulièrement des arrêts sur image. La richesse de cet univers singulier, constitué d’assemblages d’œuvres toujours renouvelés, fait de nous les maîtres d’un monde que nous construisons avec, et sans l’artiste.