A l’occasion de la semaine de l’Art Russe chez Sotheby’s France, Guillaume Cerruti, son PDG, a organisé le mardi 8 février une soirée en hommage à Edik Steinberg, en projetant le film de Gilles Bastianelli « Edik Steinberg, lettre à Malevitch », présenté par l’écrivain Dominique Fernandez.
Gilles Bastianelli est un passionné d’arts plastiques ; les peintres et la vie des ateliers il les découvre à 20 ans, en marge de ses activités professionnelles. D’atelier en atelier, il va devenir – à titre d’exemple – le spécialiste du peintre Claude Bellegarde et participer à la dernière interview filmée de Pierre Restany (décédé en juillet 2003), à ce jour jamais diffusée.
Trois rencontres vont jouer un rôle déterminant dans sa vie, la première a lieu dans les années 1990 avec Jean-Claude Meynard qui l’initie à l’art de la géométrie fractale (infiniment grand et infiniment petit, vision de l’homme et du monde où tout est interdépendant à des échelles différentes). La deuxième avec Claude Bellegarde rencontré au début des années 2000 et dont il devient le biographe – Gilles Bastianelli revendique toujours son héritage et l’initiation reçue par ce peintre à la fois maître et docteur en histoire de l’art.
De cette amitié et de l’engagement du réalisateur naît une monographie (Claude Bellegarde, La couleur vécue, éditions Somogy, 2006). De l’infiniment grand/petit biologique, Bastianelli passe à l’infiniment grand/petit spirituel (au sens oriental du terme) dans le cadre d’une rencontre fortuite avec le peintre russe Edik Steinberg en 2006 : « Edik Steinberg est mon voisin de palier, à Montparnasse. Notre relation a commencé par une banale fuite d’eau. C’est ainsi que je suis entré dans son atelier pour la première fois où j’ai découvert une œuvre qui allait changer ma vie. Comme beaucoup de ses compatriotes, il avait déjà eu une « moitié de vie » dure, inimaginable pour moi. Mais à la différence de beaucoup d’autres, son talent et la chance l’avaient mis sur le chemin de Claude Bernard. C’était le début de la perestroïka. Depuis, Edik mène une autre moitié de vie bien plus gratifiante bien que toujours assez spartiate. Je voulais faire quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Je me sentais petit et ignorant de la Russie, mais poussé par ce personnage « tolstoïen », qui me fascinait. Nos portes de palier se sont ouvertes et ne se sont pas refermées depuis. Pour lui qui avait connu les appartements communautaires c’était normal, pour moi c’était extraordinaire ! Alors, je suis parti en Russie, à Taroussa et à Moscou où j’ai été accueilli par ses amis comme l’un des leurs. Et j’ai commencé à filmer, sans scénario, ni la moindre idée. Plus je filmais, plus je me laissais prendre, moins je comprenais ce que je faisais. Puis j’ai rencontré, chez Edik, durant une belle journée d’été où l’on avait organisé pour moi un barbecue russe, le poète Iouri Koublanovski qui m’a emmené dans l’archipel des Solovki, au Nord, à 120 km du cercle polaire… Là, j’ai compris l’œuvre d’Edik Steinberg et le film s’est mis à exister. »
C’est toujours au cœur des plus puissants hasards et coïncidences que se profile le cours des choses. Il n’empêche que ce « docudart »* est un film de référence sur l’œuvre de l’artiste. Et à plus d’un titre. Tout d’abord, il est surprenant qu’un « non-initié » à la Russie, à sa culture, à son histoire et à son histoire de l’art, notamment à l’abstraction russe, soit aussi proche de la réalité spirituelle et sensible qu’elle traduit. Par ailleurs, Bastianelli arrive à suggérer qu’Edik Steinberg a été un des rares artistes du « dégel » à avoir réintroduit des systèmes suprématistes dans son œuvre, systèmes de construction picturaux hérités de Malevitch (d’où le titre du film) interdits dans les années qui ont succédé à la mort de Staline.
Réalisé en 2007, ce film possède aujourd’hui sa propre histoire. Au terme de la première version, il fallut trois années au réalisateur pour convaincre et trouver des espaces de diffusion : « Je l’ai produit seul. Il était comme une nécessité brûlante. Edik était là, avec ses tableaux, ses expositions, ses catalogues. Il était évident qu’il fallait couronner l’œuvre, la carrière et la vie de l’artiste, d’images filmées. La première projection a eu lieu en 2009, au musée de Lodz, en Pologne, qui consacrait une rétrospective à l’artiste russe. » Proposé pour les années croisées France-Russie, le documentaire n’a finalement pas eu sa place dans la programmation. Puis un nouveau concours de circonstances amène le galeriste Claude Bernard à recommander Gilles Bastianelli chez Sotheby’s.
A noter que Gilles Bastianelli est à ce jour le seul Français, à avoir été invité aux îles Solovki, qu’il qualifie de « terre sainte et de souffrance » où a été initié le Goulag décrit par Soljenitsyne. En 2009, caméra à l’épaule, le réalisateur arrivait sur cette terre désertée où ont péri les martyrs de l’ère soviétique. Nous ne pouvons qu’espérer une large diffusion des images tournées là-bas. «A la Russie, aux ânes et aux autres», pour paraphraser Marc Chagall.* Pour reprendre le néologisme de Gilles Bastianelli
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