Etiré, plissé, travaillé, le plastique ne se ressemble plus ! Depuis plus de vingt ans, Maurice Frydman a abandonné les outils traditionnels du peintre et du sculpteur pour s’adonner à cette matière transparente et maniable qu’il est plus fréquent de rencontrer dans un placard de cuisine qu’entre les mains d’un artiste. « Le plastique étirable est une matière tout à fait banale, connue de tous car elle sert à emballer fromage, viande… Elle peut prendre et épouser toutes les formes. Son exploitation graphique et esthétique est sans limites », explique le plasticien, dont les récents travaux sont actuellement exposés au palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
« Je veux me rapprocher le plus possible de l’homme, de la représentation de sa peau. » Le film plastique souple et translucide est plié, replié, tendu, parfois jusqu’à la déchirure. Une fois peinte, la « matrice » est recouverte d’un drap que l’artiste enlève après séchage pour obtenir une double composition. « J’arrache le positif du négatif et j’obtiens le transfert sur le tissu de tout ce que j’ai mis sur la matrice. Ce qui m’amène à des compositions positives et négatives dont quelques exemplaires sont présentés ici. » A la limite de la scarification, certaines pièces peuvent rendre mal à l’aise. « Il y a déchirement, rupture, cassure. On peut pousser le raisonnement jusqu’au meurtre, jusqu’au supplice », précise encore l’artiste.
Directement connectée à la vie, l’écriture abstraite de Maurice Frydman s’exprime aussi à travers des œuvres composées de plusieurs pièces, comme Tension-Torsion aux cent carrés (2010). « Quand Frydman nous parle de ses empreintes plastiques devenues “matrices”, il ne songe nullement à quelque refuge utérin (informel ?) où l’artiste s’en irait régresser, mais à une source destinée à produire des modules. D’où la nature sérielle de tous ses derniers travaux. La composition, pour lui, étant la répétition déclinée au rythme d’un module dont la rigueur favorise sa multiplication », précise Pierre Sterckx, commissaire de l’exposition.
A l’écart de ces variations plastiques, dans un espace triangulaire, l’artiste présente des lavis sur papier. Corps nu et tronqué, tête ployée sans visage, l’homme est à genoux. « J’ai failli être déporté à l’âge de 13 ans et j’en ai gardé des séquelles très profondes. Je suis fortement imprégné par l’histoire des génocides. Avant d’être exécutées, les victimes devaient se déshabiller. Je ne cesse d’imaginer la terreur de ces gens. Un tel niveau de barbarie m’obsède. » Souvent, la nuit, Maurice Frydman dessine pour conjurer l’horreur. « Ces dessins ont une relation affective, profonde, avec le reste de mon travail. Ils rejoignent la substance spirituelle et intellectuelle qu’il y a derrière toutes mes compositions matricielles. » Des Plasticités, pour un voyage mémoriel saisissant.