La poussière au cœur par Michail Michailov

Ses modes d’expression favoris sont la vidéo, la performance, la photographie et le dessin. Passant de l’une à l’autre ou entremêlant ces disciplines, Michail Michailov explore le thème de l’existence, la sienne comme celle de l’être humain au sens large. Récipiendaire du Prix Drawing Now 2018, décerné en mars dernier à Paris à l’occasion de la foire éponyme, exclusivement dédiée au dessin contemporain, l’artiste bulgare présente actuellement le fruit de ses dernières recherches au Drawing Lab, centre d’art privé, à vocation philanthropique, ouvert en 2017 par Christine Phal, fondatrice de Drawing Now Art Fair.

Michail Michailov.

Au pied de l’escalier descendant vers l’espace d’exposition, un petit banc permet au visiteur d’enfiler confortablement des surchaussures en papier. Un préalable indispensable à sa déambulation qui l’amènera à marcher à même les œuvres. « J’aime proposer cette expérience consistant à faire partie du dessin, de l’œuvre, pour moi comme pour le public. C’est un peu la même sensation que lors d’une performance », confie Michail Michailov. Un large pan du sol de la grande pièce centrale est ainsi couvert de feuilles de papier. D’autres sont disposées sur des tables ou accrochées au mur sous plexiglas. De formats variés, toutes témoignent d’un travail à la fois minimaliste et minutieux, aux allures de trompe-l’œil, qui puise son inspiration dans une réflexion autour de la poussière. « Le choix de cette scénographie était aussi pour moi un moyen d’évoquer le processus d’élaboration des dessins », et plus particulièrement celui de la série en cours, baptisée Dust to Dust. « Tout est parti de la poussière s’accumulant dans mon atelier, au fil des jours, de mes allées et venues et des visites. Ce type de résidu est très différent selon l’endroit où l’on se trouve et celui d’où l’on vient… L’idée de cette origine multiple me plaît beaucoup. » D’où le titre de l’exposition parisienne : I am everywhere (Je suis partout). L’artiste poursuit en expliquant comment il jette sur le support des poignées de poussière ramassée dans son atelier, ou bien attend qu’elle s’y dépose naturellement, avant de reproduire délicatement, à l’aide de crayons de couleur, les points, courbes et taches que tracent les minuscules éléments. « C’est le cauchemar du dessinateur que d’avoir une tache de gras ou d’eau sur sa feuille, dit-il en souriant. Je joue là-dessus et sur une forme de contradiction en dessinant de telles taches qui n’en sont pas ! »

Vue de l’exposition I am everywhere, Michail Michailov, 2019.

Né en 1978 à Veliko Tarnovo, dans le centre de la Bulgarie, Michail Michailov vit aujourd’hui entre Vienne et Paris, où il séjourna une première fois en 2013, à l’occasion d’une résidence à la Cité internationale des Arts. C’est à l’Université des Arts visuels de sa ville natale qu’il a étudié le dessin, la peinture et la sculpture avant de décider de tenter sa chance à Vienne, à l’âge de 20 ans. Le jeune homme y enchaîne d’abord les petits boulots tout en étudiant l’histoire de l’art. Bientôt, il intègre un groupe d’artistes baptisé Gelitin, avec lequel il va collaborer durant trois ans, entre 2006 et 2009. « Cette période a correspondu pour moi à un véritable apprentissage de l’art contemporain. En arrivant à Vienne, je voulais juste être créatif et explorer d’autres médias que ceux que j’avais étudiés de façon très classique en Bulgarie. Jusque-là, je ne connaissais par ailleurs rien au marché de l’art, ni au fonctionnement des galeries ou au montage d’une exposition. » Lorsqu’il quitte Gelitin, prêt à voler de ses propres ailes, Michail Michailov s’exprime autant à travers la vidéo et la photographie que la performance et l’installation. Le dessin est présent, lui aussi, mais de manière indépendante. « Cette pratique ne collait tout simplement pas avec mes explorations artistiques d’alors. » Peu à peu, les disciplines se rapprochent, jusqu’à parfois s’entremêler.

M-theorie (2016), vue de l’exposition I am everywhere, Michail Michailov.

A l’image de l’installation vidéo présentée dans l’une des deux petites salles du Drawing Lab. Par terre, un grand plateau carré tourne sur lui-même ; un des dessins de la série Dust to Dust y est posé, retenu aux quatre coins par des presse-papiers en bois de différentes tailles. Viennent se superposer à l’ensemble les images d’un personnage virevoltant dans une ronde aussi dynamique que gracieuse. La chorégraphie, inspirée d’une danse russe, et le mouvement opéré par les points et taches du dessin nourrissent un singulier ballet évoquant la révolution des planètes. Et qui vient faire écho à une autre vidéo, projetée à l’entrée de l’exposition, sur le sol de la cage d’escalier : l’on y voit, du dessus, un bonhomme lancé dans une course circulaire sans fin, tirant derrière lui un gros objet vert en forme de losange qui trace un grossier sillon dans ce qui semble être du sable. Entre drame et comédie, humour noir et gaie absurdité, l’imagination balance – tout comme devant ces ramasse-poussière et pelles, accrochés au mur ici et là par paire et découpés de façon à former chacun(e) une lettre du nom de l’artiste.
« Je mélange très souvent la vidéo à ma pratique du dessin, reprend l’intéressé. Je ne veux pas enfermer ma démarche dans une seule pratique. D’autant que ce n’est pas tant la technique qui compte pour moi, mais le propos : le thème central de mon travail, l’existence, l’être au monde, est plus important que les différents modes d’expression que j’utilise pour l’aborder. » Les dessins exposés au Drawing Lab s’inscrivent dans la suite d’un travail d’installation débuté en 2013. « Depuis, j’ai continué à le développer, je l’ai montré de différentes manières et c’est devenu en quelque sorte mon médium, celui qui me permet de créer des univers en soi. » Des univers où les notions d’échelles disparaissent, où le microcosme répond au macrocosme, voire au cosmos. Chez Michail Michailov, la poussière revêt un sens tout aussi concret que métaphorique. Résidu de nos existences, bribe d’inconscient, allusion au cycle de la vie, elle est ce que nous ne pouvons ou ne voulons pas voir. « Malgré tout, elle est là. Et je veux la rendre visible. Il y a aussi la question du “que reste-t-il ?”, “que laisse-t-on derrière soi ?” La poussière, c’est un peu comme un portrait de la vie. »

De gauche à droite, détail de l’exposition I am everywhere et Dust to dust #11 (2016), Michail Michailov.

Et les nominés sont…

A l’occasion de l’édition 2019 du Prix Drawing Now, qui sera remis lors de la Drawing Now Art Fair qui s’installera du 28 au 31 mars au Carreau du Temple, à Paris, les organisateurs ont décidé de présélectionner cinq artistes – parmi les 100 artistes éligibles présentés sur le salon –, dont les noms ont été révélés fin janvier. Il s’agit des Français Io Burgard, Lucie Picandet et Damien Deroubaix, de l’Allemand Friedrich Kunath et de l’Iranienne Nazanin Pouyandeh. Le comité de sélection du Prix Drawing Now est composé de Joana P. R. Neves (commissaire d’exposition), Emilie Bouvard (historienne de l’art et conservatrice du patrimoine), Véronique Souben (directeur du Frac Normandie Rouen), Adam Budak (conservateur en chef de la National Gallery de Prague), Philippe Piguet (critique d’art et commissaire indépendant), Daniel Schildge (collectionneur) et Jean Papahn (fondateur et président du principal mécène du prix, Soferim). Le lauréat se verra remettre une dotation de 5 000 euros et sera invité à exposer au Drawing Lab en 2020.

Contacts

I am everywhere, jusqu’au 22 février au Drawing Lab à Paris.
Le site de Michail Michailov : www.michailmichailov.com.

Crédits photos

Image d’ouverture : Dust to dust #59 (détail), 2018 © Michail Michailov – Dust to dust #11 © Michail Michailov – Les vues d’exposition sont créditées © Michail Michailov, photo S. Deman

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