Inès Di Folco : la peinture entre les mondes

Près d’une quinzaine de toiles de différents formats puisent dans une mémoire marquée par des figures tutélaires puissantes et des récits mythologiques dont l’artiste née en 1993 à Paris propose, avec The last dream before birth, de nouvelles interprétations symboliques issues d’une culture plurielle et peut-être même, d’une vie antérieure… Jusqu’au 8 avril, la galerie Laurel Gitlen, à New York, consacre une exposition à l’artiste peintre et musicienne, Inès Di Folco dont nous suivons depuis quelques années l’envol. Du 11 au 16 avril prochain, un autre volet du travail de l’artiste réalisé en duo avec le sculpteur Carsten Exner sera présenté aux Beaux-arts de Paris dans le cadre d’une grande exposition collective consacrée au projet « Mondes nouveaux ».

 Présentée par la galeriste Anne de Villepoix, lors de la 23édition d’Art Paris   dédiée à la peinture figurative, Inès Di Folco avait exposé quelques mois plus tôt – du 17 juin au 31 juillet 2021 – dans le nouvel espace de la galeriste à Belleville (Paris), un grand portrait remarquable aux cotés de deux autres figures prometteuses de la scène artistique, issues des Beaux-Arts de Paris : la plasticienne Atsoupé, d’origine togolaise, et Marcella Barceló, l’enfant aquarelliste du peintre espagnol Miguel Barceló. C’est cette année-là, que nous avions découvert la peinture de cette jeune artiste, sans tout à fait comprendre l’énigme de ses bruns et pigments bleus, aussi sombres que lumineux.

©Inès Di Folco, Inesita – 2023, huile, pigments et paillette sur toile 40 x 32.5 cm, Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen -©photo Charles Benton

Plus tard, nous avions retrouvé Inès Di Folco lors d’une exposition collective, Busca en mi pecho, « chez Agnès B », faisant dialoguer le travail de quatre artistes photographes ou plasticiens : Patrick Bona, Inès Di Folco, Pablo Jomaron et Quentin Leroy, qui se rejoignent au sein du label et de la maison d’édition Red Lebanese productrice de livres, de fanzines et à l’initiative de projets musicaux. Inès Di Folco avait choisi d’y montrer ses tout premiers grands formats, cinq toiles aux couleurs vives qui semblaient surgir des murs noirs de l’espace rue Dieu, comme autant de hublots spatiaux temporels laissant deviner avec beaucoup de grâce et une certaine mélancolie, des fictions domestiques comme autant de mythologies assumées. Inès Di Folco avait également convié dans cette exposition, sa complice de longue date Elena Valtcheva, dont elle montrait deux séries de portraits issus des archives du journal Diario de Cuba, tels des daguerréotypes fixés sur de l’or – métal inaltérable, symbole, qui sait, d’une amitié bien plus précieuse que l’argent. Inès avait quelques années plus tôt, séjourné à l’Instituto Superior de Arte à la Havane, où elle avait également collaboré à l’élaboration d’une fresque avec l’artiste Pascale Marthine Tayou.

©Inès Di Folco, Pablo et les roses – 2023, huile sur toile 60 x 50 cm.Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen – ©photo Charles Benton

Busca en mi pecho célébrait ainsi les amitiés qui nous permettent d’exprimer et de partager nos émotions, mais aussi la musique, celle qui relie les membres du collectif Red Lebanese, car Ines est aussi chanteuse et harpiste, co-fondatrice des groupes Rose Mercie et Pira Pira. Le titre de l’exposition faisait ainsi référence à la chanson de Mercedes Sosa, La resentida: « Je suis né pour t’aimer, toute la vie, toute la vie. Mon pauvre cœur est si fatigué de pleurer. Fouille et trouve le calme dans ma poitrine, maîtresse de mon âme ». Cette forme d’empathie, de lassitude presque, et de tristesse, revendiquées par des jeunes gens tout juste sortis des Beaux-arts de Paris en 2018, semblait quelque peu incongrue ! Clairement prégnant dans l’ensemble des œuvres, un parfum de nostalgie flottait dans l’air, intrinsèque même à la peinture d’Inès, dont il émanait à la fois douceur et gravité : sous une forme de tranquillité pastorale, ses personnages semblaient s’inviter dans la toile de façon fantomatique, comme s’ils appartenaient à l’univers du songe, détachés du monde réel tandis que la couleur à la fois vive et pleine de retenue était augmentée de paillettes de brillants et de cires mélangées à la main.

« Les œuvres d’Inès sont empreintes d’empathie, d’une conscience du temps qui passe, d’une “tristesse main dans la main avec la rêverie”, pour reprendre ses motssouligne Anne Vimeux, sa galeriste, et co-fondatrice du SISSI club qui l’expose depuis 2017 et présentait cet été le travail fort remarqué de l’artiste, lors d’Art-o-rama, la nouvelle foire d’art contemporain marseillaise défricheuse de talents*. Elles nous plongent au cœur d’événements sacrés, cérémoniels, où les personnages délivrent toute leur force. La peinture d’Inès Di Folco se construit comme autant de narrations flottantes nourries d’un héritage situé et recomposé. Les toiles sont libres, ancrées dans l’ailleurs. Elles ondulent comme le flot des vagues, chargées de la puissance des tumultes de l’océan. D’une rive à l’autre, les récits émergent sur la houle, enivrés du scintillement de l’eau. Les souvenirs dérivent, mus d’un nouveau sens, d’un nouvel imaginaire. »

©Inès Di Folco, Venus Kiss – 2023, huile sur toile 55 x 65 cm.Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen – ©photo Charles Benton

A Manhattan, jusqu’au 8 avril, dans le triangle dessiné par Grant street, East Broadway et Montgomery, Ines Di Folco expose une nouvelle série de peintures à l’huile sur toile, près d’une quinzaine d’œuvres de différents formats qui semblent puiser leur inspiration dans une mémoire enfantine marquée par des figures tutélaires puissantes ou bien nourries par des récits empreints de mythologies réinterprétées par l’artiste. Le titre l’exposition, The last dream before birth (Le dernier rêve avant la naissance) évoque avant même d’avoir vu l’exposition, le regard ancien et profond d’un nouveau-né, qui durant les premières heures de son arrivée sur terre, semble posséder toute la mémoire du monde, accumulée lors de vies antérieures. Pour Inès Di Folco, serait-ce un dernier hommage aux déesses, dragons et demi-dieux qui l’ont construite avant de prendre son envol ?

©Inès Di Folco, Angelosen – 2023, huile sur toile 60 x 60 cm.Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen – ©photo Charles Benton

« Dans Le Conte (The Tale, 2023, notre image d’ouverture ndlr), Di Folco représente Saint Georges et le dragon. Dans le tableau, le dragon (cum diable) est caressé par la main d’une femme majestueuse vêtue d’une robe transparente, qui protège la créature docile d’un épéiste languissant et stérile. Au lieu d’un récit classique de la victoire vertueuse sur le mal, la morale de cette histoire est ambiguë et déroutante, nous confirme le texte édité par la galerie Laurel Gitlen, qui accompagne ce beau solo show. La figure du méchant à terre est ici dépeinte comme celle d’un compagnon à protéger, tandis que le chevalier, agresseur à la cape rouge, dépose son arme dans le remords. Les toiles de Di Folco réinventent le symbolisme culturel et religieux par le prisme de l’expérience personnelle, de la mémoire et des rêves. D’autres peintures représentant des démons, des anges et des sorcières perturbent de la même manière les récits historiques et leur interprétation symbolique traditionnellement partagée. Elles remettent en question la définition de la violence légitime – de ses véritables victimes et de ses auteurs. »

 Se font face et se répondent sur les murs de la galerie des peintures aux titres d’Olokun Valis ou Olokun Council. Olokun est une divinité de la mer chez les Yorubas, un grand groupe ethnique africain vivant à l’est des rives du fleuve Niger. On dit qu’Olokun possédait un royaume sous-marin qui ne cédait en importance qu’à celui d’Olorun, le dieu du ciel, mais qu’elle avait aussi un jour détruit toute une partie de la terre. A côté de ces héros ou démons, de ces figures intemporelles – Diabolo, Underwater boy, Pablo et les roses, ou Venus Kiss – réalisées en 2023, on découvre des visions plus contemporaines, comme le portrait d’une fée verte, qui lui ressemble, ou encore, l’image complice, Prénom Carmen, d’une mère et sa fille assises au théâtre dans un cinéma ou un aéroport (?) sur fond rouge, toutes deux transportées dans un rayon de lumière.

 

© Inès Di Folco, Prénom carmen 2023, huile sur toile 60 x 60 cm. Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen -©photo Charles Benton

« J’ai découvert le travail d’Inès Di Folco pour la première fois lorsqu’un collègue, dont j’admire l’intellect, m’a recommandé son travail après l’avoir vu présenté par le Sissi Club à Art-o-rama à Marseille, nous confie le galeriste Lauren Gitlen. Après être allés dans son atelier à Paris, nous avons décidé de montrer une exposition d’Inès car le travail est envoûtant et inventif. Ses œuvres sont à la fois profondément réfléchies et quelque peu intuitives. Elles ont une qualité inattendue et sérieuse, qui est saisissante et inhabituelle dans la peinture d’aujourd’hui. Inès est confiante et sûre de sa pratique ; cette bravoure et cette chaleur se prolongent dans ses peintures », conclut le galeriste enchanté, Laurel Gitlen.

 

©Inès Di Folco, Olokun Council – 2023, huile sur toile 55 x 38 cm.Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen – ©photo Charles Benton

Inès Di Folco travaille actuellement en duo avec le sculpteur Carsten Exner sur un projet d’exposition commune Riparia, qui fait partie des 264 projets artistiques retenus dans le programme « Mondes Nouveaux » proposé par le ministère de la Culture dans le cadre du « Plan relance » : « Riparia fait allusion à l’allégorie du pardon par l’évocation du fleuve, et par extension de la rivière et de tous les phénomènes qu’ils peuvent engendrer – en tant qu’espace culturel à la fois géographique concret et mystique, les fleuves sont des frontières naturelles en harmonies avec le paysage. Comme les veines de la terre mouvantes et transgressives, elles traversent les générations et la notion même du temps ». De la préhistoire à l’époque actuelle, les œuvres proposées par le duo d’artistes entendent tisser un réseau qui relierait le monde animal et la mythologie, à l’histoire contemporainele corps amphibie pour approcher la rivière et ses secrets. Voici en quelques lignes, le résumé d’un projet ambitieux qui sera révélé dans le cadre d’une grande exposition collective aux Beaux-arts de Paris, et par  lequel Di Folco crée encore une fois, des ponts entre les mondes.

*Lauréate du prix Sitel dans le cadre de Jeune création et du prix d’acquisition Because of many suns, lors d’art-o-rama 2022

Image d’ouverture> ©Inès Di Folco, The Tale – 2023, huile sur toile, 60 x 80 cm. Courtesy de l’artiste et la galerie Laurel Gitlen – ©photo Charles Benton

Contact> The last dream before birthsolo show d’Ines Di Folco, du 2 mars au 8 avril 2023. Laurel Gitlen gallery, 465 Grand Street #4C, New York, NY, 10002 – Tél. : 212.837.2854  ou Tél. :  503.490.7255. (Entrée par  East Broadway). www.laurelgitlen.com

Mondes nouveaux, Beaux-arts de Paris  : Exposition collective  du mardi 11 avril au  dimanche 16 avril 2023
, en entrée libre. Beaux-Arts de Paris
, 14 rue Bonaparte, Paris 75006. 
Mardi de 17h à 22h et du mercredi au dimanche de 12h à 22h.  www.mondesnouveaux.fr

 

 

 

 

 

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