Née en 1986 à Liège, en Belgique, Claire Fanjul a grandi dans la région lilloise où elle est aujourd’hui installée. Curieuse et dynamique, elle n’hésite pas à s’éloigner de la feuille de papier pour partir expérimenter de nouveaux supports : table, chaise, tissu et autres œufs d’autruche comptent déjà parmi les terres d’accueil de son univers hybride et foisonnant. Toujours heureuse de nouer contact avec le public, la jeune femme estime qu’un artiste « doit être connecté au monde qui l’entoure ». Du 6 juin au 12 juillet, elle expose dans le cadre d’une manifestation collective – intitulée Elles et dédiée aux talents féminins – proposée par la Mazel Galerie, à Bruxelles. Retour sur un parcours déjà riche de rencontres et de projets.
« Tous les enfants dessinent. Devenus adultes, la plupart des gens s’arrêtent ; portant un regard trop sérieux sur ce qu’ils font, ils se sentent nuls… Pour ma part, je ne me suis jamais vue cesser de dessiner. C’était tout simplement naturel de poursuivre sur cette voie ! » Claire Fanjul a le regard pétillant et l’enthousiasme communicatif. Installée depuis plusieurs années à Marcq-en-Barœul, près de Lille, elle a grandi et étudié dans la région. Née à Liège, en Belgique, en 1986, elle a aussi des origines espagnoles, du côté de son père comme de sa mère. Enfant, encouragée par ses instituteurs comme par son entourage, elle suit des cours de dessin tous les mercredis, tandis que sa sœur, de deux ans son aînée, se perfectionne en piano – elle est aujourd’hui agrégée et enseigne la musique. « Nous sommes très différentes, car elle n’est pas créatrice, elle n’écrit pas de mélodies. L’avantage, c’est qu’il n’y a aucune concurrence, nous sommes complémentaires ! »
A 16 ans, Claire Fanjul présente sa première exposition personnelle – à la bibliothèque de Seclin, au sud de la métropole lilloise – et vend plusieurs toiles. « A l’époque, je peignais, mais avec déjà la volonté d’avoir recours à un minimum de moyens : j’utilisais du brou de noix, de l’encre de Chine, des piques à brochette… » Pendant ses années de lycée, elle s’installe souvent, le dimanche matin, sur la place des Archives, dans le Vieux-Lille, où se tient le Marché des créateurs. « J’adorais être en contact avec le public, être confrontée au regard des gens. Cela continue d’ailleurs de m’être nécessaire. Pour moi, un artiste doit être connecté au monde qui l’entoure. » L’adolescente se prend à rêver, imagine passer son baccalauréat et bientôt vivre de son art. Sa mère, pourtant son plus fervent soutien, la ramènera gentiment, mais fermement, sur terre en ne lui laissant d’autre choix que de poursuivre des études supérieures.
La gravure pour passion initiale
Direction l’université, département arts plastiques à Lille III, à Tourcoing : « Je n’avais pas envie d’intégrer une école d’art, car j’avais peur d’être trop influencée, de ne pas y trouver ma place, peut-être aussi. » Son master en poche, elle obtient une bourse grâce à laquelle elle débute une thèse – aujourd’hui en phase finale –, qu’elle poursuit parallèlement au développement de sa pratique artistique. « L’une et l’autre se nourrissent mutuellement. J’évoque mon travail dans ma thèse – elle a pour sujet l’acte de graver – et cette dernière me permet de sortir concrètement et intellectuellement du dessin. Je ne pourrais pas dessiner douze heures par jour, mécaniquement. » La jeune femme enseigne également dans différentes institutions de la région. Une activité liée à un plaisir sincère de l’échange et de la transmission.
Du burin à la palette graphique, en passant par la plume trempée dans l’encre de Chine et le marqueur Posca, Claire Fanjul n’aime rien tant que de passer d’un outil à l’autre et d’expérimenter tout type de support. Elle a notamment participé aux deux dernières éditions de la vente aux enchères annuelle de l’association La Source, fondée par Gérard Garouste, et a successivement travaillé sur une table – signée par les frères Bouroullec – et une chaise – créée par feu Jean Prouvé –, toutes deux éditées par Vitra. Depuis plusieurs mois déjà, elle dessine sur des œufs d’autruche et a en projet une réalisation sur tissu – une forme d’exercice à laquelle elle s’est déjà essayée en 2011 – pour une grande maison de luxe, mais ne peut en dévoiler davantage tant que sa création n’est pas officiellement rendue publique. « Je n’aime pas être coincée dans un univers », confie-t-elle en évoquant plusieurs années presque entièrement consacrées aux différentes techniques de la gravure : « De 18 ans jusqu’au master, je ne faisais que cela. Mais j’ai fini par me sentir un peu trop enfermée, par souffrir de la manipulation des produits chimiques, comme des contraintes inhérentes à l’impression. Le dessin, quant à lui, offre une plus grande liberté : rien n’empêche de faire une pause et de revenir travailler la feuille de papier plus tard. »
Une faune hybride et fantastique
Lorsqu’elle dessine à plat, l’artiste commence généralement par déterminer « très rapidement des structures, des masses, à l’intérieur desquelles je vais développer des formes plus précises. Je ne conçois pas mon travail en tant que dessin finalisé, je vois plus des éléments qui s’entremêlent et dialoguent », et se révèlent au regard avec malice et subtilité. « J’adore quand il y a des choses cachées. » Une séquence de télévision, une personne croisée dans la rue, l’artiste puise son inspiration au fil du quotidien. Son style, lui, « évolue en permanence », tout en restant figuratif et narratif. « Quand j’avais 15 ans, je peignais des corps décharnés, des charniers, des squelettes… Et j’avais l’habitude de répondre aux gens qui s’interrogeaient sur le contraste entre mon gentil minois et ces dessins lugubres qu’il ne reflétait pas mon mal-être, mais celui des autres ! Aujourd’hui, ça peut être parfois encore un peu noir, mais avec une touche d’humour en plus. »
L’humain a par ailleurs quasi disparu de ses compositions, au profit d’une faune hybride et fantastique, rappelant les bestiaires du Moyen Age, habitant des enchevêtrements d’architectures improbables et fascinantes.
« L’animal est prétexte au motif – j’adore cette notion et celle de l’ornement – : il a des poils, des écailles, des rainures, des zébrures, etc. Alors qu’avec les corps, à part les habiller, il n’y a que peu de possibilités de cet ordre ! J’affectionne aussi tout ce qui est rouages, tuyauteries, explosions… J’en tire des sortes de pictogrammes. » Sa formation en histoire de l’art est elle aussi source d’une multitude de références disséminées dans son univers graphique. A ceux qui lui reprocheraient le caractère enfantin associé aux créatures qui le peuplent, elle rétorque qu’elles sont toutes porteuses sens. « Elles représentent les vices, les humeurs. Quand je vois des êtres humains, je les associe souvent à des animaux : le renard futé, le hibou voleur, etc. Un peu comme on le faisait au Moyen Age. J’aime particulièrement cette époque ! On a tous un air animal, ce n’est pas péjoratif. » D’ailleurs, de la curiosité joyeuse du jeune chat à l’assurance du grand fauve, il y a indiscutablement quelque chose chez elle du félin. « Je m’amuse beaucoup, conclut-elle. Et c’est ce qui importe. Je préfère que cela fasse plaisir aux yeux, que ça soit vivant, quitte à ce que cela soit qualifié de décoratif, ça m’est égal. Je veux vivre les choses simplement et pleinement. »
L’œuf, un nouveau territoire d’exploration
L’année dernière, le galeriste bruxellois Patrick Mazel, qui soutient Claire Fanjul depuis trois ans, confiait à chaque artiste de sa galerie un des œufs d’autruche qu’il avait ramenés, quelques temps auparavant, d’Afrique du Sud. Chacun était invité à le détourner librement. « L’œuf évoque la fécondité, la féminité ; ça a un côté design aussi, estime Claire Fanjul. Et mon dessin en noir et blanc a particulièrement bien fonctionné avec le support. » Une fois les œufs réunis, le galeriste les avait disposés à l’entrée de son établissement, pour le plaisir. « Quand les gens entraient pour découvrir l’exposition du moment, ils étaient immanquablement attirés aussi par les œufs. Ils demandaient même leur prix ! », se souvient la jeune artiste. Depuis, elle s’est emparée avec envie de ce nouveau support, qui « amène une touche d’originalité et renouvelle quelque peu le genre du dessin en le sortant du plan auquel il est lié ». C’est au marqueur Posca, qui a l’avantage de ne « bouger ni à la lumière ni à l’eau », qu’elle couvre la surface lisse et courbe, essayant toujours de s’imposer une structure, en partant d’un point, avant de laisser libre cours à son imagination. Présentés lors de Lille Art Fair, en février dernier, comme lors du salon Drawing Now, le mois suivant à Paris, ils sont parmis les œuvres proposées en juin au regard durant l’exposition Elles, à la Mazel Galerie de Bruxelles.