La galerie Danielle Bourdette Gorzkowski, à Honfleur, accueille jusqu’au 8 janvier De Moscou à Paris, rencontres et paysages, une exposition consacrée aux peintures de Nicolaï Dronnikov, accompagnées des Images de la Russie éternelle d’Alexander Vedernikov.
Né à Toula en 1930, Nicolaï Dronnikov est arrivé en France en 1972, au moment même où les artistes formalistes moscovites et pétersbourgeois allaient quitter l’URSS pour Paris. Dronnikov émigre cependant en marge de tout mouvement artistique, pour des raisons familiales. Il vit et travaille aujourd’hui à Ivry. Sculpteur, peintre, dessinateur, écrivain, il imprime et relie également des livres, qu’il illustre par ailleurs, où il est question de culture russe moderne et contemporaine et qui ont notamment fait l’objet d’une donation à la Bibliothèque Nationale en 2005.Une indépendance créatrice
Sa carrière début en 1941, date à laquelle il expose sa première sculpture à Moscou, puis il intégrera les Beaux-Arts. Mais être toute simplement peintre en URSS, en marge du réalisme formaliste, n’est pas une sinécure. Si les années 1957-1962, dites du « dégel », permettent aux artistes considérés comme formalistes d’exposer – dans le cadre de la déstalinisation – les années qui précèdent et succèdent voient toute liberté d’expression artistique condamnée par le régime. Nicolaï Dronnikov comprend relativement vite qu’en URSS, et dans l’esprit soviétique, le tableau et l’artiste « n’existaient plus et qu’il fallait faire des choses nécessaires à la société soviétique. A l’école, on disait aux enfants que l’intelligentsia devait être exterminée parce qu’elle était inutile. En 1946, à l’époque du décret contre Akhmatova*, j’ai compris qu’on n’avait pas besoin de moi. »
Poursuivant néanmoins ses recherches figuratives jusqu’à aujourd’hui, il a toujours revendiqué une indépendance créatrice et des références artistiques modernes, citant Larionov et Gontcharova, ainsi que Matisse, Van Gogh et Monet comme source quasi passionnelle d’inspiration. La couleur pure et le cerne noir de ses motifs synthétiques renvoient explicitement au néo-primitivisme russe qu’il a parfaitement prolongé.
* Décret du Comité Central du 14 août 1946 à l’encontre d’écrivains parmi lesquels la poétesse Akhmatova (1889-1966), qui inaugure une politique de durcissement envers les intellectuels.
Malgré tout, et en marge de sa francophilie, la peinture de Nicolaï Dronnikov a constamment commémoré sa première muse : la Russie, la vraie Russie, celle qui a résisté à l’annihilation soviétique, qu’elle ait un ou cent visages. A titre d’exemple, chez lui, sur les murs de l’escalier de sa demeure, est exposée une sélection de ses portraits de dissidents russes : Rostropovitch, Vissotsky, Soljenitsyne (pour ne citer que les plus célèbres et les plus contemporains). Les « indésirables » ont ainsi, selon lui, trouvé leur place dans le panthéon d’une intelligentsia russe contemporaine, figurants par ailleurs aux côtés des fleurons de la culture russe, qu’elle soit littéraire, musicale, ou picturale. Une version peinte de son portrait de Pouchkine est exposée en permanence aux Editeurs Réunis (librairie russe de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, Paris 5e).
Un ensemble de toiles représentatives de son talent et des sujets qu’il a inlassablement traités depuis les années 1970 sont aujourd’hui présentées à la galerie Danielle Bourdette Gorzkowski d’Honfleur. Observer son travail et dialoguer avec lui permet d’entrevoir un siècle de peinture figurative et de se souvenir du courage de ceux qui se sont opposés, sans armes, au nom de la liberté. Chez ce Russe devenu français, il ne s’agit, bien entendu, que de la liberté de peindre et de sculpter comme il l’entend et de livrer, peut-être pour la mémoire, les images d’une culture underground qu’il a perpétuée.

Charlotte Waligora est l’auteur d’une thèse intitulée La vie artistique russe en France au XXe siècle.