L’œil pétille ; il jauge mais ne juge, se toque et ne se moque. L’homme a tout du sage peu assagi – ce serait lui faire injure ! Plutôt qu’une cravate rouge (il adore le rouge et le vermillon de ses toiles le lui rend bien), il préfère un bon gorgeon, même s’il dérape sur son plastron. Et d’évoquer les « chemises rouges » en Thaïlande… la barbichette très mandarine en frise d’allégresse et l’œil se fait la belle vers des contrées lointaines : la puszta, la steppe hongroise de ses origines, ou la Mongolie de sa seconde naissance. D’ailleurs, sous son allure bonasse de sage chinois espiègle, ne se cacherait-il pas quelque honorable correspondant venu d’Asie, un nomade sans feu ni lieu, chaman des hauts plateaux tibétains ou le dernier avatar d’un animal mythique ; Franyo Aatoth, Magyar de France, a dû naître cheval, il y a très, très longtemps, ce fameux cheval de Przewalski réputé indomptable. Franyo le dessine, on n’ose dire l’incarne, avec le souffle et la fougue qui balaient ces steppes infinies. Arrivé en France en 1978, formé à l’Ecole nationale des beaux-arts à Paris, cet artiste éclectique fou de musique découvre l’immensité sauvage et préservée de la Mongolie dix ans plus tard. Il en fait sa patrie d’adoption après y avoir rencontré sa femme ; et sous l’emprise de l’une comme de l’autre, il apprend le mandarin. Il réalise aussi quelques documentaires et des clips d’animation pour la télévision française (l’informatique n’a pour lui aucun secret). Bertrand Cantat, un ami de longue date, lui dédie ce bel hommage : « Franyo, c’est l’œil qui surgit d’une ancienne fumerie d’opium et qui transperce le rideau brumeux comme on passait le rideau de fer… »
Peindre la tête en bas
Qu’il expose à Pékin, Kiev, Chicago ou Paris, son monde est celui des grands espaces, des terres encore vierges, même si la peinture demeure au cœur de sa passion. Elle lui permet de « lâcher ses chevaux » là où il se trouve. D’Oulan-Bator, « la ville du héros rouge », capitale de la Mongolie, il n’empruntera aucun petit livre rouge, mais uniquement la couleur, comme sceau récurrent de son œuvre picturale. Entre humour et dérision Franyo enfourche ses grands chevaux pour fustiger ce qui doit l’être : vacuité des vanités, tout est vaine vérité. Tout s’en mêle dans ce méli-mélo, absurdité et tendresse, surréel et loufoquerie, pudeur et indignation et le vilain clampin de la bien-pensance de s’en donner à cœur joie. Les Marx Brothers ne s’y perdraient nullement, eux qui excellaient à tout dynamiter sur leur passage. Le démiurge pourfend allègrement, se moque des codes, ne craint pas de peindre la tête en bas, non sans baliser ses trajectoires, juste pour voir « autrement ». Comme dans Land où un homme sur son tracteur brandit triomphalement son Stetson alors qu’aux quatre coins de la toile apparaissent quatre visages burinés, ceux d’Indiens venus nous rappeler d’anciennes spoliations. Mais toujours, en creux une compassion souriante affleure qui nous souffle que Don Quichotte aurait sans doute, comme lui, pris fait et cause pour le Tibet. Et ce Franyo-là pourrait reprendre à son compte l’adage du vieux G. K. Chesterton : « La vie est trop sérieuse pour être prise au sérieux. »