C‘est au Fresnoy en 2019 que nous avons rencontré l’artiste iranienne Yosra Mojthahedi pour la première fois, elle y présentait une installation sculpturale énigmatique et vibrante que l’on pouvait toucher tel un rocher soyeux, une pâte à pain voluptueuse, un ventre… plein d’aspérités sensuelles répondant à la rencontre de l’autre. Vitamorphose : abstraction d’un corps, humain ou bien animal, organique ou minérale : « Cette forme-objet à la fois vivante et inerte, n’est-elle pas l’image même de Vénus, déesse de l’amour et de la séduction, de la beauté féminine ou encore de la civilisation, qui unit le feu mâle à l’eau femelle, pour donner la vie », nous donne à penser l’artiste. Car pour Yosra Mojthahedi, qui détourne des rochers et des pierres par des attributs sexuels féminins et masculins, née à Téhéran en 1986, dans un pays où le corps est un sujet tabou et sa représentation interdite, Vitamorphose est déjà l’expression artistique d’une censure. « Mes travaux sont, en réaction, sensuels et sensoriels : tactiles, olfactifs, touchant à l’érotisme et à la féminité ; il y baigne une atmosphère surréaliste-obscurantiste, explicite l’artiste, un espace affranchi des lieux et du temps, où les objets et les éléments sont symboliques – fleurs, pierres, cordons ombilicaux, organes dans une pénombre crépusculaire. Si quelque chose a orienté mon travail, c’est bien la censure iranienne ». Issue de la promotion André S. Labarthe (2018 – 2020) du Fresnoy, studio international dédié aux arts médias, Yosra Mojthahedi est diplômée des Beaux-arts et dessine depuis toujours. Le noir est sa couleur, la couleur du zan pourrait-on dire, cette matière élastique enroulée sur elle-même au goût âpre et sucré que l’on suçait enfant ; zan comme la femme iranienne, que le slogan Zan Zendegi Azadi, Femme, Vie, Liberté révèle à la lumière de l’obscurantisme comme un oxymore. « Je sculpte l’ombre qui sort de la lumière », affirme l’artiste*. L’encre en est la matière, la veine intarissable qui s’émancipe de la page comme des volutes partent en fumée pour convoquer l’érotisme à partir de formes organiques et végétales qui se confondent. « L’artiste prête au noir des intentions cachées dans les plis et replis de ses dessins, tels des indices nécessaires à la compréhension de ses installations, remarque le critique d’art Christophe Wlaeminck. Dans une sensualité débordante, le masculin se fond dans le féminin en un corps total, désirant et réactif, impulsant le désir chez le spectateur. De l’objet du désir, s’il l’est encore, à l’heure du tout abject, il en est question : érectilité mécanisée, senteurs synthétisées, corps végétalisé, minéralisé, démembré, ré-assemblé, déconstruit avec la nécessité de le repenser, à l’heure de l’après ; de l’après-tout-ce-qui-se-passera, de toutes les manières…» L’exposition Germinations noires inauguré le 1erdécembre 2022 propose une immersion dans l’œuvre de Yosra Mojthahedi composée d’une installation, de dessins, de sculptures animées et de photographies… autour d’un tapis.
*Extrait d’un très beau texte de Gersende Petoux Turner publié chez ARALYA
Complément d’informations> Germinations Noires, Yosra Mojthahedi au 3CINQ, Centre d’art contemporain, au 4 place du Temple à Lille, du 2 décembre 2022 au 21 janvier 2023. Un commissariat de Valérie Boubert.
Le samedi 14 janvier à 16 h, l’artiste nous invite à découvrir son exposition en cours, à l’occasion d’une rencontre orchestrée par Marc Lasseaux, président des Amis du Frac Grand Large et Fondateur du programme Vivre (avec de) l’Art.