Une semaine formidable !

La tentation d’un inventaire à la Prévert est forte tant les propositions autour des foires parisiennes d’automne sont multiples et variées. Durant une dizaine de jours, l’amateur d’art contemporain court de vernissage en conférence, de performance en présentation, tentant de voir ce qui l’intéresse le plus. Le programme est si chargé qu’il ne laisse que peu la place à la simple curiosité. L’époque est passée de l’obligation de donner le choix à celle d’en faire un. Profitant de cette dynamique annoncée, certains ont décidé de se décaler. Ainsi dès le 1er du mois, l’Institut italien invitait à rencontrer Michelangelo Pistoletto. Accompagné d’Anna Zegna, présidente de la Fondation éponyme, l’artiste est venu présenter la Cittadellarte, école qu’il a fondée dans les années 1990 à Biella, en Italie, et dont le développement repose sur des pratiques d’un art responsable ayant pour vocation de s’insérer positivement dans le tissu urbain et social. Mais revenons à la folle semaine qui nous occupe aujourd’hui. ArtsHebdoMédias s’est adonné sans réserve au marathon qu’elle propose. En voici quelques étapes.

La qualité dans l’équilibre à Art Elysées

Superbe ! Il suffit d’emprunter l’allée qui traverse les deux pavillons principaux d’Art Elysées pour se persuader que l’édition 2019 de la foire est une réussite. L’œil est heureux. Il se pose tour à tour sur des œuvres qui ont fait l’histoire de l’art du XXe siècle et qui écrivent celle du XXIe naissant. Hartung, Nikki de Saint-Phalle, Arman, Arroyo, Adami, Appel… mais aussi Hains, Monory, Pincemin, Erro, Ben, Combas… sont présents grâce à des professionnels qui n’affichent pas un nom pour un nom, mais proposent des pièces sélectionnées avec soin. Citons en exemple l’AD Galerie qui encadre une figure facétieuse sortie de l’univers du graffiti d’Alexone par une toile de Peter Klasen et un dessin de Keith Haring, le tout observé par une sculpture étonnement maniériste de César. Plus loin, la galerie Véronique Smagghe met en valeur le remarquable travail de Vera Molnar face à celui d’Arthur Aeschbacher. La Maison parisienne laisse pour sa part s’exprimer la virtuosité du geste de Simone Pheulpin, dont les formes de coton brut rappellent la charge émotionnelle et sensitive de la matière. Qualité dont la galerie de Stéphane Jacob se fait toujours écho à travers les œuvres d’art aborigène qu’elle fait découvrir et notamment ces sculptures réalisées en filets de pêche récupérés sur les plages du Grand-Nord australien. Autre choix à saluer, celui de la galerie Slotine qui consacre tout son espace au dessin géométrique tout en courbe et volume de Sascha Nordmeyer. Dans le pavillon consacré plus spécialement à l’art urbain, des œuvres répondent avec audace à la qualité de leurs aînées. A ne pas manquer, le travail sur le point de fuite de Katre à la galerie Wallworks, les œuvres de Bom.K et Levalet qui célèbrent le trait à la galerie Joël Knafo, le paysage de Tanc au côté d’une sculpture de L’Atlas à la galerie Perahia. Et vous ne manquerez pas d’emporter un des 3 000 crabes en céramique de Javier Balmaseda. 20 % du prix des ventes sont promis à SOS Méditerranée.
Jusqu’au lundi 21 octobre, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris.

De bonne surprise en bonne surprise à l’Asia Now

C’est toujours un plaisir de découvrir l’Asia Now. Depuis cinq ans, la foire installée dans un très bel immeuble de l’avenue Hoche offre une visibilité sur les scènes artistiques de l’Asie. Ici, point de zone de confort mais la joie de s’ouvrir à d’autres manières de penser la forme. Est-ce pour autant que notre regard est perdu. Non évidemment. Les références à l’art occidental, à ses pratiques, ses obsessions et ses fulgurances existent mais elles sont pour l’essentiel digérées, détournées, renouvelées. Une suggestion qui n’est pas à sens unique : il n’est pas rare de voir des artistes d’ici s’emparer de la calligraphie ou de l’ikebana, par exemple. Pratique qui ne saurait être qualifiée de détournement blâmable. N’est-ce pas ? Commençons donc la visite par l’A2Z Art Gallery et le travail de Shiori Eda. Déjà présente l’an dernier, l’artiste japonaise y propose notamment une pièce réalisée in situ. Des humains exsangues se prosternent sur le sable devant une forêt de végétation séchée. Inutile de pousser l’analyse plus loin, la scène parle sans aide. Autre étage, autre bâtiment. Ici, il faut monter, descendre et faire des boucles à se perdre. VADA (Visual Arts Development Association) et Intersections Gallery présentent un solo show de Desiree Tham. La jeune artiste singapourienne y présente des pièces à la facture très différente les unes des autres comme des collages ou des détournements d’objets du quotidien. A signaler particulièrement, ces cubes composés de dés à jouer et ces plantes installées dans des vases métalliques sur lesquels glisse l’idéogramme de l’eau. Dans ce même espace, ne pas manquer de discuter avec Hunter Panther Deerfield du projet KIRTI (www.kirti-project.com) qui s’intéresse à la manière dont l’art de l’Asie du Sud-Est est encadré. Une plateforme en ligne répertorie travaux et artistes. Un projet de publication papier a besoin de soutien. Avant de retrouver le rez-de-chaussée, le solo show d’Heri Dono à The Columns Gallery vaut le détour. L’artiste indonésien et le galeriste sud-coréen présentent une peinture pop faite de réminiscences du wayang, théâtre d’ombres pratiqué dans les îles de Java et de Bali, et de références aux comics. A bien y regarder, ne serait-ce pas le signe de Batman planqué par-là ? Autre réjouissance, bien que totalement dans un autre registre : le travail du sud-coréen Hong Buhm. Installé à New-York et représenté par la Gallery SoSo, il donne à voir des espaces intérieurs avec une précision du trait qui force l’imaginaire. Ses pièces vides respirent le fantastique que l’artiste met en scène dans une animation vidéo bluffante de simplicité et d’émotion. Celui qui pense le souvenir au cœur de son œuvre nous en offre un précieux aux formes instables comme la mémoire. Avant le quitter Asia Now, il faut recommander chaudement la visite d’IRL (In Real Life) Platform, accessible à partir de la cour intérieure. Imaginé par Xiaorui Zhu-Nowell, conservatrice adjointe au Guggenheim de New York, cet espace met en lumière des artistes nés à l’ère digitale et dont le travail interroge les technologies, leurs utilisations et la place de l’humain dans un monde de données en expansion frénétique. Parmi les propositions, signalons l’installation Racing Thoughts de Liu Wa montrée par Sabsay et les vidéos Brest Spray et Men as Bags de Pixy Liao représentée par Chambers Fine Art. Choisir, c’est toujours renoncer !
Jusqu’au dimanche 20 octobre, 9, avenue Hoche, 75008 Paris.

Un petit air de Venise à la Fiac 2019

Etre leader n’est pas une position facile. Chaque édition est à la fois encensée et conspuée. Il y a les aficionados et les détracteurs. Qu’ils se déplacent ou non ! Finalement, tout est bon signe tant que l’événement demeure observé et envié. Installée comme à son habitude au Grand Palais, la Fiac reste donc la plus importante foire en France. Et même si elle déchaîne moins les passions par des propositions artistiques spectaculaires, décalées, voire déplacées, cette institution est un rendez-vous essentiel pour ceux qui s’intéressent au marché de l’art. Et son développement n’a de cesse de tenter un déplacement de ce marché vers la sphère plus large de la programmation culturelle. Désormais « multicanal », la Fiac est bien plus qu’une foire. Elle investit l’espace public, non seulement en y déposant des œuvres (Jardin des Tuileries, Place de la Concorde, Place Vendôme) mais aussi en rendant piétonne l’avenue Winston Churchill (qui durant la foire sert d’espace pour se retrouver, boire un verre ou déjeuner), déploie des projets dans des musées comme au Petit Palais ou au Musée national Eugène Delacroix et met en place une programmation de performances, de discussions et de projections. Sans compter toutes les initiatives dont elle se fait le relais et qui bénéficient de sa dynamique. Certes la Fiac est expansive, a tendance à saturer l’espace, mais quel en serait le sort si elle ne se développait pas ? Maintenant, cessons les considérations générales pour dire ce qui nous a fait très plaisir dans cette édition 2019 de la Fiac : avoir retrouvé Ian Cheng (Gladstone Gallery), Alex Da Corte (Sadie Coles HQ) et Anicka Yi (Gladstone Gallery), trois artistes dont nous avions apprécié les œuvres, en mai, à la Biennale de Venise.
Au Grand Palais, jusqu’au dimanche 20 octobre.

Les discussions sensibles de Béatrice Soulié à la Outsider Art Fair

Pour sa 7e édition, l’Outsider Art Fair investit le très bel espace de l’Atelier Richelieu. Loin des accrochages épurés du white cube, les galeries ont choisi de montrer un maximum d’œuvres. Il faut dire que les artistes qu’elles représentent affectionnent souvent les formats de petite taille. Malgré des sujets souvent graves, ici, c’est la fête ! Il y a des formes et des couleurs, des obsessions et des partis pris, défendus par des galeristes volubiles et engagés. La visite ne peut pas se faire dans la distance, il faut s’approcher, regarder et discuter. Pour vanter cet opus 2019 de la foire, nous pourrions nous attarder auprès de la Cavin-Morris Gallery, qui présente de remarquables dessins tout en transparence réalisés aux crayons de couleurs sur papier par M’onma et d’émouvantes peintures colorées sur coton et contreplaqué signées Issei Nishimura, ou de la galerie Pol Lemétais, seule galerie française à participer encore à la version américaine de l’Outsider Art Fair, à New York, mais nous n’en ferons rien. Car c’est décidé, toute notre attention portera sur le travail de la galeriste Béatrice Soulié. Amoureusement accrochées les unes à côté des autres, les pièces discutent. Les écouter, c’est comme retrouver le plaisir d’une conversation entre amis. Il y a celles identifiées dans l’instant comme les Nambias de Gérard Cambon, les bas-reliefs en bois de Marc Bourlier, les personnages en os de Sabrina Gruss ou encore les portraits de Victor Soren, et celles moins connues comme les poupées de Terry Curling ou les scènes découpées de Béatrice Elso. Toutes ces œuvres, Béatrice Soulié les aime. Jamais elle ne les présenterait si elle n’avait pas, en premier lieu, eu envie de les accrocher chez elle. La galeriste est une affective. Tant avec les artistes, qu’elle réunit comme s’il s’agissait des membres d’une même bande, qu’avec les collectionneurs qu’elle qualifie d’adorables. Au mur et sur les étagères, les discussions se poursuivent. Elles sont toutes magnifiques, pleines d’authenticité et de vibrations. Il n’est plus question d’informer maintenant mais d’afficher une conviction.
A l’Atelier Richelieu jusqu’au 20 octobre.

Penser déjà à la Biennale de Riga

Cette semaine de festivités artistiques parisiennes fut également l’occasion pour l’équipe organisatrice de Riboca, la biennale d’art contemporain de Riga, en Lettonie, de venir présenter le projet curatorial de sa deuxième édition, programmée du 16 mai au 11 octobre 2020, conçu par la Française Rebecca Lamarche-Vadel. Commissaire au Palais de Tokyo entre 2012 et 2019 – elle y a, entre autres, orchestré les expositions de Tomas Saraceno, Tino Sehgal et d’Ed Atkins –, la jeune femme a pris la direction, au début du mois d’octobre à Paris, de la Fondation Lafayette Anticipations. Placée sous la thématique du réenchantement, à appréhender comme facteur d’actions, de réflexions et de récits alternatifs dans la perspective d’avenirs communs, et dans une volonté d’aller à l’encontre des scénarios catastrophes et sans espoir qui circulent actuellement, Riboca2 entend questionner l’art comme force de proposition de modèles alternatifs à notre façon d’habiter la Terre, de futurs avenirs dans un contexte de profonde mutation écologique, économique et sociale. « La Biennale s’inspire de l’histoire de Riga, de la Lettonie et des pays baltes, qui a connu de nombreux tournants suite à des périodes d’occupations, de guerres, de changements économiques, rappelle Rebecca Lamarche-Vadel. Ces conditions ont nourri diverses formes de résilience qui ont notamment abouti, en 1989, à une chaîne humaine surréaliste de deux millions de citoyens, une sculpture sociale de 600 km reliant Tallinn, Riga et Vilnius. » L’histoire de la région et ses spécificités sociales, économiques et culturelles sont, depuis ses débuts, au cœur du projet de la biennale Riboca, dont la deuxième édition réunira une soixantaine d’artistes baltes et d’envergure internationale.

Performance musicale signée Bendik Giske proposée à l’occasion de la présentation de Riboca2 à l’hôtel Normandy, à Paris, ce vendredi 18 octobre.

A propos de l’Immersive Art Festival à l’Atelier des Lumières

L’Atelier des Lumières, qui fait un tabac auprès du grand public avec des spectacles de vidéo-projections relatant la vie et l’œuvre de grands peintres de l’histoire de l’art comme Klimt ou Van Gogh, propose actuellement de découvrir les as du digital design à l’occasion de la première édition de l’Immersive Art Festival. Onze collectifs sont ainsi en compétition et leurs créations jugées par des professionnels et des visiteurs qui peuvent voter en direct via une application mobile spécifique. Mixant vidéo, photo, motion design et spatialisation sonore, les propositions de quatre minutes chacune jouent avec les 140 vidéo-projecteurs, les 50 enceintes et les 3 000 m2 à investir de l’institution culturelle. Dans une ambiance de cathédrale transformée en discothèque, les spectateurs écarquillent les yeux. Les travaux s’enchaînent sans temps mort, formant une boucle de 50 minutes. Si l’effet est garanti par l’immersion, tant visuelle que sonore, la surprise n’est pas au rendez-vous : les univers déployés ont déjà été 1 000 fois explorés par les artistes et par les cinéastes. Il ne suffit pas de savoir provoquer des effets, encore faut-il pouvoir créer des formes nouvelles, avoir quelque chose à dire de singulier, mettre son savoir-faire au service d’une idée, d’un propos, d’une conviction… C’est précisément à cela que l’on reconnaît le travail d’un artiste. Ici, les sujets sont prétextes à utiliser la technologie pour faire chavirer l’œil, bouleverser les sens. Ce n’est évidemment pas condamnable, mais de toute évidence ce que racontent les images n’a que peu d’importance. « Les motion designers sont avant tout des créatifs graphiques, des illustrateurs spécialisés dans le numérique. Leur outil de travail est l’ordinateur : grâce à des logiciels de création et de modélisation 3D, les motion designers peuvent donner vie à des œuvres artistiques numériques », explique Michael Couzigou, directeur de l’Immersive Art Festival. Effectivement, ils le pourraient mais à la seule condition de devenir des artistes. S’il est indéniable que le plaisir puisse naître de l’immersion et de la contemplation de chorégraphies visuelles, et que de tels travaux demandent bien des talents techniques et créatifs, il est pour l’heure abusif d’employer l’expression « œuvres artistiques ». Car d’œuvres d’art, il n’y a point. Appelons un chat, un chat. Ce qui n’empêche pas de saluer les travaux des 24 étudiants des Gobelins illustrant des chansons d’Orelsan. A découvrir dans le studio de l’Atelier des Lumières.
De 19 h à 23 h à l’Atelier des Lumières, jusqu’au 24 octobre. Les quatre prix de l’Immersive Art Festival seront décernés le 24 octobre au cours d’une soirée exceptionnelle qui se terminera avec le live d’un DJ électro.

Crédits photos

Image d’ouverture : Chance (2016), installation présentée dans le jardin des Tuileries dans le cadre de la Fiac Hors les Murs par la galerie Thaddaeus Ropac © Alex Katz, photo MLD – © Tanc, L’Atlas, photo MLD courtesy galerie Perahia – © Javier Balmaseda, photo MLD – © Levalet, photo MLD courtesy galerie Joël Knafo – © Simone Pheulpin, photo MLD courtesy La Maison parisienne – © Sascha Nordmeyer, photo MLD courtesy galerie Slotine – © Photo MLD courtesy galerie Arts d’Australie Stéphane Jacob – © Desiree Tham, photo MLD courtesy VADA et Intersections Gallery – © Heri Dono, photo MLD courtesy The Columns Gallery – Men as Bags © Pixy Liao, photo MLD courtesy Chambers Fine Art – Racing Thoughts © Liu Wa, photo MLD courtesy Sabsay – Terminus et Spaceship © Shiori Eda, photo MLD courtesy A2Z Art Gallery – Visit my room © Hong Buhm, photo MLD courtesy Gallery SoSo – © Bendik Giske, photo MLD – Aftermath © HKI, photo MLD – Ombres douces © Spectre Lab, photo MLD – Datamonolith © Ouchhh, photo MLD – H2Elyos © Cokau Lab, photo MLD – Journey © Nohlab, photo MLD – Mirage © studio Les Vandales, photo MLD – Vue de la Fiac © Photo MLD – Life After BOB :First Tract © Ian Cheng, photo MLD – Releasing the Human From The Human © Anicka Yi, photo MLD – The Superman © Alex Da Corte, photo MLD – Vues de l’espace de la galerie Béatrice Soulié © Photos MLD

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