La galerie Charlot accueille jusqu’au 16 avril le travail récent de Zaven Paré. Artiste et chercheur en design d’interaction, Paré incarne de manière exemplaire l’intersection Art & Science, très en vogue aujourd’hui. A l’origine des premières marionnettes électroniques utilisées au théâtre, Zavé Paré fut aussi lauréat de la Japan Society for Promotion of Science (JSPS/CNRS) pour sa participation à la création du Robot Actors Project, dans les laboratoires du professeur Ishiguro Hiroshi à l’université d’Osaka et à l’Institut international de recherches avancées en télécommunications (ATR) de Kyoto. Si les machines occupent son œuvre, toutes ses pièces n’usent pas de circuits imprimés ou d’intelligence artificielle. Loin de là !
En organisant l’exposition de Zaven Paré, la galerie Charlot perpétue son engagement auprès des artistes numériques. Choix partisan et exigent pour un art qui ne demande qu’à se rendre de plus en plus visible et de mieux en mieux compris. Cette pratique artistique demande en effet d’avoir quelques informations sur les données de travail de l’artiste, elles ne sont pas toujours éloquentes pour un néophyte qui se borne alors à en faire des interprétations sensibles. Ce type d’interprétation sans être un péché dans le landernau des spécialistes peut être juste révisé en faveur de l’artiste, qui lui suit un axe et espère être compris. Le cas de Zaven Paré nous offre avec belle mesure l’occasion de l’exercice.
Sur les murs de la galerie d’étranges « masques » transparents sont accrochés faisant face à des plaques qui semblent avoir été peintes de motifs abstraits légèrement essuyés. Voilà pour l’impression qui indique les limites mais en regardant plus précisément c’est tout un monde qui vient à notre rencontre.
Valérie Hasson-Benillouche, directrice et fondatrice de la galerie parisienne et de celle qui lui fait écho à Tel-Aviv, a apporté de multiples éclairages à ces œuvres qu’une information précise renforce en sens et en plaisir de comprendre. Zaven Paré a fait ses études aux Beaux-Arts de Paris et n’a cessé de rechercher de nouveaux dispositifs de création. Avec une utilisation presque métaphorique de l’art numérique à proprement parler, puisqu’il n’utilise pas d’écran ou de « pixels en acte », ces œuvres font sans conteste référence à l’actualité technologique.
Il réalise des reliefs muraux en plexiglass qui s’éclairent et incluent un mouvement par lequel des petites billes se mettent à rouler dès que le switch de mise en marche est actionné par le visiteur. Le son de ce cliquetis peut être démultiplié par le nombre d’œuvres présentes et forme une musique totalement aléatoire créée par ces mouvements qui le sont tout autant. En réalité il a réalisé ce qu’il nomme des chrysalides de cigales, qui évoquent tout autant des hérauts d’armes dont les boulets ont perdu toute leur hostilité et ont muté en petites billes dégringolantes dans leurs goulottes à bascule. Cette écriture sonore et visuelle anime le mur d’une légèreté estivale où l’entomologie convoque par analogie la transparence des ailes et la stridulation des cigales.
Les pièces sur le mur opposé reviennent à une recherche de 1983, non moins poétiques mais très retravaillées à partir de cartes électroniques superposées puis recomposées. Ce qui explique la sensation première d’un flouté, et qu’il appelle des extensions. Ces impressions sur panneau Chromalux ont tout d’une toile, l’analogie à des paysages aquatiques révélés par Monet, des ensembles chromatiques en camaïeu de vert ou de gris par lesquels d’autres espaces surgissent, tels des vues aériennes urbaines, nocturnes. Ce qui est très net dans l’œuvre de Zaven Paré est sa propension à nouer des liens étroits entre technologie et références naturelles au point de proposer des versions mobiles de paysages composites (Claude Le lorrain en fut le précurseur). Extraits de leur contexte par l’invention artistique, ces images fabriquent un univers dont l’irréalité captive le regard. On veut en savoir un peu plus, où « ça » va, où « ça » mène… et la boucle se referme dans le strict univers de l’art lorsqu’on accède au sous-sol aux œuvres de 1983. Suite de collages papiers dont la structuration cubiste rappelle l’organisation rigoureuse des formes et des couleurs, autour du thème de la Flèche, ce qui nous rapproche de quelques références à la belligérance et de l’arsenal devenu robotique qui l’accompagne.
Un dernier aspect de son œuvre est celui de la réalisation d’aquarelles à partir d’un modèle de robot construit au Japon avec un professeur chercheur de Kyoto, Hiroshi Ishiguro, dont la spécialité est de créer une ambiguïté avec le vivant. Forme la plus élaborée et la plus ressemblante à l’humain, « L’Actroïde » est capable de réagir à des sollicitations. Fasciné par ces « Solinoïd » I et II, Zaven Paré en a réalisé des aquarelles qu’il titre « Ecorché », et des peintures qui n’échappent à une tradition picturale qu’au bénéfice d’œillets métalliques répartis sur tout le pourtour de la toile, histoire de la hisser hors de ses éventuelles appartenances plastiques. La précision et le détail des aquarelles nous en apprend sur la complexité des circuits et autres systèmes électroniques de l’androïde rendant précieux et fragiles ces portions de robot arrêtés sur le papier, tandis que les peintures deviennent les emblèmes de leur effacement dans les couches de pigments.
Ainsi lorsque l’on a en face de soi les différents aspects de la création de Zaven Paré, on s’aperçoit d’une traversée de l’histoire de l’art autant par les références à l’Impressionnisme et à la peinture de paysage, du nu et de l’écorché, des cartes, des sujets et des thèmes comme l’a analysé Panofsky. La force discrète et affirmée de cet artiste, qui partage son atelier entre Paris et Rio de Janeiro, réside dans une qualité plastique de chacune de ses œuvres comme si cette même histoire de l’art l’avait amené logiquement à la technologie actuelle.
Contact> Zaven Paré – Process, jusqu’au 16 avril, Galerie Charlot, Paris.
Image d’ouverture> Ibutsu robotto III, 2021. Acrylique sur toile avec des œuillets. ©Zaven Paré, courtesy Galerie Charlot