Célébrant le 50e anniversaire du Centre culturel canadien à Paris, Image… envoyée / Image… Sent réunit 36 projets photographiques d’artistes majeurs de la scène contemporaine canadienne*, ainsi qu’un volet citoyen regroupant 50 images envoyées du Canada et de France, dont une contribution spéciale de l’artiste franco-canadien Hervé Fischer. Né du confinement, ce projet offre autant de visions du monde qu’il y a de participants et met singulièrement en lumière l’amitié qui lie les deux pays. Le visiteur est invité à découvrir les propositions des artistes dans une « forêt photographique » superbement mise en scène, tandis que les images des amateurs forment une fresque au rez-de-chaussée de l’institution. Toutes les propositions étant accompagnées d’un commentaire de leurs auteurs. Pour ceux qui ne pourront pas se rendre sur place, une exposition virtuelle est accessible sur le Web jusqu’au 17 septembre 2021. Mais laissons Catherine Bédard, commissaire du programme d’expositions du Centre culturel canadien et initiatrice d’Image… envoyée / Image… Sent, nous en dire plus.
ArtsHebdoMédias. – Comment est née Image… envoyée / Image… Sent ?
Catherine Bédard. – L’idée de cette exposition a surgi à la mi-mai 2020. Sachant que le programme de la rentrée allait être complètement bouleversé par la crise sanitaire, nous n’avions envie ni de ne rien faire, ni de prolonger l’exposition précédente mais de fêter notre anniversaire avec une proposition en prise avec le temps présent. Nous ne voulions pas, par ailleurs, faire une exposition historique sur le Centre, au sens classique j’entends. En mai, nous avons décidé de demander à des artistes, avec lesquels le Centre avait déjà travaillé, d’imaginer un triptyque d’images répondant à trois impératifs : parler du monde actuel, être représentatif du travail de l’artiste, et être envisagé comme un cadeau fait au public français. La proposition a été transmise à 40 artistes canadiens ayant tous un lien particulier avec l’image, essentiellement des photographes mais aussi des vidéastes et des cinéastes. Il ne s’agissait pas seulement de faire de cette exposition une célébration du 50e du Centre ou un discours contemporain sur le monde ; il fallait que l’exposition ait un sens fort sur le plan artistique. Alors que nous sommes noyés dans les images à longueur de journée, je voulais montrer combien l’image pouvait encore être un véhicule intéressant, émouvant et critique dans le monde d’aujourd’hui.
Votre sollicitation a-t-elle eu un bon accueil ?
Nous avons reçu des triptyques absolument fascinants. Les artistes se sont appropriés le projet, la commande, ce qui donne à l’exposition plusieurs niveaux de lecture et points d’entrée. Ce qui est heureux, car c’était l’idée ! Il ne s’agissait pas de faire une expo de 40 artistes mais avec 40 artistes. Nous souhaitions que notre proposition sorte du cadre. On leur demandait de parler d’eux en tant qu’êtres humains et non pas seulement en tant qu’artistes. Certains nous ont donc permis d’accéder à leur espace privé, nous ont invité chez eux, comme Michael Snow, Bertrand Carrière, ou encore le cinéaste Denis Arcand.
Que pouvez-vous nous dire sur les triptyques envoyés ?
Pendant que la France était confinée par beau temps, le Canada est passé de la neige aux bourgeons, certaines propositions ont témoigné de ces changements météorologiques observés, différemment de l’habitude, depuis un isolement, une immobilité. Deux notions très présentes dans les projets. Ce retour à une position de contemplation plus ou moins forcée a donné lieu à des photographies que les artistes n’auraient peut-être pas eu envie de faire en conditions normales. Cette situation contrainte a fait émerger autant d’images en lien avec leur monde intérieur que de propositions au point de vue social, politisé, voire engagé ; comme la proposition de Stephens Andrews qui s’est intéressé à la distanciation sociale matérialisée dans le paysage urbain par des cercles.
Comment avez-vous déterminé le nombre d’artistes invités et comment ces derniers ont-ils réagi ?
Je n’étais pas en mesure de savoir dès le départ combien d’entre eux accepteraient de répondre à l’invitation. J’ai préféré ne pas déterminer a priori le nombre des artistes invités ; mais je savais qui je voulais dans ce projet. Mon souhait était de rassembler une centaine d’images et il s’est réalisé. La difficulté ne se situait pas dans le nombre de participants mais dans l’exercice demandé. Il fallait qu’ils acceptent que leurs images soient présentées dans un format quasi identique, imprimées sur le même support, et mises en scène de la même manière. Je suis très sensible au fait qu’ils aient accepté de jouer ce jeu collectif et solidaire. C’est une marque de confiance extraordinaire et un cadeau en soi.
Pourquoi croyez-vous qu’ils aient accepté ?
Cette exposition possède une dimension immatérielle très forte. Chaque artiste a d’emblée été averti que je souhaitais monter une exposition d’images et non de photographies, que je souhaitais recevoir des fichiers et non des objets. La manière dont j’allais m’en emparer ne devait pas relever d’eux. De plus, l’exposition a été imaginée pour ne durer qu’un mois. Elle se devait d’être très légère un peu comme une apparition. C’était essentiel.
Parlez-nous de son volet « citoyen ».
Cette partie a été insufflée par notre ambassadrice qui se demandait quoi faire en lien avec la situation provoquée par la pandémie. Elle avait envie que l’exposition possède une composante citoyenne. Nous avons alors eu l’idée d’un appel à images participatif qui ait du sens aussi dans le cadre de l’anniversaire du Centre. Il s’est agi de demander des images aux Français pour les Canadiens, et aux Canadiens pour les Français ! Chacun d’eux ne devant envoyer qu’une seule image prise avec un téléphone portable, pour être dans l’élan du moment. L’objectif était de réaliser un instantané tout à fait subjectif de chacune des deux nations dans une forme de réciprocité et de simultanéité. Il n’était pas question de faire une fresque à caractère géographique mais d’être à la croisée des regards.
Quelles sont les caractéristiques de cette partie de l’exposition ?
J’ai retenu 23 images en provenance du Canada et 27 en provenance de France. Cette fois, j’ai pu miser sur le chiffre 50 ! Sans pour autant m’imposer une stricte parité qui me semblait artificielle. Nous avons reçu des images de gens comme vous et moi mais aussi d’artistes confirmés, comme Hervé Fischer, ou de designers. Elles racontent des moments intimes et personnels. En tant que commissaire, je me suis donc autorisée à jouer également la carte de la subjectivité pour faire de chaque image une partie d’un ensemble possible et ainsi souligner l’appartenance de chacun à un tout qui le dépasse.
*Artistes invités : Jocelyne Alloucherie, Stephen Andrews, Sara Angelucci, Ming Arcand & Denys Arcand, IAIN BAXTER& (the &man), Robert Bean, Dominique Blain, Marie-Claire Blais, Dianne Bos, Michel Campeau, Bertrand Carrière, Millie Chen, Serge Clément, Robin Collyer, Louis Couturier & Jacky G. Lafargue, Donigan Cumming, Stan Douglas, Pascal Grandmaison, Angela Grauerholz, Adad Hannah, Isabelle Hayeur, Geoffrey James, Mark Lewis, Jimmy Manning, Aude Moreau, Nadia Myre, Ian Paterson, Ed Pien, Michael Snow, Lisa Steele & Kim Tomczak, Jana Sterbak, Public Studio (Elle Flanders & Tamira Sawatzky), Adrian Stimson, Diana Thorneycroft, Michèle Waquant, Johannes Zits