Quand l’Humidité fleure bon

A l’initiative de l’Enseigne des Oudin, et au terme d’une collaboration de deux ans avec le centre Pompidou, une exposition consacrée à l’Humidité est proposée, à Paris, par Alain Oudin sur les bases de son amitié avec René Baudoin et Pierre Bourgeade. Jannick Thiroux, co-directeur du lieu, et Jacques Donguy, les commissaires de cet hommage rendu à Jean-François Bory, fondateur de la revue, ont fait un remarquable travail de documentation et de scénographie, dont la pertinence doit beaucoup à la relation mur/table qu’elle propose.

L’exposition de l’Enseigne des Oudin redonne vie à la revue l’Humidité créée par Jean-François Bory, qui dans les années 1970 ouvrait ses feuillets aux avant-gardes poétiques mais aussi aux artistes plasticiens, vidéastes… Son activité ne s’arrêtant pas là, Bory soutenait d’autres revues comme OU d’Henri Chopin, Doc(k)s de Julien Blaine, parmi les plus connues.
En déployant les 25 numéros sur les tables pour en offrir une lecture linéaire et aisée, les commissaires provoquent une synergie entre les articles consignés dans la revue et l’accrochage en vis-à-vis ou presque, d’œuvres, photos ou pièces originales correspondant à l’artiste concerné. Du coup, le plaisir de la découverte ou des retrouvailles avec ce bijou de l’édition s’en trouve renforcé. Poésie visuelle oblige, on y rejoint aussi bien les œuvres de Bory, de Thierry Agullo, que celles d’Hervé Fischer, à l’origine de l’art sociologique (à qui est consacré le numéro 21), de Journiac ou Vera Molnar.

Vue d’exposition. ©Photo MLD

Calés face à l’entrée de l’espace recherche, les essuie-mains de Fischer attirent le regard du visiteur et donnent le ton à cet accrochage d’une grande rigueur. Non loin, l’incroyable travail de Raymonde Arcier, composé ici non pas d’un tricot mais d’un assemblage de serpillères retravaillées, fait écho aux enseignes de Jean-Claude Silbermann, aux travaux de Manfred Mohr au service de l’œuvre signée Vera Molnar, ainsi qu’aux œuvres de Jochen Gerz, Ben, Heidsieck et de nombreux autres, convoquant aussi différemment la performance, le son… Le numéro 9 fait ainsi foi de portées musicales dont les notes sont des arbres dessinés par Luciano Ori ; une planche du numéro 10 conjugue de petits fers à chaussure à une notation saisissante de poésie visuelle réalisée par Agullo ; le numéro 19 est consacré à Fabrizio Plessi, artiste trop méconnu, préoccupé déjà par la question de l’eau, souhaitant couper la Seine au ciseau ou éponger Venise grâce à une éponge certifiée médicalement « de saine et robuste constitution » ! Quant à l’intrigant numéro 17, s’il n’est pas totalement exposé c’est qu’il fait figure de tautologie entre le nom de l’artiste Francis Naves (navires en latin), son texte consacré aux piscines, au water ball, etc. avec une dérision et une précision qui frise un fol humour sur ses propres interprétations aquatiques.

Vue d’exposition (en face une œuvre d’Hervé Fischer, à droite une de Raymonde Arcier). © MLD

Le clou de l’exposition, s’il en était un, revient à la présence des manifestes futuristes dans le numéro 2, où l’on note jusqu’au respect de la typographie que Bory n’avait pas modifié pour l’édition. C’est cette même exigence que l’accrochage retranscrit par un recours aux œuvres pour éclairer les textes et un accrochage aussi original qu’instructif. C’est beaucoup pour une seule exposition dont le mérite est aussi de porter à la connaissance de tous mais particulièrement des jeunes générations, intéressées quasi exclusivement par la technologie, que ces démarches au carrefour de la poésie, de la peinture, de l’édition attestent de la pérennité des avant-gardes, tout oxymore bu.

Vue d’exposition. Au fond, la planche de fers à chaussure de Thierry Agullo. ©MLD

Vingt-cinq numéros de cette revue sont ainsi dédiées à la médiation de l’art des années 1970 comme celle d’une époque trop longtemps submergée par la prépondérance du formalisme ou des aspects théoriques de la peinture qui avaient fait vibrer la décennie. Cette revue se veut aussi œuvre d’art elle-même dans la mesure où la poésie visuelle est l’outil de sa lisibilité et l’axe de son action. Cette exposition témoigne d’une sorte d’éclectisme, mais une sorte seulement, car ce ne sont que pléthore d’artistes ou d’intellectuels engagés et discrets (dont José Pierre, Max Bense) qui en ont été les contributeurs. L’hommage indispensable dû à Jean-François Bory est réalisé, espérons qu’il ne sera pas le dernier, ne serait-ce que pour réinventer peut-être le numéro 26 qui n’a jamais été publié et finira par éteindre cette lanterne qui mit en lumière les positions les plus avancées de l’art entre 1971 et 1978.

Le numéro 26 en cours d’élaboration. ©MLD

Contact> L’Humidité, jusqu’au 12 mars, Enseigne des Oudin, Paris.

Image d’ouverture> Extrait de l’exposition. ©Photo MLD

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