En visite privée au Domaine de Chaumont-sur-Loire, le président de la Région Centre-Val de Loire, François Bonneau, revient sur la création du Centre d’arts et de nature, ses missions et son succès. Et profite de l’occasion pour livrer certaines de ses convictions concernant l’art et la nature sans manquer de constater que la privation de culture que nous subissons aujourd’hui atrophie les vies individuelles et collectives. « Quand l’imaginaire collectif est à ce point contraint, empêché, il est très difficile de faire vivre une société dans l’harmonie, le respect de l’autre, de lui permettre de se projeter dans un avenir désirable », déclare celui qui espère que les lieux culturels de sa région seront parmi les premiers en France à rouvrir. Dans l’attente de ce moment, un appel à projets, intitulé Nouvelles Renaissances, a été lancé. Son but : soutenir et multiplier les initiatives artistiques à l’extérieur et dans l’après-confinement.
ArtsHebdoMédias. – Le Centre d’arts et de nature du Domaine de Chaumont-sur-Loire est né en 2008, quelques mois après votre élection à la tête de la Région Centre-Val de Loire. Au-delà du souvenir que pouvez-vous nous en dire ?
François Bonneau. – Souvenir d’un merveilleux départ ! La création du Centre d’arts et de nature est le fruit d’une conviction partagée avec Chantal Colleu-Dumond, mais également avec d’autres responsables de sites patrimoniaux. Dans notre région où châteaux et jardins traduisent si fortement l’esprit de la Renaissance la création contemporaine constitue une formidable opportunité et une merveilleuse mise en valeur. Pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire, nous voulions que la rencontre de l’art contemporain et du patrimoine architectural se noue dans le cadre d’un dialogue particulier avec la nature. Une nature si forte en ce lieu. Avec la Loire qui façonne les paysages et les renouvelle, il n’était pas possible d’imaginer autre chose qu’un Centre d’arts et de nature qui montrerait un art vivant au travers de ses expressions contemporaines. Le Centre d’arts et de nature met ainsi en lumière un dialogue possible entre art et nature, mais aussi entre la dimension du patrimoine et celle de la création.
L’implication de la Région se manifeste notamment dans la commande d’œuvres…
Effectivement, de grands artistes comme Jannis Kounellis, Sarkis ou encore Orozco ont créé des œuvres spécifiquement pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire. Des œuvres dont certaines demeurent visibles aujourd’hui. Cette pratique est directement liée au projet du Centre d’arts et de nature. Si vous souhaitez que l’art s’exprime dans une dimension vivante, il faut faire en sorte que les artistes s’approprient l’endroit et que ce dernier devienne un lieu de création, pas simplement de monstration. Leur envie de créer, de faire vivre une œuvre ici, montre combien l’environnement est propice à l’inspiration. Ce territoire était inspirant pour Léonard de Vinci, il y a 5 siècles, il l’est tout autant aujourd’hui. Le Centre d’arts et de nature exprime cette volonté de donner aux artistes la place qu’ils devraient toujours avoir dans notre société, place qu’ils ont eu à certains moments de l’histoire, comme à Chambord du temps de sa création. A cette époque, il y avait des partis pris créatifs extrêmement forts, tant esthétiques que techniques, il nous faut considérer aujourd’hui que la création ne s’est pas arrêtée sur ces modalités particulières. Nous nous devons de donner toute leur place aux évolutions contemporaines et de les montrer.
Pourquoi était-ce si important de fixer un périmètre précis, de ne montrer que des œuvres ayant partie liée avec la nature ?
Ici, le patrimoine est immergé dans la nature. Notons que la Loire a été inscrite au patrimoine mondial par l’Unesco au titre des paysages culturels vivants. S’attacher à présenter des œuvres en lien avec la nature est apparu comme une évidence. Cette présence de la nature au cœur des œuvres a défini une identité pour cet espace de création. La nature semble stimuler plus encore la sensibilité des artistes autant qu’elle attire l’attention sur l’impact que l’homme peut avoir sur elle. Que l’art puisse porter de telles interrogations est particulièrement précieux à notre époque. Car il ne les aborde pas d’une manière sclérosante. Quand l’artiste pose, à travers sa création, la question de l’intervention humaine sur la nature, il nous interroge à partir de nos émotions ; il nous invite à creuser des concepts sans pour autant nous fournir des réponses toutes faites.
Pensez-vous que la présence de la création contemporaine au Domaine de Chaumont-sur Loire soit une raison majeure de l’augmentation du nombre de ses visiteurs depuis 2008 ?
Assurément. Lorsque vous venez découvrir un patrimoine architectural consacré et que vous êtes interpelé par la création contemporaine, la découverte n’est pas conditionnée par des représentations culturelles préalables. Elle s’opère dans la continuité de la visite. De nombreux publics qui viennent à Chaumont-sur-Loire ne seraient probablement jamais allés délibérément vers l’art contemporain. Là encore, avoir choisi des œuvres en lien avec la nature a beaucoup aidé à les rendre accessibles à tous les publics. La nature sert de médiation. Elle est le fil conducteur qui permet de passer d’une œuvre à une autre. L’art pour sa part engage le visiteur à regarder la nature autrement, à considérer la manière dont l’homme s’empare de la matière, des éléments de son environnement, et parfois en abuse. Avec la création du Centre d’arts et de nature, nous espérions accroître et diversifier les publics, évidemment, mais nous n’avions pas imaginé dépasser les 500 000 visiteurs, comme nous l’avons fait en 2019. Un résultat d’autant plus remarquable qu’il s’est doublé d’une reconnaissance de la très grande qualité de la programmation. Près de 150 artistes, dont la plupart sont reconnus internationalement, ont été invités depuis 2008. Sans oublier tous les créateurs qui participent au Festival international des jardins.
Plus de 500 000 visiteurs en 2019. Comment expliquez-vous cette réussite ?
Le renouvellement et le développement. Chaque année, le Domaine de Chaumont sur Loire opère des renouvellements et de nouveaux développements. Les près du Goualoup, par exemple, sont très appréciés. Année après année, de nouveaux espaces deviennent accessibles au public. Du côté de l’art, il en va de même. De nouvelles œuvres apparaissent chaque année et certaines s’installent de façon définitive. L’art se renouvelle et chaque programmation donne au public le désir de revenir. Les habitués du domaine n’hésitent pas à le faire découvrir à leurs amis car ils savent qu’ils vont à la fois retrouver le patrimoine qu’ils connaissent et faire de nouvelles découvertes porteuses d’émotions et d’échanges. Les lieux qui n’innovent pas , ne se renouvellent pas, sont condamnés au déclin. Pour dynamiser encore davantage l’attractivité du site, un hôtel est actuellement en construction. Il n’a pas seulement pour but de permettre aux touristes de se loger sur place mais il facilitera également l’organisation de colloques et de rencontres qui permettront d’explorer plus avant et différemment le lien entre l’homme et la nature.
En 2020, vous vous étiez battu pour que les lieux de culture de votre région rouvrent le plus rapidement possible. Depuis des mois, ils sont de nouveau fermés. Que pensez-vous du rôle de la culture dans la société ?
Il suffit d’observer ce qui se passe aujourd’hui. C’est très dur. Regardez comment la société réagit lorsque la culture vient à manquer : cinémas fermés, théâtres fermés, scènes musicales fermées… Les vies ndividuelles et collectives sont atrophiées. Quand l’imaginaire collectif est à ce point contraint, empêché, il est très difficile de faire vivre une société dans l’harmonie, le respect de l’autre, de lui permettre de se projeter dans un avenir désirable. Je crois que l’art est essentiel à nos vies. Nous avons donc demandé, comme l’an dernier au terme du premier confinement, à expérimenter en avant première le déconfinement . A la sortie du premier confinement, j’avais invité le Secrétaire d’Etat chargé du Tourisme à une visioconférence avec un grand nombre de responsables de sites patrimoniaux de la Région Centre-Val de Loire. Chaque responsable de site avait alors expliqué les raisons pour lesquelles son lieu était prêt à rouvrir. L’initiative a permis de faire de notre région un périmètre test. Chaque responsable d’établissement a pu élaborer un protocole spécifique. Ce qui a permis de réouvrir deux à trois semaines en amont de la réouverture générale. J’ai renouvelé ma demande pour que nous puissions en faire autant cette année.
Vous avez également lancé un appel à projets pour soutenir les initiatives culturelles de l’après-confinement.
Effectivement, c’est le projet des Nouvelles Renaissances. A partir de cette notion particulièrement féconde de renaissance, que nous entendons non seulement en lien avec l’histoire de notre région mais aussi en rapport avec cet ardent désir de renaître qui nous habite en ce temps de pandémie, ces Nouvelles Renaissances visent à permettre la mise en relation et en dialogue des artistes et des lieux patrimoniaux ou insolites de notre territoire. L’appel à projets permet de nourrir une programmation culturelle et touristique collective. Différentes aides seront apportées en fonction des projets qui peuvent concerner un parc, un jardin, un quartier, voire un village. Il s’adresse à toutes les disciplines artistiques. Ainsi, nous souhaitons inciter les créateurs à dialoguer avec tous les types d’espaces culturels. Un concert donné un soir d’été dans le parc d’un château peut être associé à la présence de producteurs locaux et se terminer en pique-nique, par exemple. Notre ambition est de créer du lien, de partager de nouveau des émotions tous ensemble. C’est important.
Quelques mots sur la programmation 2021 du Centre d’arts et de nature ?
Au-delà des formes et des supports différents, elle présente une très grande unité. Je soulignerais notamment l’extrême expressivité des œuvres. Chacune d’entre elles, dans son contexte, envoie des messages forts sur la présence et l’intervention de l’homme dans la nature. Je pense particulièrement à celle, extraordinaire, de Chiharu Shiota. On y voit notre Terre, représentée simplement par un tapis de végétation, au-dessus d’elle plane une conscience, matérialisée par un réseau de fils noirs. L’installation montre comment la nature peut éclairer notre pensée. Elle est au cœur des interrogations philosophiques fondamentales de la période que nous vivons.
Qu’attendez-vous d’une œuvre d’art ?
L’émotion et l’interpellation de la conscience ! C’est ce rapport inattendu entre les éléments, ces harmonies particulières qui retiennent le regard, qui nous embarquent vers des interrogations sur le sens. La réflexion vient plutôt comme un aboutissement, non comme un préalable. L’émotion est souvent première. Les œuvres exposées au Centre d’arts m’interpellent volontiers. Je suis un passionné de nature, un passionné de la Loire qui a marqué mon enfance comme elle avait marqué celle de mon père, né au bord de ce fleuve magnifique, envoûtant ! Ce que nous sommes individuellement est fréquemment marqué par ces premiers rapports à la nature. Ce rapport s’avère souvent incroyablement fertile et nous aide à enrichir nos relations à l’art et notre relation au monde.