Mythologies géométriques

Plus que quelques jours pour découvrir le dialogue inédit et subtil de l’abstraction géométrique de Silvia Velàzquez et de celle de Jean Legros. Initié par la galerie Christophe Gratadou, à Paris, ce face-à-face est une respiration, un hymne à la complexité et à la joie des formes comme des couleurs. Jusqu’au 26 juin.

L’abstraction est une des plus grandes aventures artistiques du XXe siècle, rompant radicalement avec la tradition occidentale. S’engageant dans une divergence difficile à assumer, totalement associée aux aspirations des avant-gardes, elle a contraint de nombreux peintres à prendre la plume. Affirmer l’autonomie de l’art qui s’affranchit de la réalité, échappe aux conventions, aux académismes, telle était l’ambition. Mais il fallait bien légitimer l’audace, en revendiquant le « spirituel dans l’art », l’introspection de la psyché ou encore les avancées de la science. Un langage plastique novateur et autant de fabulations diverses, de mythologies nouvelles qui trouvent leur essor dans l’abandon du réalisme. Bien entendu, il y eut des fulgurances et des extrêmes mais aussi des étapes. L’émergence de grammaires plastiques comme d’inspirations abstraites soufflées par la nature. Jean Legros né en 1917 n’a pas choisi d’emblée de s’exprimer par le signe. L’artiste, qui dans sa jeunesse avait côtoyé des classiques comme André Derain, Charles Despiau ou Francis Gruber, ne se laissa convaincre par sa vocation de peintre qu’après avoir fait l’expérience de l’absurdité de la guerre et s’être engagé dans la résistance. Celui qui a suivi une double formation en philosophie et psychologie choisit d’abord la figuration. Pourtant bientôt, ses paysages changent. Peu à peu, la peinture se transforme, annonce une suite. Plus encore que la forme, c’est la couleur qui se saisit de l’œuvre. Elle opère par bandes d’aplats parallèles ou de biais et sature l’espace, révélant ainsi un regard attentif au découpage marqué des paysages de la Touraine et de la Beauce où vécut l’artiste. Parfois contenue dans des figures au tracé précis, elle s’exprime par un agencement dans le blanc des toiles, pouvant aller jusqu’à réinterpréter le réel, comme pour Les Grues de Beaubourg. A ce travail révélateur et emblématique d’une époque et d’une géographie, Christophe Gratadou a choisi d’adjoindre celui d’une artiste née en 1980, en Uruguay. Autre temps, autre inspiration, autre mythologie. Rompue à la pratique des mathématiques, Silvia Velázquez n’a jamais imaginé créer autrement qu’en géométrisant les formes. Ses dessins à l’encre de Chine font naître des architectures énigmatiques. Carrés, cubes, triangles et autres parallélépipèdes s’assemblent si étonnamment qu’ils agissent sur l’esprit comme un message codé. Chacun d’entre eux, comme un art narratif, rend compte du quotidien de l’artiste. Son dessin se déploie en autant d’épisodes qu’il y a de feuilles au mur. Développé depuis plus de dix ans, ce journal intime, paradoxalement abstrait, se précise cependant à la lecture des titres indiquant un récit autobiographique. Dans la galerie, le regard passe alors d’une singulière histoire de l’abstraction avec Jean Legros à l’abstraction singulière d’une histoire avec Silvia Velàzquez. S’enthousiasmant pour ces deux mythologies géométriques.

« S’engager », Silvia Velàzquez, 2017.
Contact
Mythologies géométriques, jusqu’au 16 juin à la galerie Christophe Gratadou, Paris. Site de Silvia Velàzquez.
Crédits photos
Image d’ouverture : Vue de l’exposition Mythologies géométriques ©Jean Legros et Silvia Velàzquez, photo MLD
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