MIAM MIAM, vous reprendrez bien une dose ?

A rebours des tendances actuelles de défiance systémique, de mise à distance de l’autre, d’universalité masquée et de mise en veille de ses propres sens par un corps soumis à l’(auto)contrôle permanent, Les Psychédélices proposés au Musée Internationale des Arts Modestes de Sète, jusqu’au 9 janvier, sont un véritable bain de jouvence pour les sens, un élixir pour l’esprit à déguster sans danger. Plus qu’une restitution historique de l’œuvre d’une cinquantaine d’artistes contemporains (dont 40 bien vivants), influencés par l’expérience du LSD dans leur création, l’exposition dédiée au courant pictural hexagonal du mouvement psychédélique, surgi aux Etats-Unis dès la fin des années 1950, est une ode vibratoire à l’exacerbation des sens par la couleur, par la répétition du motif et les visions fantasmées de corps nus d’hommes et de femmes libres et désinhibés, reliés au cosmos dans une harmonie célébrée. Mais cette « parenthèse enchantée » comme la désignent les deux commissaires de l’exposition, Bernabé Mons et Pascal Saumade, convoque également par la psyché augmentée des questionnements métaphysiques et des expériences introspectives jusqu’à l’expression même de la folie, à une époque où l’exploration de la conscience par la prise de psychotropes fait partie intégrante du jeu artistique, en résonance avec bien d’autres domaines d’expérimentations notamment l’armée, la médecine ou la sociologie.

Exposition Psychédélices, Jean Claude Appelgam, Le progrès, 1982, collage et huile sur toile, 95x80cm – Collection Jean-Claude Appelgam. © photo Michel Boucherie

« L’adjectif psychédélique apparait en 1957 au terme d’échanges épistolaires entre l’écrivain Aldous Huxley et le psychiatre Humphrey Osmond, il signifie « révélateur de l’âme » et définit tout état relatif à la prise de psychotropes aux effets hallucinogènes », nous rappelle le cartel d’introduction à l’exposition dans laquelle nous sommes accueillis par une photographie du chercheur Albert Hofmann tenant dans la main une construction de la fameuse molécule synthétique du diéthylamide de l’acide lysergique. Car c’est dans son laboratoire à Bâle en Suisse dès 1938, que commença l’expérience « moderne » de l’acide, tandis que les chamanes conservent depuis des millénaires les secrets des substances hallucinogènes présentes dans la nature. On sait alors que l’ergot de seigle, un champignon riche en alcaloïdes a été à l’origine d’une maladie médiévale, le feu de la Saint-Antoine, qui faisait perdre la raison. Au sein des laboratoires Sandoz, Albert Hofmann en étudie les propriétés chimiques et pharmacologiques, il en isole la molécule et c’est accidentellement, cinq ans plus tard, qu’il en absorbe par la peau des doigts la substance et se trouve pris d’une ivresse puissante en voyant défiler une série d’images fantastiques. « Le monde extérieur s’est transformé comme dans un rêve. Les objets semblaient gagner en relief, ils prenaient des dimensions inhabituelles et les couleurs devenaient plus éclatantes. Ma perception de moi-même et du temps avaient aussi changé. Lorsque mes yeux étaient fermés, des images colorées défilaient rapidement comme dans un kaléidoscope. Je fus complètement émerveillé par la beauté de la nature. Les yeux humains ne perçoivent qu’une petite fraction de la lumière de cette réalité…*»

Exposition Psychédélices (de gauche à droite et bas en haut) Kiki Picasso, Lignes de forces, 2010 Cool in color, 2013 –  Acrylique sur toile. Ody Saban, Avram et Sara, 1998 – Acrylique, encre de chine sur toile – Un baiser apaise la fin, la soif, on y dort, on y habite, on y oublie, 1997  -Acrylique, pigments, encre de chine sur toile. L’ivresse de Loth avec ses deux filles, 1998 Acrylique, encre de chine sur toile.  Le fantasme de l’enlèvement de l’homme marié par Lilith, 1998 – Acrylique, encre de chine sur toile © photo Pierre Schwartz
Exposition Psychédélices, SergeX, alias Serge Leroux (1950- 1991) Vue de l’intérieur, 34×49, Février 1974, peinture sur canson – collection Lise Leroux – ©Photo Lise Leroux

Tandis que les institutions telles que la CIA et le Pentagone testent dès 1951, les effets du LSD lors d’expériences sur des prisonniers ou de jeunes soldats, croyant trouver dans cet élixir, un sérum de vérité ou encore une arme chimique « pacifique », l’universitaire américain Timothy Leary, chercheur à Harvard, décide d’en distribuer massivement à ses étudiants en vue d’un projet de société révolutionnaire, dans un élan certes hédoniste et généreux, mais dont il perd le contrôle, suscitant des débordements en Californie autant qu’à New York City. Toujours est-il qu’en 1964, l’impulsion est donnée et qu’en moins de deux ans, San Francisco devient la base (si j’ose dire) de l’expérience acide. Consacré dans­ la célèbre chanson des Beatles, Lucy in the Sky with Diamonds, en 1967, le LSD trouve dans les milieux artistiques populaires un écho spectaculaire, notamment dans la musique – sur les pochettes de disques ou les posters manufacturés, dans la bande dessinée et le dessin animé, puis progressivement dans les arts plastiques et le cinéma. Il est néanmoins réprimé et définitivement interdit en 1968, bien que l’armée américaine l’utilise encore pendant la guerre du Viêt nam.

Exposition Psychédélices, SergeX Autoportrait 1977 – Huile sur bois – collection Lise Leroux – détail ©orevo
Exposition Psychédélices, Robert Malaval – Bananiers Noirs – Acrylique et paillettes sur papier – 50x65cm – 1975.

L’art psychédélique alors boudé par l’institution sombre injustement dans l’oubli au cours des années 1980 : perçu comme un art populaire de l’allégorie facile, bricolé sous l’influence de psychotropes – dans la joie et la bonne humeur des années 1970 – comme si cela en diminuait la valeur. Il embrasse et fédère pourtant de nombreux courants artistiques – des obsessions de l’artiste singulier aux perceptions hallucinées promises par les facéties de l’op art ou de la VR – autant qu’il s’en inspire – du pointillisme des impressionnistes à l’expressionnisme d’une nature exaltée par les romantiques. Et c’est bel et bien ce qui se dégage de l’exposition Psychédélices Expériences Visionnaires en France, qui célèbre ici les vingt ans du Musée International des Arts Modestes. « La société du spectacle permanent a immédiatement absorbé les esthétiques de l’expérience si profonde du “voyage” psychédélique, aux dépens d’une véritable reconnaissance artistique », souligne l’équipe du MIAM qui a pu rassembler, auprès de collectionneurs privés, les œuvres de peintres et plasticiens majeurs, restés parfois inconnus du public :  SergeX alias Serge Leroux, pour n’en citer qu’un, laissa au monde en 1991 plus d’une centaine de toiles retrouvées dans son atelier. L’exposition nous introduit  dans les entrailles de cette mémoire collective encore vive et replace dans l’histoire de l’art le mouvement influencé par des  visions clandestines, qui s’est développé de manière spontanée, dans la transe de l’expérimentation. Elle conduit aujourd’hui avec le recul,  une réflexion sans doute plus mature et plus profonde face aux dessins, à la peinture et aux installations présentés à nos yeux décillés.

Exposition Psychédélices, Pascal Saumade et Barnabé Mons autour de la Dreamachine de Brion Gysin, 1960
 – Tourne-disques, cylindre cartonné découpé, ampoule avec raccord électrique – Collection François Lagarde. ©Photo Pierre Schwartz

En cette période de double injonction sanitaire et sécuritaire, d’abondance pour les uns et d’interdits pour les autres, elle nous renvoie au revers de l’ode, à un terrible sentiment de gâchis – celui d’avoir touché le pompon mais de ne pas avoir su le saisir au bond, quand le tour de manège est déjà fini ! Le rapport au corps cosmique connecté mis en exergue dans les années 1960, comparé à la vision actuelle, illustrée – notamment par une toile de Kiki Picasso où l’on observe une famille partageant une expérience de VR assise autour d’une table – questionne les choix que nous avons faits : notamment celui de la prothèse et de la technologie plutôt que d’avoir tenté d’augmenter les capacités endormies de notre cerveau par l’expérience collective et spirituelle, si tant est qu’elle dusse être stimulée par l’alchimie d’un champignon ! Après tout, ne dit-on pas que le mycélium est à la base de notre condition terrestre. Ah si seulement Timoty Leary n’avait pas vendu la mèche, en voulant distribuer à tou.te.s trop tôt, trop vite et sans en mesurer le dosage, la substance dont l’expérience mystique et sociale ouvrait les consciences. Où en serions-nous aujourd’hui, si nous avions décidé de développer une humanité basée sur la mise en partage de l’expérience sensorielle et mystique plutôt que sur la performance et la compétition ? Serions-nous tout.e.s devenu.e.s artistes à nos heures plutôt que de tendre avec une certaine appréhension notre téléphone portable à un vigile afin qu’une application nous autorise à entrer dans une exposition ? L’art psychédélique permet en ce sens de reposer des questions existentielles sur un plan universel. Et comme le rappelle avec justesse Frédéric Périmon dans le titre d’une de ses installations liquides fluorescentes réalisées in situ : L’idée de l’expérience ne remplace  pas l’expérience !

Exposition Psychédélices, CAZA, planche revue et corrigée pour Actuel, c’était un épisode de « Kris cool » à paraitre aux éditions Eric Losfeld.
Exposition Psychédélices, Kiki Picasso, Oh! c’est beau, 2015, acrylique sur toile / 90 x 116 cm.

Or à l’entrée du MIAM, tel un contrepied, un pied de nez, ou bien cerise sur le gâteau – sucré jusqu’à l’overdose de notre fascination pour l’objet – une nouvelle série de vitrines réalisées par les artistes Hervé Di Rosa et Bernard Delluc, co-fondateurs des lieux résonne avec celles historiques de la collection permanente (installée à l’étage du musée) comme autant d’autels dédiés à nos grigris, aux icônes « pré-fabriquées » de nos récréations et du soft power américain : Mickey, Donald, Monsieur Patate, Elvis et son piano – sur assiette, en pièce de monnaie ou en fer à repasser… Ou bien faut-il les voir comme autant de petits trésors – les figurines à bonbons tic et tac de notre enfance, ici réunies telle une armée de clones aux cotés de fascinants poissons en céramique Vallauris – sauvés de la grande décharge ? Pour Bernard Delluc, né en 1949, gaucher contrarié, passionné de pâte à modeler et fan des petits soldats de la Grande Armée de Napoléon autant que des émissions d’Eddy Mitchell, il s’agit bel et bien d’un sauvetage, de celui « de la petite archéologie, de cette mémoire fragile, que constituent ces objets qui auraient dû être jetés. Imaginez ce que l’on aurait appris du passé, d’autres civilisations, si l’on avait conservé toutes ces fantasmagories prodigieuses que les gens ont réalisées de leurs mains, ces menues choses que nous avons appelées l’art modeste ».

Exposition Forever MIAM, vitrine SURMIAM, collection Bernard Delluc. Détail © Photo : orevo

Cette exposition spéciale anniversaire, Forever MIAM, dont le commissariat fut orchestré par Françoise Adamsbaum, son actuelle directrice, assistée de Sylvie Côte, s’organise autour d’une sculpture géante, le SURMIAM, écrin de cette archéologie exceptionnelle et meuble d’assise pour les visiteurs, créée par Hervé Di Rosa à partir des quatre lettres M.I.A.M. , mais aussi d’autres vitrines latérales nourries d’une documentation inédite de photos et de vidéos rappelant les temps forts d’une quarantaine d’expositions réalisées en ces murs depuis 2000. Et pour ultimes témoignages d’un engagement totalement singulier plein d’humour et de générosité ont été créées par Di Rosa des cartes topographiques originales savamment annotées des Territoires de l’art, ainsi qu’un Grand livre du MIAM (coédité avec Le Dernier Cri) qui poursuit au fil de 416 pages illustrées par trente créateurs ayant participé à l’aventure du musée, une passionnante discussion sur les fondements et les perspectives des Arts Modestes. Foncez vivre  l’expérience, tant qu’il en est encore temps !

Exposition Forever MIAM, carte Hervé Di Rosa, Territoires des expositions au MIAM, 2020, acrylique sur toile – 100 x 100 cm et pochette du disque vinyle 45 T de l’Hymne du MIAM, Forever Miam, composé par Général Alcazar, Patrick Chenière et Pascal Comelade, réédité pour l’anniversaire du musée. ©Hervé Di Rosa.

*Référence : HTTPS://EXTACIDE.NET/15-CITATIONS-DALBERT-HOFMANN-CHIMISTE-A-DECOUVERT-LSD/

Visuel d’ouvertureExposition Psychédélices (de gauche à droite)

– Elke Daemmrich, Récolte – Circa 2010 – huile sur toile, collection de l’artiste – Renaud Desmazieres, Le papillon, 1971 – bois, peinture acrylique, collection particulière – Henri Michaux, Sans titre, Circa 1939 – aquarelle sur papier 18 x 16 cm, collection Lydie Dimeo – Joseph Sima, Roger-Gilbert Lecomte dit Roger Gilbert-Lecomte, 1929 -huile sur toile 100 x 81 cm, collection Musée des Beaux-Arts de Reims. © Photo Pierre Schwartz 

Informations pratiques :

Musée International des Arts Modestes, 23 quai Maréchal de Lattre de Tassigny, 34200 Sète France.  Tel +33 (0)4 99 04 76 44.

Un service pédagogique du MIAM – La petite épicerie propose des ateliers de pratiques artistiques destinés à tous : miam@ville-sete.fr

www.miam.org  Contact : miam@miam.org