La A2Z Art Gallery accueille actuellement C.M.Y.K., la première exposition personnelle de Yang Mian à Paris. Après l’image publicitaire, le peintre propose de s’intéresser à la reproduction d’œuvres appartenant à l’histoire de l’art chinois. Enoncée ainsi la proposition peut sembler facile à appréhender mais face aux toiles, il vous faudra prendre du recul pour que la révélation advienne ! Car, comme à son habitude, la galerie germanopratine propose un art contemporain asiatique hors des sentiers battus.
Cyan. Magenta. Yellow. blaK. Les couleurs primaires plus le noir enfermés dans des pastilles de peinture se serrent les unes contre les autres sans jamais se mélanger. Chacune compose le chemin de l’œil comme si l’artiste avait décidé de s’adonner à un dessin géant qu’il révélerait à coup de gommettes. Touchant tous les enfants même ceux devenus adultes. Face à une toile de Yang Mian, le visiteur sent bien que cette étrange abstraction colorée cache son sujet. Alors il plisse les yeux pour mieux voir, fait quelques pas en arrière pour embrasser la totalité de la composition. Une fois domptés, les points de couleur laissent apparaître des scènes, des paysages de l’histoire de l’art chinois empruntés aux collections des musées Cernuschi et Guimet.
Né en 1970 à Chengdu où il vit aujourd’hui, Yang Mian sort diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts du Sichuan en 1997, spécialité peinture à l’huile. Ces premières recherches ont trait aux l’images publicitaires et aux normes de beauté qu’elles imposent aux femmes de son pays. L’artiste interroge leur influence et leur capacité à se propager. « Oscillant entre réalité et irréalité, les images semblent se cacher derrière une couche de brouillard artificiel. Toutes révèlent sans aucun doute l’aspect illusoire des « normes » dans notre vie. Ici, le sourire n’est plus une expression ou une extériorisation émotionnelle. Au contraire, il devient juste un masque, une indication de la distance entre la réalité et le rêve. Plus il est radieux, plus le standard est éloigné et inaccessible », explique Pi Li, curateur en chef du M+, à Hong Kong. En travaillant ainsi à neutraliser le sujet et à le transformer, Yang Mian questionne les règles non écrites imposées par la société, et se les approprie jusqu’à édicter les siennes propres. Ainsi au début des années 2010, quand il s’intéresse à d’autres images, celles de l’histoire de l’art, il va procéder de même.
Aux cimaises de la galerie parisienne, les grands formats sont installés tantôt sur des murs blancs, tantôt sur des murs dorés. Transformé en écrin, l’espace laisse circuler la lumière et les visiteurs librement. En s’emparant de l’art classique de son pays, Yang Mian poursuit sa réflexion sur l’impact des images tout en changeant d’angle d’attaque. Il ne s’agit plus de sonder celles du quotidien mais de s’attarder sur les productions artistiques des temps anciens et leur mode de diffusion. Quels messages, quels concepts, délivrent-elles ? Et quel dialogue peuvent-elles établir avec l’art occidental ? Le peintre met alors au point une technique complexe qui permet l’évocation de chefs-d’œuvre sans pour autant les reproduire dans leur technique et leur intégrité. Il travaille à partir d’images trouvées sur le Net et choisit ensuite où déposer chaque rond de couleur, à commencer par les noirs. S’ensuit la réalisation de quatre pochoirs qui permettront au dessin de s’inscrire sur la toile. « Dans un univers multiculturel nourri, d’une part, de l’art occidental avec la technique de la mosaïque, celle des impressionnistes, celle des pointillistes et de la peinture abstraite, et, d’autre part, de l’art chinois, avec la technique des peintures “shanshui” (“peinture de paysage”), celle des lettrés et de la sculpture “Taihu”, la technologie informatique de Yang Mian plonge notre regard au cœur d’un jeu bercé entre le visible et l’invisible, entre la réalité et l’illusion, entre l’abstrait et le figuratif. Les compositions se révèlent dans une lecture unique essentielle : celle de l’essence de la peinture (les couleurs primaires) et de la vue (jeu d’optique en quadrichromique) vers notre ciel (cet espace accueillant la spiritualité qui se dégage des paysages et des scènes religieuses bouddhistes) », explique-t-on à la galerie. Alors les savantes compositions aux accents pop se libèrent des trésors de l’art chinois au-dessus desquels elles flottent. « Le médium est le message », professait McLuhan.