Emeric Lhuisset de retour d’Ukraine

Image extraite du nouveau projet d’Emeric Lhuisset « J’entends au loin la réponse des cosaques » réalisé en Ukraine le mois dernier. Courtesy de l’artiste

Le nouveau projet d’Emeric Lhuisset J’entends au loin la réponse des cosaques en lien avec l’Ukraine est avancé. L’artiste en a donné un aperçu dans sa dernière newsletter, texte et image que nous relayons ici avec son autorisation.

« Navire de guerre russe, va te faire foutre ! »
24 février 2022, début de l’invasion globale.
Roman, un des 13 soldats ukrainiens présents sur l’île aux Serpents, répond au navire amiral russe leur ordonnant de se rendre.
Le 25 février, l’enregistrement de la conversation est rendu public et tourne en boucle dans les médias du monde entier.
Je repense immédiatement à la réponse des cosaques zaporogues au Sultan ottoman leur intimant de se soumettre, immortalisé par Ilya Répine et dont une reproduction qui m’a été offerte pendant la révolution de Maïdan, trône sous forme de magnet sur la porte de mon frigo depuis 2014.
Cette peinture si importante dans le récit national ukrainien est pourtant dans les collections du Musée d’art russe de Saint Pétersbourg. En 2021, lorsque la toile est présentée à Paris pour la rétrospective d’Ilya Répine au Petit Palais, l’exposition est intitulée Peindre l’âme russe, oubliant par là-même que Repine est né et a grandi à côté de Kharkiv dans l’Ukraine actuelle et qu’il a exalté dans ses peintures l’identité ukrainienne qui lui était si chère.
Cette appropriation de l’histoire ukrainienne par la Russie est essentielle. J’en veux pour preuve le texte de 50 000 signes rédigé en juillet 2021 par Vladimir Poutine, expliquant que l’Ukraine n’est que le fruit d’une création artificielle soviétique et que son histoire est en réalité celle de la Russie – texte qu’il utilisera quelques mois plus tard pour justifier son invasion.
Cette vision coloniale découlant de l’impérialisme russe apparaît dès le 18e siècle où, pour rivaliser face aux grandes cours européennes, la Moscovie, devenue Empire russe, va s’approprier l’histoire très ancienne qui est celle de l’Ukraine.
Pillage systématique des musées, destruction des manuels scolaires et de tout ouvrage relatant l’histoire et la culture ukrainienne, arrestation des enseignants refusant d’appliquer le programme officiel russe, telle est la réalité des territoires occupés. Olga Lioubinova, ministre de la culture russe, déclarait en mars 2022 : « Tout ce qui touche au développement du secteur culturel dans les nouvelles entités constitutives de la Fédération de Russie et à leur intégration est une priorité absolue pour nous. (…) Dès les premiers jours de l’opération militaire spéciale, des représentants de nos musées ont travaillé dans les nouveaux territoires ».
Alors que la guerre destinée à conquérir le territoire ukrainien est visible de tous et sa condamnation relativement consensuelle en Europe, la guerre beaucoup plus insidieuse qui se joue autour du contrôle de l’histoire et de la culture reste très méconnue et beaucoup d’Européens participent souvent inconsciemment à la diffusion de cette construction coloniale Russe.
La culture est une arme dans un vaste champ de bataille, tachons de ne pas l’oublier.
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