A Zürich, la villa Wesendonck, qui abrite le Museum Rietberg, accueille jusqu’à la fin de l’été une étonnante exposition consacrée au miroir. S’il est vrai que de très nombreuses pièces présentées appartiennent aux siècles, voire aux millénaires, passés, l’ampleur inédite de la réflexion sur cet objet historique et symbolique mérite le déplacement. Les problématiques contemporaines soulevées par l’utilisation du miroir dans la création y sont passionnantes et se manifestent superbement !
Et si Narcisse en avait eu un ? Aurait-il pu échapper à son image ? Evoquer le miroir de nos jours renvoie tout aussi bien aux mythologies anciennes qu’aux fadaises de Disney. « Miroir, mon beau miroir, qui est la plus belle ? », nous susurre en boucle l’odieuse belle-mère de Blanche-Neige. Qu’ils soient d’eau, de pierre, de métal ou de verre, sans prétention ou sertis de diamants tous ont la même fonction : refléter l’apparence de celui qui en use. L’histoire de cet objet est complexe et s’enfonce dans la nuit des temps comme dans les lieux les plus reculés de la planète. Pas une civilisation qui ne s’en passe, pas un humain qui un jour ou l’autre n’ait eu besoin de s’en servir. A Zürich, le Museum Rietberg propose actuellement la plus vaste exposition jamais présentée sur le sujet, un fascinant voyage dans le temps et l’espace : de l’Egypte ancienne au Mexique des Mayas, en passant par les empires romain et japonais, sans oublier la Sérénissime, Venise. Si Miroirs – Reflets de l’être humain nous fait découvrir curiosités et beautés à travers l’évolution artisanale et technique de l’objet, l’événement s’attache également à la portée culturelle et sociale de ce dernier. Riche de 220 pièces provenant de 95 musées et collections du monde entier, il démontre comment l’artefact renvoie à la connaissance de soi, à l’orgueil autant qu’à la sagesse, à la beauté, au mystique ainsi qu’à la magie. Entraînant le visiteur jusqu’à notre époque entichée de selfies. Plusieurs thématiques intéressent plus particulièrement les amateurs d’art contemporain. « Autoportrait et miroir », par exemple, examine cette pratique qui deviendra à partir de la Renaissance un genre artistique que la photographie développera par la suite, soit en capturant le reflet du miroir, soit en utilisant un déclencheur à distance, soit aujourd’hui en s’adonnant à l’écran de son smartphone. De l’historique autoportrait dans le miroir sorcière de Charles Nègre (1845) à la mise en scène du téléphone portable par Amalia Ulman (Privilège 3/19/16, 2016), en passant par le self-portrait de Nan Goldin dans sa salle de bain bleue (1991-1999) ou un post Instagram de Cindy Sherman, les photographes se dévoilent tout en dépeignant la société de leur époque. Au fil de la visite, des œuvres rappellent combien le miroir est un sujet actuel. Citons sans hiérarchie aucune, le travail de Monir Shahroudy Farmanfarmaian, qui allie les ornements traditionnels de son Iran natal à l’expressionnisme abstrait de son pays d’adoption, les Etats-Unis (Octogon, 2013), L’Etrusque de Michelangelo Pistoletto, tendant sa main vers le miroir comme s’apprêtant à le traverser, le rétroviseur de voiture surdimensionné de Sylvie Fleury (Eternity Now, 2016), qui reflète à la fois la villa Wesendonck et son parc, ou encore Odile et Odette de Yinka Shonibare, superbe vidéo de 2005 dans laquelle l’artiste montre deux ballerines – une Africaine et une Européenne – évoluant en miroir l’une de l’autre. A signaler également sur l’esplanade de l’institution, la présence d’un étrange pavillon (notre photo d’ouverture), labyrinthe de reflets. Une invitation à se perdre et à se retrouver.