Pour sa 22e édition, accès)s(, le festival des arts électroniques en Nouvelle Aquitaine, nous donne RDV du 8 octobre au 25 décembre, de la Forge Moderne à la Médiathèque municipale, des Anciens Abattoirs au Bel Ordinaire de Billère, où se déploie cette année encore un programme de conférences, de projections autour des expositions dont la thématique met en jeu la question du « design » dans le champ de l’art : de l’usage à l’œuvre. Design des Signes– du latin designare, « marquer un signe », mettra particulièrement en exergue l’œuvre numérique du conceptuel, enseignant et chercheur Samuel Bianchini à travers huit sculptures comportementales fondées sur le principe d’une « esthétique opérationnelle », c’est-à-dire d’une interaction entre l’œuvre et son environnement (humain ou pas, proche ou distant) à travers des processus esthétiques, symboliques et techniques dont l’objet artistique accapare – manipule ? – le « spectateur ». A l’issue du lancement du festival par une belle soirée performative et dansante samedi, le débat sera ouvert à la Médiathèque dès le 11 octobre, autour de trois installations VR exemplaires qui questionnent nos usages, nos croyances et nos imaginaires sous la forme d’expériences immersives.
L’exposition phare Design des signes sera vernie le mercredi 12 octobre à 18h30 au Bel Ordinaire, composée des propositions d’une trentaine d’artistes – pas moins ! – que le directeur artistique, Jean-Jacques Gay a choisies parmi les historiques – Robert Breer, Nicolas Schöffer (tous deux décédés), Hervé Fischer, acteur-observateur bien vivant d’un art sociologique !…-, ou de jeunes talents, Alizée Armet, Raphaëlle Kerbrat, Justine Emard, Johnathan Pêpe…
Cette édition se présente comme un hommage aux artistes qui jouent des porosités entre art et design, questionnant « l’objet à usage », ou bien, dit « intelligent », autant que le design graphique ou interactif. « Le tournant du XXIe siècle nous porte à envisager non plus, un design « d’objet isolé » mais « un design de l’environnement social » de l’objet (Giulio Carlo, Argan 3 – 1981). C’est donc à travers l’observation de ce curseur « usage / art » , que sont conviés lors d’une table ronde animée par Samuel Bianchini, l’artiste doctorante « plasticienne des phénomènes invisibles » Raphaëlle Kerbrat et le designer concepteur d’un alphabet de verre Jean-Baptiste Sibertin-Blanc, le 11 octobre à la Médiathèque de Pau : « Ce qui est utile est beau ! » proposait Platon dans le cadre d’une cité idéale. Du Bauhaus au ready-made Duchampien, en passant par l’oiseau de Constantin Brâncusi : l’objet fait signe et société », reprend le commissaire.
En entrée libre à la Médiathèque, pendant un mois seront présentées 4 expériences de réalité virtuelle dont une balade sur écran, manette de jeu en mains dans l’architecture de La villa Arson et sa mise en abîme par le jeune plasticien Ange Delamaure qui y présente un commissariat d’exposition virtuelle. Trois autres œuvres sont à visualiser au casque à partir de 13 ans : The Friend, du réalisateur américain John Sanborn, qui dans sa version 2022 nous conduit dans une église reconstituée où Sanborn et ses huit amis célèbrent autant la liberté que la création d’une nouvelle utopie. La version antérieure de sa pièce, qui questionnait cette nécessité bien ancrée en l’être humain de croire en des idées, des structures ou bien des personnes en qui placer sa foi, se jouait dans une perspective critique du courant de pensée spirituel développé à partir du XIXe siècle aux Etats-Unis, et appelé la Nouvelle Pensée. Qu’en est-il de sa nouvelle théâtralisation de « l’Ami 2022 » ?
Autre univers à explorer, El Canto dei suicidi, un projet immersif à 360° inspiré du Canto XIII de la Divine Comédie de Dante Alighieri, conçu en 2020 par Vincent Ciciliatto et Christophe Havel sur la musique d’Art Zoyd : « L’œuvre repose sur des plateformes en lévitation qui mettent en scène les étapes allégoriques du cycle perpétuel – du châtiment de la réincarnation dans une plante (notre appréciation aura-t-elle changé depuis les Métamorphoses d’Ovide) à l’amputation par la dévoration, jusqu’à la séparation des âmes et des corps… » Ça ne vous donne pas envie de tenter l’expérience ?
L’artiste plasticienne et réalisatrice Faye Formisano, diplômée de l’école du Fresnoy en 2021, présentera dans la même section, un autre type de voyage spatio-temporel : They dream in my bones – Insemnopedy II, une œuvre troublante et fantomatique, qui nous propulse dans l’atelier de Roderick Norman, un chercheur en « onirogénétique », dont la découverte consiste à extraire d’un squelette, les rêves qui seraient encodés dans nos os. Imaginée par l’artiste à partir des recherches actuelles en épigénétique et en paléontologie, cette « non fiction » art-science nous projette dans l’espace mental de R. Norman, tel un « ride » à travers les métamorphoses de son être et les entités genrées qui le composent. L’œuvre joue ici sur la fluidité du dessin, mêlé aux prises de vues réelles ou à l’image 3D, dans une immersion en noir et blanc, mise en son et commentée à 360°. Douée d’une expérience de designer textile au sein de grandes maisons de couture, autant qu’influencée par l’esthétique des cinéastes expressionnistes, c’est dans un métavers symbolisé par le voile, que nous transporte Faye Formisano qui convoque ici le mythe de Frankenstein initié dans le roman de Mary Shelley autant que les transformations d’Orlando par Virginia Woolf.
A noter qu’à la Médiathèque, en parallèle de l’exposition du Bel Ordinaire Magalie Mobetie, une jeune artiste française, également diplômée du Studio national des arts contemporains du Fresnoy, présentera une sculpture interactive Anba tè, adan kò, – « sous la terre, dans le corps », en créole -, dans laquelle l’artiste explore le sujet tabou de la traite négrière et de l’esclavagisme en Guadeloupe, autant qu’elle questionne, elle aussi, l’existence d’un héritage épigénétique : autrement dit, « le poids des traumatismes vécus par les esclaves, peut-il se transmettre de génération en génération par les gènes ? ». La question soulevée y est traitée par des témoignages familiaux exprimés sous la forme d’un arbre de cordes à huit branches, dont les feuilles semblent incarnées par les visages de ses aïeux. Mais c’est à l’aide d’une tablette, un ipad (à demander en médiathèque) qu’apparaissent les témoins, dès lors que vous vous asseyez sur les « tibancs » placés à cet usage !
Il s’agit bien là d’œuvres d’art au sens pluriel explorant nos imaginaires (collectifs), (re)visitant les grands mythes littéraires, ou questionnant encore, nos dérives sociétales par le transport de mises en forme singulières. Si « Le design est créateur de savoir, d’objets, d’environnements, de graphismes tant fonctionnels qu’esthétiques ou industriels », affirme Jean-Jacques Gay en préambule d’accès)s( #22, l’art qu’on nomme numérique a longtemps été observé en vertu ou au dépend des techniques qu’il utilise ou bien qu’il détourne, avant d’être pollué par un engouement marketing pour toutes sortes d’artefacts encodés sous le label NFT, ne sachant sur quelle foire ou marché se vendre. Or il existe peu de fenêtres, d’espaces (publics) pour que les œuvres puissent être appréhendées, expérimentées sous la forme installative qu’elles méritent… Ne manquons pas ce rendez-vous !
Complément d’informations : XX2.acces-s.org — exposition virtuelle
Il y a deux ans le festival (#20 Melting Point) nous proposait, avec l’exposition en ligne xx.acces-s.org, éditorialisée par Thomas Cheneseau, de revenir sur 20 ans de netart ; elle fut commentée dans nos colonnes ! L’année dernière, l’exposition virtuelle d’accès)s( #21 xx1.acces-s.org conviait, les jeunes artistes Marina Vaganova, Marie Molins et Marianne Vieules à produire des œuvres en dialogue avec l’installation NFT de Maurice Benayoun, « La chose mentale ». Cette année, c’est à Julien Bidoret, designer, développeur indépendant et enseignant à l’Ecole supérieure des arts et de design des Pyrénées qu’est confié le commissariat, qu’il décida de partager avec le collectif PrePostPrint, le laboratoire et groupe de recherche fondé en 2017 par Sarah Garcin et Raphaël Bastide autour des systèmes de publication libres alternatifs. Autant dire que l’exposition virtuelle construite à partir de workshops, d’expositions et de rencontres en dialogue étroit avec les étudiants de l’ESAD-P et de nombreux artistes invités tel que le collectif bruxellois Luuse, sera rhizomique !
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Contact> Festival accès)s( # 22 – Design des signes : du 8 oct. au 25 déc. 2022, vernissage de l’exposition emblématique mercredi 12 octobre à 18h30 au Bel Ordinaire. Ici tout le programme en ligne !
Visuel d’ouverture> ©Samuel Bianchini, A présent (Félix Guattari), installation, 2017 : Samuel Bianchini avec la collaboration de Pascal Viel (CEA) Projet mené avec les soutiens du CEA et de La Diagonale Paris-Saclay.
A noter> En 2012, ArtsHebdoMédias mettait en ligne un e-magazine consacré à la porosité entre le design et l’art contemporain. Deux de ses articles sont en ligne ici : Design, l’art du défi, un entretien avec Serge Bensimon,