Cette année, l’Italie a fêté les 150 ans du Risorgimento, son unification. Nombre de manifestations ont été organisées dans la Péninsule pour célébrer l’événement. C’est dans ce cadre qu’a été conçue Arte Povera 2011, une gigantesque rétrospective de cette démarche artistique née en Italie en 1967, dont le commissariat a été confié au critique d’art – et inventeur de l’expression Arte Povera – Germano Celant. Plusieurs expositions sont programmées jusqu’en avril 2012 simultanément à Bari, Bergame, Bologne, Milan, Naples, Rome et Turin. Evénement inédit par son envergure, Arte Povera 2011 a pour ambition de présenter, tant au niveau national qu’international, l’histoire du mouvement, son évolution et ses développements contemporains, notamment en Europe et aux Etats-Unis.
Une des manières d’aborder l’Arte Povera est peut-être de passer par la sémantique : povera, pauvre… Une traduction correcte, certes, mais qui fait offense à la subtilité de la langue italienne. Elle est peut-être la seule à donner à ce mot un sens positif. En effet, sa définition s’enrichit de nombreuses nuances aux résonances quasi métaphysiques : pauvre comme ascétique, simple, dépouillé…
L’Arte Povera se veut dès le départ une attitude politique de critique radicale de la société. L’œuvre d’art est pauvre en opposition à la lourdeur d’une œuvre figée et accomplie. En réaction à un art assujetti au consumérisme et à la technologie (comme le Pop Art ou l’Op Art), les artistes proposent de rétablir un contact direct avec des matériaux naturels – terre, charbon, végétaux, animaux, entre autres. L’œuvre n’est plus illustrative, elle convie le spectateur à une expérience sensible ; priorité est alors donnée au geste créateur. Véritable guérillero de l’art, l’artiste renonce à un équipement lourd. Il est dès lors libre et disponible pour une création multiforme, qui va de la peinture à la sculpture en passant par l’installation et la performance.
Une pratique pérenne
L’Arte Povera n’est pas un manifeste. Il doit tout à la plume et la pensée d’un critique d’art italien, Germano Celant, qui réunit une famille d’artistes(1) sur la base d’un « champ de convergences ». Le critique en définit ainsi les contours, en 1967 : « Il s’agit d’une nouvelle attitude qui pousse l’artiste à se déplacer, à se dérober sans cesse au rôle conventionnel, aux clichés que la société lui attribue pour reprendre possession d’une “réalité” qui est le véritable royaume de son être. »(2)
Si Arte Povera 2011 place la démarche dans une perspective historique, la rétrospective met aussi l’accent sur la pérennité d’une création contestataire qui a survécu aux années 1960. Ses pionniers sont aujourd’hui reconnus internationalement, toujours actifs et productifs. L’exposition de Milan, intitulée Arte Povera, 1967-2010, permet d’ailleurs au spectateur de constater l’évolution de leur recherche artistique au fil des ans. Si l’Arte Povera continue de faire sens, c’est sans doute dû à la pertinence d’une pensée politiquement engagée. Comme le résume Germano Celant : « L’Arte Povera demeure intéressant parce qu’il reste un noyau de magma dans lequel toutes les sensibilités sont réunies. Il est donc resté secret, magique… » (3)
(1) En 1967, il s’agit de Giovanni Anselmo, Alighiero e Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz, Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio.
(2) Notes pour une guérilla, Flash Art, Milan, 1967.
(3) Entretien de Daniel Soutif avec Germano Celant, Gênes, 13 septembre 1986.