Cinquième épisode d’une série d’articles destinés à l’art numérique que vous pouvez retrouver chaque mardi. Notre objectif est de présenter cet art « nouveau », de le situer dans une continuité historique, d’en analyser le contexte technologique et juridique, d’en découvrir les multiples facettes et d’imaginer ses développements futurs.
Né de découvertes technologiques successives et diffusé plus largement depuis l’avènement du Web, l’art numérique souffre encore d’une visibilité réduite auprès du grand public et même du milieu de l’art en général. Ses artistes ne sont guère reconnus et les œuvres souffrent de la confusion qui existe encore entre production scientifique et création artistique. En France, une quarantaine d’associations et de lieux se consacrent en permanence à l’art numérique. Exemples : Le Cube à Issy-les-Moulineaux (le plus connu et le plus ancien), Synesthésie à Saint-Denis, le Laboratoire à Paris, l’Espace Gantner à Bourogne ou Ars Numerica à Montbéliard. Tantôt centre de recherche artistique et de développement technologique lié à l’art, incubateur de projets, lieu de résidence, espace d’échanges entre professionnels, mais aussi avec le public, centre de documentation et espace de diffusion, chacun d’entre eux réunit la plupart du temps plusieurs de ces activités. Très rarement spécialisés, ces lieux abordent aussi bien les arts visuels, que la danse ou la musique et la présentation régulière d’œuvres hybrides tend à ouvrir encore un champ de réflexion et de recherche au demeurant déjà fort étendu.
A noter qu’il n’existe aucune institution publique en France consacrée exclusivement à la recherche ou à la diffusion de l’art numérique. L’offre de ces différents espaces est complétée par une quarantaine de manifestations réparties sur l’année et sur le territoire. Citons parmi les plus importants : le festival Emergences à Paris, consacré aux cultures électroniques et aux formes artistiques émergentes (dont l’édition 2009 n’a pas eu lieu faute d’avoir pu réunir le budget suffisant : les organisateurs espèrent revenir cette année), le Festival international des arts numériques d’Enghien-les-Bains, qui réunit des projets issus principalement de la danse, mais aussi des installations interactives et des arts visuels, Art Outsiders organisé à la Maison européenne de la photographie à Paris et dédié aux nouvelles formes de la création contemporaine et à leurs rapports avec les sciences et les technologies ou encore les Transnumériques, qui se déroule à Maubeuge, Lille, Paris, Bruxelles, Mons et Liège et explore les nouveaux territoires de l’image et du son. « La visibilité de l’art numérique en France est assurée par les festivals. Beaucoup sont organisés dans des villes moyennes comme Reims ou Poitiers. Ce sont eux qui dynamisent le secteur », précise Anne-Cécile Worms, présidente et éditrice de MCD Musiques & Cultures Digitales.
Si ces manifestations sont les meilleurs relais de l’art numérique dans l’Hexagone, bon nombre d’institutions classiques, privées et publiques, lui ouvrent désormais leurs portes. Tous les musées et lieux d’art contemporain ont l’occasion d’exposer régulièrement de l’art numérique à travers, notamment, les installations. Même porosité pour certaines manifestations comme la fête des Lumières à Lyon ou la Nuit Blanche à Paris qui ne sont pas exclusivement consacrées à l’art numérique mais l’accueillent volontiers grâce aux effets spectaculaires qu’il permet de déployer en extérieur.
Sa valorisation passe aussi par la presse. Il n’existe en France que peu de revues dévolues à l’art numérique. Citons MCD, éditée depuis 2003 par l’association Musiques & Cultures Digitales, consacrée à la promotion des arts numériques, multimédia et des musiques électroniques, sans oublier Leonardo fondée il y a 40 ans par l’ingénieur et artiste cinétique Frank Malina ; à la croisée de l’art, de la technologie et des sciences, il laisse la parole aux artistes.
Les autres médias les plus concernés par le sujet sont sur le Net et diffusent leurs informations via le réseau. Deux principaux types de sites existent. D’une part, ceux créés pour informer comme le portail « culture et multimédia » du ministère de la Culture qui agit comme un agenda, Nouveaux Médias.net qui regroupe des articles écrits par Dominique Moulon, son fondateur, pour Images Magazine, ou Poptronics, site d’information fondé par la journaliste Annick Rivoire. D’autre part, ceux créés pour partager, échanger, réfléchir et aussi montrer, comme la plate-forme Didascalie.net dont l’objet est la création, la diffusion, la recherche, la transmission et l’accompagnement de projets dans le domaine du spectacle vivant et de l’installation plastique et Incident.net créé par une association d’artistes et dont le but est d’établir un état des lieux et un espace de rencontre et de réflexion.
Du côté des médias d’art classiques, la présence de l’art numérique est rare. Certains artistes, comme Maurice Benayoun ou Miguel Chevalier, ont réussi à capter leur attention mais il n’existe pour ainsi dire pas de véritable critique spécialisée dans le domaine. Les journalistes réagissent souvent à l’occasion d’une foire ou d’un salon en citant telle ou telle œuvre pour son côté surprenant, divertissant ou spectaculaire. L’art numérique sert à mettre en valeur la présentation globale de la manifestation, mais il ne bénéficie pas du même traitement que celui qui est ordinairement réservé à la peinture ou à la sculpture. De fait, les œuvres numériques se trouvent délibérément écartées de l’histoire de l’art. La tentation demeure de toujours traiter ces créations à part. Leur quasi-absence sur le marché, et a fortiori de toutes les ventes aux enchères, empêche une reconnaissance plus officielle de ce pan de la création en France.
Force est de constater que le circuit de valorisation de l’art numérique en France a été initié par des passionnés et s’adresse, le plus souvent, à d’autres passionnés. Le monde de l’art numérique existe en dehors de l’art « classique » même si des zones de convergence existent. Comme pour l’ensemble des activités numériques, la pédagogie auprès du grand public reste à faire. Les institutions et les musées, acteurs importants en France de la reconnaissance, doivent véritablement jouer leur rôle. Au-delà des actions ponctuelles, ils doivent s’engager dans une politique de valorisation au long cours de l’art numérique et de ses artistes. De la même manière que le cinéma est entré dans les maisons, d’une part, par le numérique et, d’autre part, par Internet, l’art est prêt à en faire autant.
Mardi prochain : Les équipements technologiques poussent les usages