Installé à Valenciennes, dans le Nord, le vidéaste et écrivain Richard Skryzak mène depuis une trentaine d’années des recherches théoriques et artistiques questionnant les qualités esthétiques de l’image électronique, et plus particulièrement son rapport au concept de vanité. Il est l’un des contributeurs de la revue « Les Carnets d’Eucharis » – créée en 2013 par Nathalie Riera –, publication annuelle où s’entremêlent poésie, littérature, photographie et arts plastiques. A l’occasion de la sortie récente de son édition 2016 – dans laquelle il nous emmène notamment à la rencontre de l’artiste, cinéaste et compositeur américain Pip Chodorov –, Richard Skryzak a accepté de se prêter à l’exercice du Jeu des Mots.
Enfance
« Je crois que c’est Freud qui a le mieux résumé le problème. Dans son texte La création littéraire et le rêve éveillé, il compare l’activité du poète et le monde de l’enfance. Tout enfant qui joue, pour lui, se comporte en poète, « en tant qu’il se crée un monde à lui » ou, plus exactement, « qu’il transpose les choses du monde où il vit dans un ordre nouveau tout à sa convenance ». On ne saurait mieux définir l’activité artistique. C’est dans l’enfance que se dessine la cartographie des affects et des désirs. Que se construit le territoire des affinités électives et sélectives, dans lequel il nous faudra sans cesse revenir pour puiser ressource ou nostalgie. En cela, l’enfance est moins le signe de l’Innocence que de la Promesse. Pour ma part, s’est fabriqué très tôt un théâtre opératoire, une “scène primitive”, où se manifestait un goût précoce pour le dessin, la peinture, la musique, le dessin animé et la magie. J’ai su rapidement que ce monde allait s’avérer invivable et que le seul moyen de le supporter était de lui substituer un monde parallèle, laissant libre cours à l’imagination, à la poésie et au désir : le monde de la création artistique. En ce sens, un artiste est un adulte qui réalise ses rêves d’enfant.
Il m’a fallu du temps pour comprendre que les vraies motivations qui m’ont toujours poussé à créer se trouvaient autant, sinon plus, dans les images de toutes natures et les forces poétiques qui m’ont aidé à grandir, que dans les concepts esthétiques ou les théories artistiques qui sont censés légitimer l’acte de production. En 2010, j’étais invité par le Musée de l’Orangerie, à Paris, à donner une série de conférences accompagnant la diffusion de ma bande L’arc-en-ciel (2001). Après avoir exposé les liens entre cette vidéo et les Nymphéas de Monet (vibrations colorées, fluidité, immatérialité, instantanéité, temporalité, etc.), et développé les multiples références qui nourrissent mes œuvres (Klee, Magritte, Gysbrechts, Jankélévitch, Calvino, etc.), je terminai en montrant le générique du feuilleton Zorro qui avait bercé mes jeunes années, ce qui ne manqua pas de provoquer dans le public un mélange d’étonnement et de sourire. Or, ce générique contient deux éléments majeurs – la lune et la foudre – que je ne cesse de décliner dans mes vidéos, entre autres, depuis 25 ans, et je pense qu’inconsciemment cela a dû avoir une influence sur moi : j’ai toujours assimilé Zorro à la figure de l’artiste, c’est-à-dire à quelqu’un qui se cherche une raison d’être en évoluant dans un univers décalé. En étant de ce monde, sans en être complètement. De plus, dans cette société qui érige la transparence en dogme, l’étalage de l’intime en règle, et la vidéo-surveillance en vertu, je pense qu’il est préférable, comme lui, d’avancer masqué. »
Ecriture
« Roland Barthes disait que l’écriture n’était pas forcément le mode d’existence de ce qui est écrit. Le concept d’écriture est donc à prendre de façon bien plus large. Quelqu’un comme Michel Serres va d’ailleurs beaucoup plus loin dans cette idée, quand il compare la vague à une partition musicale écrite par le vent. Pour lui, les objets écrivent au même titre que les hommes. Je partage complètement ce point de vue. Le monde nous écrit autant que nous l’écrivons. De même qu’il nous regarde autant que nous le regardons. J’ai réalisé une œuvre, Vibration (2013), construite sur le modèle d’un haïku japonais, qui montre une vague fondue à des feuillages d’arbres animés par le vent. Il y a œuvre quand la poésie des images rejoint celle du monde. La vidéo est une graphie. Une vidéo-graphie qui est à la lettre une inscription, une trace, une écriture très particulière. L’Ecriture de la Vision. Ecrire ce que l’on voit avec ce que l’on voit. L’œil vidéoscopique, à la fois double visuel et extension optique, offre au regard ce qu’il puise au cœur même du visible. D’autre part, en parallèle de mon activité de vidéaste, j’ai toujours développé une pratique d’écriture théorique, analytique et poétique, qui a fait l’objet de nombreuses publications. Vidéo et écriture sont chez moi indissociables. »
Esthétique
« La plupart des textes que l’on range dans la catégorie “Esthétique” me semblent en général relever d’une Méta-Esthétique, d’un discours sur l’Esthétique se parlant à elle-même dans une boucle tautologique où surgit sans cesse la même litanie des noms propres (Kant, Hegel, Adorno, Goodman). J’ai de plus en plus de mal avec ça. Je m’intéresse davantage aux “Paroles d’Artistes”, que je trouve passionnantes, à travers leurs écrits, journaux, lettres, entretiens, pensées. Quand Van Gogh, par exemple, écrit à son frère Théo et qu’il évoque Millet en citant Théophile Gautier – “Son paysan semble peint avec la terre qu’il ensemence.” –, c’est fabuleux comme il transcrit en une phrase l’acte de peindre comme “transsubstantiation” de la matière terrestre en matière picturale. Dans une autre lettre, il s’interroge sur la fonction du dessin : “Qu’est-ce que dessiner ? Comment y arrive-t-on ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible.” Qui a mieux posé la question ? Cela m’a beaucoup inspiré quand j’ai filmé la foudre, non comme un phénomène météo, mais comme une ligne qui fissure le néant, en ouvrant justement un chemin entre le visible et l’invisible.
Un des plus beaux textes sur la peinture que je connaisse n’a pas été écrit par un “spécialiste” de l’art, mais par un homme politique. Il s’agit du superbe Révolution de Cathédrales, rédigé par Clémenceau pour son ami Monet en 1895. La façon dont il aborde la lumière, la vision, la matière, la sensation, les ondes, les vibrations est exemplaire. Qui l’a lu ? Quand on pense que les grands concepts poétiques émis par Rimbaud – JE est un autre, Le Poète se fait voyant, par un dérèglement de tous les sens, le poète est voleur de feu, il est chargé de l’humanité, des animaux même, trouver une langue –, et qui ont nourri une bonne partie des théories littéraires du XXe siècle, tiennent en réalité dans une lettre de cinq pages adressée à Paul Demeny. Pour moi la véritable Esthétique ne relève pas de la Théorie mais de l’Energie. Si la “Beauté sauvera le monde”, comme le souhaitait Dostoïevski, ce ne sera pas au nom d’une Théorie Esthétique, mais d’une Puissance Poétique à l’œuvre, comme on en trouve dans toute véritable entreprise créatrice de survie. »
Image
« La question de l’image était déjà au cœur de ma première installation en 1986. Ce dispositif originel, intitulé Ecran, était en fait constitué d’un appareil de cinéma super8 qui projetait en boucle, sur un écran de télévision éteint, l’image d’une mire de barres préalablement filmée. Il s’agissait donc à la lettre de faire de la vidéo sans image électronique, mais en utilisant, par le biais du medium cinématographique, une image symbole de l’univers télévisuel : la mire. Quel était à un moment donné le véritable statut de l’image ? Comment définir une image qui n’est plus vraiment du cinéma, ni de la télévision, et pourtant pas encore de la vidéo ? Ou les trois à la fois ? Une sorte d’Entre-image pour reprendre l’expression de Raymond Bellour. Pour moi, l’image a toujours été du côté de la magie. Pas seulement parce qu’elle en est l’anagramme, mais parce qu’ontologiquement, elle participe d’une puissance d’hallucination, d’un trouble de la perception, qui est à l’origine de ma volonté de créer. Se situer au cœur d’une Vision, d’une Révélation. Amener au Visible ce qui jusque-là était In-Visible ou Impré-Visible. Tel est le souci qui m’anime. Video, en latin, signifie Je Vois. Je tente donc à chaque œuvre d’élargir notre champ de vision, et par extension celui de la pensée. De célébrer l’Œil autant que l’Esprit comme aurait dit Merleau-Ponty. Je garde en tête ce passage des psaumes de la Bible concernant les idoles : “Ils ont des yeux et ne voient point.” (Jérémie 5:21). Que voyons-nous d’un pétale de tulipe qui tombe, d’une bulle qui éclate, d’un éclair ou d’un arc-en-ciel ? C’est pour répondre à ces questions que je crée des vidéos. »
Astres
« Dès ma première vidéo intitulée Electron (1986), j’ai rendu hommage à la lune, cet astre qui, comme disait Chateaubriand, “alimente les rêveries”, en jonglant avec elle le temps d’une ritournelle vidéographique. Cet acte de naissance résume ma conception de la création artistique. Vouloir décrocher la lune, c’est selon moi la seule chose qui compte ! Ensuite, j’ai continué à filmer le ciel, le soleil, la foudre, l’arc-en-ciel, des traces d’avion. Et j’ai tout naturellement décidé d’appeler l’ensemble de mon œuvre la Constellation du vidé-astre, comme ces dessins où il faut relier les points pour tisser une figure. On peut donc, d’œuvre en œuvre, tracer ma propre constellation. Où chaque vidéo apparaît comme une étoile, une luciole, une épiphanie. J’aime souvent répéter cette phrase : “Je filme le ciel, ainsi je lève les yeux, ainsi je tiens debout.” En faisant de la vidéo, je rends en quelque sorte au ciel ce qui lui appartient. Car, dans l’absolu, le ciel est mon seul lieu d’exposition. »
Lumière
« En décrivant la télévision, Mac Luhan parlait de trans-lumination. Le medium électronique est plus proche du vitrail que de la peinture. Faire de la vidéo, avant même qu’il y ait volonté de faire image, c’est œuvrer avec la lumière, dans la lumière, par la lumière. En tenant compte de la lumière ambiante et de la lumière radiante. Avant de produire un signal, un écran illumine ce qui l’entoure. La vraie question n’est donc pas de fabriquer des petits films, mais de libérer des potentialités poétiques. Des hypothèses électro-iconiques. Tout ça n’est pas affaire de messages, ou de contenus, mais de radioactivités. Si on n’a pas compris cela, je crois que ce n’est pas la peine de s’intéresser à la vidéo. Pour moi, le modèle absolu reste La ronde de nuit de Rembrandt. Je ne connais aucune autre œuvre qui m’ait autant donné l’impression d’être éclairée de l’intérieur, d’irradier non seulement le tableau, mais l’espace environnant. Quand vous l’apercevez de loin au Rijksmuseum d’Amsterdam, vous êtes irrésistiblement attiré par son éclat et sa luminosité. C’est déjà en soi une “installation”. De même, dans mes travaux, c’est l’expérience sensible imprégnant le spectateur sur le mode de l’immersion qui guide ma préoccupation première, selon le principe, essentiel à mes yeux, qu’en art la substance fait sens. La création vidéo est affaire de lumières, de forces, de tensions et d’énergies.
Ces dernières années ont vu éclore un peu partout des manifestations portant la marque du spectaculaire, fondées sur une esthétique du “son et lumière”, c’est-à-dire de l’exhibition et de la démesure, en d’autres termes du pouvoir. En ce qui me concerne, j’en prends le contrepied et préfère par exemple diffuser la lueur d’une bougie à une fenêtre, la nuit, comme au château de Bailleul de Condé-sur-l’Escaut en 2011, quitte à ce qu’elle ne soit vue par personne ou peut-être un chat en balade. Je fais une distinction entre l’Eclairage qui relève du public, et la Lumière qui, selon moi, est du domaine de l’intime et du privé. Ma sensibilité me pousse plutôt vers la discrétion, l’effacement, la retenue, la délicatesse, la subtilité, la nuance ; bref, autant de valeurs qui ne sont plus vraiment à l’ordre du jour. »
Couleur
« J’ai abordé la couleur explicitement dans deux vidéos qui se répondent à 13 ans d’intervalle. Ecran, en 1988, et L’Arc-en-ciel, en 2001. Dans Ecran, on me voit peindre une mire de barres colorées jusqu’à ce qu’elle remplisse l’écran totalement et que je disparaisse derrière elle. La mire était le symbole de l’image couleur télévisuelle, à la fois étalon servant à l’alignement et au réglage du signal, mais aussi abstraction visuelle pure renvoyant pour moi à la modernité picturale. Ainsi, l’image vidéo apparaît comme un prolongement et une issue possible au geste pictural, en tant qu’“écran-tableau”, notion que j’ai très tôt mise en place dans ma production. Il faut savoir que j’ai commencé par pratiquer la peinture et qu’au début des années 1980, elle me semblait mener à une impasse, dont la découverte de la vidéo m’a permis de m’extraire. Ecran marque donc pour moi le passage de la peinture à la vidéo comme pratique artistique, en m’ouvrant les portes de l’art contemporain. L’Arc-en-ciel, quant à elle, est une œuvre née de la rencontre fortuite, dans un paysage champêtre, d’un dispositif d’arrosage et de mon caméscope. Ce hasard m’a permis de capter des mini “arcs-en-ciel” comme autant d’instants éphémères et visuels purs. Mais je voyais surtout, dans ces ponts de couleurs immatérielles, l’expression métaphorique et impressionniste de l’image vidéo. En laissant venir les vibrations lumineuses et colorées, j’ai posé mon camescope devant le paysage comme Monet y aurait planté son chevalet. Pour moi, il s’agissait du même geste. En quelque sorte, faire de la peinture avec de la vidéo.
D’une part, la mire de barres est un arc-en-ciel artificiel… D’autre part, l’arc-en-ciel est une mire de barres naturelle. »
Mouvement
« Ce qui m’intéresse, dans la vidéo, c’est qu’elle est une image-nomade par nature. Cela veut dire qu’elle voyage (à travers l’air, les ondes, les fils, les flux) et qu’elle est sans cesse obligée de s’adapter à l’écran qui va l’accueillir pour la diffuser, celui-ci étant rarement le même, toujours différent (plat, grand, petit, système de vidéoprojection ou smartphone). Une image donc en mouvement, faite de mouvement, celui incessant des pixels qui la composent, prise dans le mouvement des vibrations et des fréquences, soumise à de véritables phénomènes de “dé-territorialisation” et de “re-territorialisation” esthétiques. Mais, il y a autre chose de très important dans ma réflexion. Le concept occidental d’image est très lié au christianisme et au mystère de l’Incarnation. Pour ma part, je suis plus tenté par l’intuition d’une Ré-Incarnation des images. Je crois qu’une image c’est une idée visible, une pensée visuelle, qui voyage dans l’espace et dans le temps, et peut prendre des formes différentes (peinture, photo, vidéo) suivant les époques où elle se donne à voir et les artistes qui la font revivre. C’est très présent dans mon œuvre quand, par exemple, je décide de réactualiser vidéographiquement un élément iconique comme la tulipe, typique du lexique de la Vanité classique. En changeant de contexte, l’image, en somme, reste la même tout en donnant une autre “image” d’elle-même. »
Temps
« La Vanité, c’est du Temps. La Vidéo, c’est du Temps. La Vanité, c’est donc de la Vidéo. J’ai consacré de longues études théoriques au concept Vanité/Vidéo et j’ai intitulé l’ensemble de mes productions s’y rattachant In Video Vanitas. J’ai depuis longtemps une prédilection pour les formes brèves, qui me vient de ma fréquentation assidue de Barthes, Calvino et Nietzsche. Je conçois mes vidéos comme des petites ritournelles, des haïkus, des aphorismes visuels. J’ai toujours cherché à mettre un maximum de choses dans un minimum d’effet et de durée. Une économie esthétique basée sur le presque rien et la rareté, qui s’oppose au trop-plein et à la saturation des flux visuels ambiants. Un régime iconique contemplatif qui laisse respirer le spectateur sans l’agresser. Mon Autoportrait à la bulle (2003) en est un parfait exemple. Une bulle de savon renferme le monde. Microcosme et Macrocosme. Le temps d’une vision, elle épouse l’écran en le remplissant progressivement, puis s’évanouit en laissant derrière elle une traînée de poudre électronique. Tout y est. Naissance, apparition, évolution, le figure et son double, le jeu et la gravité, l’enfance et le monde adulte, la légèreté et la profondeur, le vide et le cosmos, l’énergie et la matière, la pesanteur et l’immatériel, la surface et les particules élémentaires, le cycle de la vie. Homo Bulla. Le tout dure une minute. Je rends ici hommage au prodigieux Vladimir Jankélévitch, dont la philosophie me nourrit constamment, pour qui le “presque rien est une immensité”, et qui comparait la musique, cette “très vaine vanité”, à une “bulle de savon irisée qui crève dès qu’on la touche”. Je crois, comme lui, que ce sont dans les signes fugitifs que résident bien souvent les choses les plus importantes de la vie. »
Transmission
« Je suis un enfant de la télévision. La vraie. Celle des origines. Celle des Averty, Barma, Dumayet, Santelli, Pivot, du Ciné-Club… La reine des télé-transmissions. La télévision m’a enfanté comme spectateur. A mon tour, j’ai enfanté de ma télévision. C’est ça, l’art vidéo pour tous ceux qui ont vraiment saisi ce qui s’est passé. Pour tous ceux qui ont compris que la télévision, avant d’être méprisée comme agent formateur d’une idéologie de masse ou machine à fabriquer de la bêtise, nous a avant tout construits comme sujets cultivés, intelligents et sensibles aux écrans. Qu’on se le dise une bonne fois pour toute. La télévision a formé plus de créateurs et d’artistes que toutes les écoles d’art réunies ! J’ai créé en 2011 une série d’installations vidéos nocturnes, pour la ville de Condé-sur-l’Escaut, prenant pour origine l’invention du télégraphe optique Chappe. Elles fonctionnaient comme des rébus, des signaux, des énigmes visuelles qui brillaient à l’arrivée du crépuscule, à peine perceptibles, visibles uniquement à l’œil attentif au silence de la nuit. La généalogie du medium audiovisuel rejoignait la dimension historique des télé-communications.
Il y a une chose étonnante à l’église Santa Croce de Florence. La présence par des formes différentes de trois personnages. Giotto par ses fresques. Galilée par son tombeau. Et Marconi par une plaque commémorant l’Inventore della radio. Chacun à sa manière a révolutionné son domaine. Mais je ne peux m’empêcher d’établir des connexions. Par exemple, entre une Annonciation de Giotto et la TSF de Marconi, il est question dans les deux cas de Transmission de la Parole. J’ai développé tout cela dans mon livre Résonances d’un souvenir florentin (Ed. Elektron, 2010). Sans radio, pas de télévision. Et sans télévision pas d’art vidéo.
Sur un autre plan, il m’a toujours semblé aller de soi qu’être artiste devait s’accompagner d’un travail de pédagogue. Pour faire don à son tour de ce qu’on a reçu en cadeau. Si j’ai choisi d’enseigner dans une école d’art*, c’est parce que j’envisage la pédagogie elle-même comme un acte de création, autant que de transmission. Ce qu’on délivre, c’est moins du savoir ou de la connaissance que de la passion et du désir. »
Liberté
« La liberté, c’est le Désir en tant qu’il peut s’exprimer comme pur Désir. Et pour moi, le maître mot de la création artistique, comme de la vie, est Désir. C’est pour cela que je l’ai inscrit à l’aide de traces d’avions combinées à la Lune sur le panneau central de mon triptyque vidéo Ici la vue est dégagée. Parce que la vraie crise que nous traversons, au-delà de l’économie, du social, de l’écologie ou de la géopolitique, c’est une crise profonde du Désir, auquel s’oppose résolument l’idéologie consumériste qui imprègne désormais tous les domaines de notre existence. Personnellement, j’ai le sentiment, quand je crée, d’être en état de légitime défense, face aux agressions de toutes sortes dont nous sommes l’objet quotidiennement. Je crois sincèrement que le Désir est en danger et que la création est un des moyens qui s’offrent à nous de le sauver. »
* Richard Skyzak enseigne l’art vidéo à l’ESA Tourcoing et à l’Université de Valenciennes.
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