Le plafond (The Ceiling) réalisé par Cy Twombly pour la salle des Bronzes du musée du Louvre fera-t-il date dans le fameux débat sur l’art contemporain et les lieux d’histoire, débat dont l’exposition Jeff Koons à Versailles a montré l’intacte vigueur ? Proclamé aussitôt « chef-d’œuvre »1 par certains critiques d’art, ce plafond a semblé, dans un premier temps, désamorcer la polémique. A la surprise visiblement de l’artiste lui-même préparé à recevoir les jets de pierre de la critique, comme Georges Braque avec ses illustres Oiseaux quiornent une salle voisine (« Je suis sûr qu’il y aura des réactions négatives comme pour Braque à l’époque » indiquait-il à Marie-Laure Bernadac lors de la préparation du catalogue), et sans doute des commanditaires eux-mêmes. Le Louvre se voit promu du même coup « musée d’art contemporain2 » sans que cela ait coûté un euro au contribuable puisque l’artiste a fait don de son projet et que la réalisation a été entièrement financée par le mécénat, nous dit-on. Tout cela ne mériterait que des applaudissements, si par ailleurs nous n’émettions aucune réserve.
D’abord, l’effet visuel est… saisissant : presque 400 m2 d’un bleu intense, « un bleu Giotto » affirme le spécialiste Richard Leeman même si, selon certaines interviews, Twombly se serait en fait inspiré d’une estampe japonaise, bien loin du ciel méditerranéen qu’on voudrait y voir, le tout appliqué à grands coups de brosse, bien visibles eux aussi (les lés ont été exécutés en atelier puis marouflés sur le plafond). Rien à voir évidemment avec le délicieux couple de volatiles de Braque, ni les interventions mesurées d’Anselm Kiefer dans l’escalier Percier et Fontaine du département des Antiquités égyptiennes en 2007 ou celles qui frôlent l’invisible de François Morellet dans l’escalier Lefuel en 2009. Conséquence : l’œuvre de Twombly est si présente qu’il est parfaitement possible de passer à côté des bronzes antiques que le plafond est censé mettre en valeur.
Les éléments de la composition laissent eux aussi perplexes. Il y a d’abord ces fameux cercles, des « boucliers », certes astucieusement répartis sur les bords pour creuser la perspective vers le centre, mais qui évoquent plus sûrement des météorites. Ce qui colle d’ailleurs davantage à l’effet de flottement et de profondeur recherché. Ensuite, sur les sept cartouches inscrits en grec qui s’intercalent, la notice nous apprend qu’ils contiennent le nom de grands sculpteurs choisis parmi ceux du IVe siècle avant J.-C., bel hommage quand on sait qu’aucune de leurs œuvres ne figure sur place.
En levant le regard vers cette belle calligraphie, on finit par apercevoir une autre mention, plus discrète certes, mais qui a tout son poids : celui du mécène, la fondation Janet Wolfson de Botton. L’inscription mentionnant le soutien de la Gagosian Gallery (dont une annexe s’ouvre prochainement à Paris) ne passe pas non plus inaperçue même si elle n’a les honneurs que d’un cartel. Offrir 1,2 million d’euros à une institution fût-elle établissement public, donne quelques droits.
Dernière remarque : le plafond ne ressemble guère à du Cy Twombly. Comme le souligne, non sans un certain humour Richard Leeman dans le catalogue de l’exposition, « il est une évidence devant ce plafond : il ne ressemble à peu près à rien que Twombly a peint jusqu’ici ! » et d’avancer : « sans doute parce qu’il s’agit d’une œuvre si singulière que l’artiste a au fond considéré qu’il fallait s’adapter au lieu et non s’y imposer. » Ce ne sont pas les confidences laconiques lâchées par l’artiste sur sa première réaction après qu’il reçoit cette proposition qui lèvent le voile : « Je ne me souviens plus, j’ai déjà eu plusieurs commandes vous savez… »1. S’agit-il alors d’une de ces « fulgurances » dont Frédéric Mitterrand a fait l’éloge lors de la remise à l’artiste de sa distinction de chevalier de la Légion d’honneur ? Il reste que si l’aspect hyperdécoratif de l’œuvre est esquivé, d’aucuns évoquent néanmoins le sujet avec élégance : « Henri Matisse appelait cela le décoratif supérieur »3. Le résultat pérenne est pourtant bien là. L’introduction de l’art contemporain au Louvre n’est plus un combat. Et à 82 ans, Cy Twombly n’a plus rien à prouver.
(1) Philippe Dagen, Le Monde du 26 mars 2010.
(2) L’objet d’art, avril 2010.
(3) Télérama du 7 avril 2010.