Beaucoup l’associent à Andy Warhol, dont il fut le photographe et le confident*. Pourtant, ce n’est qu’une infime partie de l’histoire de ce créateur d’images naïvement perspicace et délicieusement excentrique. Chez lui, la vie et le travail ne font qu’un. Et dans son monde, les deux valent largement le détour ! Depuis plusieurs années, Christopher Makos a lié son parcours artistique à celui de Paul Solberg : ensemble ils forment les Hilton Brothers et développent un travail original, fruit de leurs pérégrinations aux quatre coins du monde. Parallèlement à la sortie de leur première monographie, Tyrants and Lederhosen (aux éditions La Fabrica), la galerie Catherine Houard leur consacre actuellement une exposition à Paris, qui présente une série d’œuvres réalisées entre 2004 et 2011. A cette occasion, nous mettons en ligne le portrait, écrit pour Cimaise (282), de Christopher Makos.
Une conversation avec lui produit le même effet qu’un 100 mètres olympique. On se retrouve à la fois exténué par l’effort demandé pour le suivre, et dopé par l’adrénaline qu’il dégage. Christopher Makos a beau avoir 58 ans et une vie étourdissante d’intensité, il possède toujours la curiosité d’un enfant et l’ardeur d’un adolescent rebelle. « Vends-moi ton énergie », lui disait son ami Andy Warhol, et l’on comprend aisément pourquoi. Makos déborde d’enthousiasme et d’idées. Ce qui explique sans doute son éternel sourire. Le véritable début de l’histoire a pour cadre New York, où il est arrivé à 18 ans. « J’ai passé mon enfance dans un grenier à m’inventer des histoires, à rêver d’ailleurs. Je suis né dans le Massachusetts, mais ma mère m’a amené en Californie à 13 ans. C’était une Italienne exubérante. Elle s’est mariée trois fois car elle était persuadée qu’il était impossible d’avoir des relations intimes hors mariage ! Je n’ai ni frères ni sœurs et j’ai toujours détesté la solitude. »
A la première occasion, il s’échappe. « C’était comme dans un film surréaliste. J’ai rencontré le propriétaire d’une Mustang décapotable et je suis parti avec lui. Arrivé à New York, avec 25 dollars en poche, je n’avais aucune idée de ce que je devais faire. Je suis descendu à l’hôtel Wellington, que j’ai quitté en douce et sans payer trois jours après. Encore aujourd’hui je n’ose pas passer devant ! »
Pour le jeune Makos, la scène new-yorkaise offre chaque jour un prodigieux spectacle de magie. « J’étais très ouvert et avide d’apprendre, je traînais avec tout le gotha artistique. » Il fait notamment la connaissance du dramaturge Tennessee Williams dont il devient l’assistant, avant d’accompagner Anthony Perkins à Paris pour le tournage du Procès de Kafka sous la direction d’Orson Welles. Anthony lui offre son premier appareil photo. « C’était une révélation. J’ai trouvé quelque chose que je pouvais contrôler. Quand je regarde à travers l’objectif, je capture ma vie et je peux garder l’image jusqu’à ce que je la comprenne. » Seul regret de son premier séjour dans la capitale française : « J’étais invité à une soirée avec Orson Welles, et je n’y suis pas allé. Comme quoi j’étais vraiment bien jeune… »
Le « plus moderne des photographes américains »
Jeune, il l’est aussi lorsqu’il fait la connaissance d’Andy Warhol lors d’une exposition. Mais à 23 ans, Christopher Makos avait déjà acquis son style bien particulier de photojournaliste graphique. Warhol, qui le qualifiera plus tard du « plus moderne des photographes américains », ne tarde pas à l’embaucher dans son magazine Interview. « A l’époque, je ne comprenais pas bien tout ce qui se passait autour de Warhol. Pour tout dire, j’étais plutôt surpris de le rencontrer, moi qui le croyais mort ! Je n’étais pas non plus du genre à aimer les boîtes, l’alcool, la drogue. Certes, je faisais partie de la clique du Studio 54, mais j’étais surtout un observateur. »* Christopher Makos a publié plusieurs ouvrages sur le sujet, parmi lesquels Warhol/Makos in the context, aux éditions powerHouse Books en 2007, et Lady Warhol, aux éditions La Fabrica en 2010.
Quelques dates
Années 1960> Makos découvre l’importance de la musique dans sa vie avec la sortie des premiers albums des Beatles et des Rolling Stones.
Juillet 1966> A 18 ans, il quitte Los Angeles pour New York.
1971> Rencontre avec Andy Warhol au musée Whitney (New York) où celui-ci expose.
1977> Publication de son premier livre White trash.
2000> Adopte la photographie numérique en plus de l’argentique : « Cela a permis à mes idées de
devenir réalité en quelques instants alors qu’avant il fallait attendre plusieurs jours… »
« Je n’éprouve pas le besoin d’être vu »
Andy Warhol meurt en 1987. « Beaucoup pensaient alors que c’était la fin de ma carrière. Pendant un temps, le fait d’être toujours lié à lui quoi que je fasse m’énervait, mais plus maintenant. Je suis conscient que l’amitié avec Andy, notre collaboration, tout ça fera toujours partie de moi. » Tout comme Makos continue, lui, à faire partie de la jet-set artistique de New York, à exposer à travers le monde et à photographier sa vie. « Je sais comment être “public”, mais je suis quelqu’un de très privé. Je me montre quand c’est nécessaire, mais je n’éprouve pas le besoin d’être vu. » Les besoins de Makos se situent ailleurs : dans le simple bonheur d’exister et le plaisir de découvrir des choses nouvelles. Son ouvrage, Equipose (2005), a pour sujet… les chevaux ! « Au départ, Kelly, la femme de Calvin Klein, m’a juste demandé de prendre des photos de ses chevaux. Je n’en avais jamais approché. J’ai été subjugué par leur beauté et leur force. » Du coup, il est allé en Andalousie chercher ses plus beaux modèles. « Les chevaux, c’est plus marrant à photographier que les célébrités… » Ses sujets varient, de l’actualité aux créations artistiques, en passant par ses clichés d’hommes nus. Mais son style ne change pas : d’une naïveté transparente et d’une clarté transperçante. « J’admire les gens qui ont du succès en faisant ce qu’ils aiment. » Dont acte !
The Hilton Brothers : contre-culture américaine
Christopher Makos (à gauche sur la photo) a rencontré Paul Solberg, col blanc travaillant à Wall Street, un jour, à vélo. Résultat : Solberg est passé de photographe amateur averti à professionnel (il est l’auteur du livre Bloom, sorti en 2005) et les deux hommes exposent régulièrement des œuvres communes sous le nom des Hilton Brothers. « On a voulu utiliser notre collaboration créative pour répondre à la culture populaire américaine actuelle. » De la télé-réalité à la Paris Hilton en passant par « l’art contemporain prétentieux », les Hilton Brothers dénoncent l’Amérique, qui « accepte la médiocrité », et les icônes vides de sens. « Être un Américain fier, c’est être un Américain épouvanté », explique Solberg. « Les Américains ne savent plus ce qu’être libre veut dire », surenchérit Makos, qui promettait, il y a cinq ans, des Hilton Brothers « de plus en plus provocateurs ».