Marc-Antoine Mathieu – A Dieu vat !

« – En faisant preuve d’imagination… en somme que reproche-t-on à notre client ? Le simple fait d’exister. C’est mince.

– Dans le cas précis de Dieu, c’est énorme.

– Non, là vous vous faites l’avocat du diable ! »

Des dialogues truculents illuminent Dieu en personne de Marc-Antoine Mathieu ; l’album, paru en 2009 chez Delcourt vient de recevoir le Prix de l’Association des critiques et journalistes de bandes dessinées. Si les voies du Seigneur sont impénétrables, les arcanes qui ont mené au Très-Haut cet auteur kafkaïen le sont moins. L’artiste a très tôt affiché son goût pour les fables décalées. Dans La 2 333e dimension (Delcourt, 2004), ses héros habitent autant de personnages surréalistes que de récits farfelus. Mais dès l’an 2000, Mathieu (nom du premier évangéliste) entre en religion métaphysique dans Mémoires mortes (Delcourt, 2000) ou Le dessin (Delcourt, 2001). En 2006, les incroyables trouvailles des Sous-sols du révolu (Futuropolis) donnent vie à un monde parallèle dans le fantomatique et inquiétant dédale du Louvre et ses entrailles secrètes. Plus déroutant que Belphégor, cet antre d’ombres et de lumière vaut au dessinateur une exposition au prestigieux musée en janvier 2007. Est-ce là, dans ces profondeurs insondables, que la grâce l’a touché au point de vouloir mettre en scène le Créateur himself ? Marc-Antoine Mathieu n’en dira pas un traître mot. Il se proclame agnostique. Dommage, on lui aurait donné le bon Dieu de la BD sans confession ! D’autant que Dieu existe, si l’on en croit Dieu en personne. Personnifié, matérialisé, certes, quoique jamais incarné, le dessinateur évite de le présenter de face, floutant ses traits par de subtils procédés. Un petit résumé s’impose : Dieu, descendu sur Terre pour connaître la sensation du rire, se retrouve sans papiers, interné, puis mis au banc des accusés au cours d’un retentissant procès en dommages et intérêts. Des centaines de plaintes sont déposées contre lui, même si personne n’ose (encore) lui jeter la première pierre… Avocats et juges échangent de subtiles arguties truffées de jeux de mots jubilatoires. Une instruction menée à charge et à décharge contre le Créateur… de nos misères, le Tout-Puissant jugé par des hommes, sacrebleu ! Dieu ne manque pourtant pas d’apporter les preuves de son existence en résolvant l’énigme scientifique de la « particule élémentaire ».

« – Enfin une seule et même loi ! Une unique loi unificatrice ! La loi des lois ! Le Walhala de la cosmologie ! Il l’a trouvée !

– Nom de D… ! »

C’est que Dieu sait manier le Verbe. Après l’accomplissement d’un tel prodige, la machinerie médiatique s’emballe. Devenu cathodique, l’Eternel passe d’interviews stupides en reportages bâclés, perçoit des droits d’auteur pour des livres que d’autres ont écrit, et se voit même doté d’une société multinationale gérant ses produits dérivés… Marc-Antoine Mathieu se délecte à fustiger nos sociétés gavées de presse people, d’inutiles produits de consommation et de surinformation, gadgets comblant le vide spirituel moderne par l’enchevêtrement des réseaux et autres flux continus de communication. Le dessinateur joue en virtuose avec ses talents de scénographe pour présenter les intervenants à la manière d’un reportage télévisé. Commentateurs sportifs, avocats véreux, scientifiques ridicules, psychanalystes douteux, attachées de presse coincées : toutes les catégories sociales sont passées à la moulinette de leur incompétence sur la question de l’existence divine. C’est au final un technicien de surface anonyme qui livrera la réflexion la mieux ficelée. Véritable manne d’humour, les dialogues juridico-religieux sont servis par un élégant dessin en noir et blanc, relevé de quelques niveaux de gris. La couleur se révélant accessoire dans un tel sujet. Maître de la narration et de la mise en abyme du récit, Marc-Antoine Mathieu promène le lecteur d’illusions en tromperies, soulevant sans jamais y répondre, la question du libre arbitre, de l’origine de l’Homme, du sens de la vie, de la responsabilité, des inégalités… et sous couvert de spiritualité, se livre à une implacable critique de la société. S’il n’est pas le seul à traiter du sujet, Marc-Antoine Mathieu tient le haut de l’affiche tant par le traitement graphique que par la justesse des répliques. Les admirateurs de l’irremplaçable Raymond Devos pourraient ajouter « L’Homme existe, je l’ai rencontré ! ». Ça fera beaucoup rire Dieu…© Marc-Antoine Mathieu courtesy Delcourt

Dieu en personne de Marc-Antoine Mathieu, Delcourt, 17,50 euros.

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Extraits, Dieu en personne © Marc-Antoine Mathieu, courtesy Delcourt