Deuxième épisode d’une série d’articles destinés à l’art numérique que vous pourrez retrouver chaque mardi. Notre objectif est de présenter cet art « nouveau », de le situer dans une continuité historique, d’en analyser le contexte technologique et juridique, d’en découvrir les multiples facettes et d’imaginer ses développements futurs.
« Si je n’avais pas été professeur titulaire, de surcroît le seul à avoir exposé à New York, le département Art m’aurait bouté hors de l’université ! », se souvient Charles Csuri. Le peintre, qui avait rejoint le laboratoire informatique de l’université de Colombus dans l’Ohio et créé ses premières images digitales, venait de décrocher une bourse auprès de la National Science Foundation pour développer ses recherches. C’était en 1969. N’entend-on pas encore aujourd’hui s’élever des voix pour proclamer que l’art numérique n’est pas un art car il est réalisé par un ordinateur ? Il est vrai qu’il ne peut exister sans la médiation des machines. Pour autant, il serait spécieux de se servir de cet argument pour le mettre hors jeu : l’art a toujours eu maille à partir avec les sciences. Tout au long des siècles, les œuvres d’art ont toujours procédé d’une certaine maîtrise technique – les Grecs n’utilisaient-ils pas le mot «tekhné», le savoir-faire, pour désigner l’art –, et nombre d’artistes ont été influencés par les sciences. Témoins privilégiés des inventions de leur temps, ils ont délibérément cherché à utiliser les procédés scientifiques apparus pour créer. Dans cette longue liste de pionniers nous trouvons, sans surprise, Léonard de Vinci et son insatiable curiosité de l’homme et de la mécanique, Archimboldo et sa connaissance incroyable de la diversité marine (Allégorie de l’eau), saluée par les zoologistes d’aujourd’hui, Rembrandt et son goût du témoignage, sa fascination de la part d’ombre (La leçon d’anatomie), Maurits Cornelis Escher et sa fidélité à la géométrie hyperbolique (Limite circulaire), Dali et son amour pour les mathématiques ou la génétique (Galacidalacidesoxyribonucleicacid, tableau figurant la structure d’ADN en double hélice, 1963).
Pour pousser leurs recherches sur les formes géométriques, d’autres comme le graveur Patrice Jeener ou la peintre Vera Molnar ont utilisé l’informatique dès qu’ils en ont eu l’occasion. Vera Molnar devient même, en 1980, membre fondateur du Centre de recherche expérimentale et informatique des arts visuels à l’université de Paris-I. L’utilisation des mathématiques par l’art numérique s’inscrit donc dans le prolongement d’une recherche artistique entamée il y a bien longtemps. « 90 % des découvertes scientifiques et technologiques ont été faites depuis 1950. On a plus découvert en cinquante ans, que des grottes de Lascaux jusqu’au milieu du XXe siècle ! Ce qui est intéressant dans l’art numérique, c’est que scientifiques et artistes utilisent les mêmes pinceaux, des ordinateurs qui peuvent effectuer 50 milliards d’opérations par seconde ! Désormais, il est impossible de séparer art et science », affirme Pierre Cornette de Saint Cyr, commissaire-priseur et président du Palais de Tokyo, centre d’art parisien consacré à la création contemporaine.
Tout au long des siècles, l’évolution des techniques a toujours permis l’émergence de nouvelles formes systématiquement rejetées par leur époque. Qui aujourd’hui oserait remettre en question la qualité artistique des toiles impressionnistes ou pointillistes ? Pourtant, elles ont été influencées, à la fois par les travaux d’Isaac Newton sur la décomposition de la lumière blanche et la loi du contraste simultané des couleurs édictée par le chimiste français Michel-Eugène Chevreul. Il est amusant de constater qu’à l’époque cette peinture n’avait d’ailleurs pas été rejetée pour sa collusion avec la science mais pour avoir osé braver les règles académiques. Comme quoi chaque époque génère ses tabous. Que dire de la photographie ou du cinéma qui, l’un comme l’autre, ont reçu un accueil plus que mitigé de la part de leurs contemporains. Chaque fois qu’une forme nouvelle apparaît, elle dérange la communauté des artistes établis et demande au public ainsi qu’au marché de s’adapter.« On parle de nouvelles technologies, pas si nouvelles que ça. Elles sont nées voilà plus de 50 ans ; à l’époque les ordinateurs prenaient une pièce entière et les œuvres tenaient sur les cartes perforées ! Le lien entre art et science intéresse le magazine. Nous aimons bien parler d’artistes en blouses blanches, c’est-à-dire des gens qui n’ont pas peur de mettre les mains dans le code et dans la fabrication des programmes. L’art numérique réunit souvent artistes et scientifiques. Il pose la question de la nature de l’œuvre. Est-ce une œuvre finie, une partition, un procédé ou un flux ? » Comme l’exprime Anne-Cécile Worms, fondatrice et éditrice de MCD Musiques & Cultures Digitales, l’art numérique oblige à reposer un certain nombre de questions relatives notamment à sa qualité immatérielle. Ce qui finalement pose beaucoup plus de problèmes que ses liens avec la science aussi bien en ce qui concerne la représentation que l’on en a que la capacité d’échange qu’il offre. Ce qui est facilement admis pour l’écriture, la musique ou la danse l’est beaucoup moins pour les œuvres d’art qui restent pour le moment des « objets » que l’on peut, que l’on doit toucher. Son support naturel, l’écran en devient même un handicap. Référence au monde du travail, de la recherche et de l’industrie, il rebute d’emblée le public et freine d’autant la mise en relation de l’œuvre avec l’histoire de l’art. « Cézanne disait qu’il ne faut plus appréhender la nature telle qu’on la voit mais la recomposer par le cylindre, la sphère, le cône. Il a engendré le cubisme. Les Fractals Flowers ont ce côté agmenté et ouvrent des horizons qui n’ont pas pu être explorés par des artistes qui ne possédaient pas nos outils.
On peut trouver tant au XIXe qu’au XXe siècle beaucoup de précurseurs de nos univers numériques. Un artiste comme Seurat, en développant son travail sur le pointillisme, préfigure le tube cathodique. Mondrian, avec ses Boogie Woogie, annonce l’effet “pixel”. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, mon travail n’est pas totalement en rupture avec le champ de la peinture. Au fond ce qui m’intéresse, c’est de prendre en compte les liens qui existent avec les artistes du passé et de développer une écriture qui développe des champs nouveaux. Je pense qu’à chaque époque les artistes essaient d’être de leur temps avec les outils qui sont à leur disposition. J’essaie d’être du mien avec ceux d’aujourd’hui », explique Miguel Chevalier, artiste numérique depuis 25 ans.De la tour Spatiodynamique à l’apparition du World Wide Web
Tout l’été 1955, il « chanta », au parc de Saint-Cloud, du haut de ses 50 mètres ! Réalisé par Nicolas Schöffer, le robot compositeur (sonorisé par une composition en temps réel à partir de bandes magnétiques du compositeur Pierre Henry) est la première œuvre multimédia interactive au monde. Avec cette Tour Spatiodynamique Cybernétique et Sonore, l’« artiste-ingénieur » français d’origine hongroise invente l’art cybernétique qui permet un « dialogue entre l’œuvre et son public » ou son environnement. Trois ans plus tard, William Higinbotham – chercheur prévenant –, invente à Brookhaven (Etats-Unis), en vue de la visite de son laboratoire par des néophytes (d’aucuns racontent qu’il s’agissait des enfants du personnel du labo), Tennis for Two, un ping-pong sur oscilloscope, ancêtre du célèbre Pong. Il s’agissait là d’un jeu géré par un petit calculateur analogique constitué de dix amplificateurs opérationnels : tubes électroniques, résistances, condensateurs et relais. A la même période, un peu partout, des chercheurs détournent les fonctions originelles des ordinateurs. Les premières images apparaissaient sous les yeux écarquillés des informaticiens et dans l’indifférence quasi générale du monde de l’art. En 1964, le peintre Charles Csuri découvre dans une publication de l’Ohio State University un portrait généré informatiquement et décide de s’inscrire à un cours de programmation : « J’avais besoin de comprendre les ordinateurs et les algorithmes, et par la suite cela m’a aidé à imaginer de nouvelles façons de penser la créativité », précise-t-il. Un processus révolutionnaire est enclenché. Très rapidement il est possible de réaliser des espaces graphiques multidimensionnels, de changer la translation, la rotation et l’échelle d’un objet virtuel en temps réel. Ce sont les débuts de l’animation. Il faut avouer qu’à cette époque peu d’artistes ont le courage de se lancer dans l’informatique dont les résultats sont parfois inattendus et les « plantages » fréquents. Beaucoup de trouvailles et de créations n’ont d’ailleurs jamais été partagées et demeurent le secret de chercheurs aventureux et créatifs.Pendant ce temps, l’« effet Duchamp » ne cesse de faire des vagues. La première moitié du siècle a été agitée et la peinture en bute à d’immenses chamboulements. Pendant que Pollock fait corps avec la toile, Fontana donne à ses œuvres le nom de « concept spatial », Klein veut peindre le « monde de la couleur pure » et Buren finira par déterminer son « degré zéro » de la peinture. De son côté, Nam June Paik entreprend de jouer avec des tubes cathodiques de téléviseur et expose les résultats de ses premières recherches à Wuppertal (Allemagne) en mars 1963. Une exposition considérée comme la naissance de l’art vidéo. L’année précédente avait vu naître Fluxus. Emmené par George Maciunas, le mouvement dont la vocation est de faire exploser les limites de la pratique artistique et tomber les frontières entre les arts, fait rapidement des adeptes : Joseph Beuys, Wolf Vostell, Nam Jun Paik, Robert Filliou, George Brecht, entre autres. Avec eux, les années 1970 sont fin prêtes pour accueillir les performances les plus débridées et réinventer le monde ! En France, Supports/Surfaces connaît un parcours éclair mais qui marquera plusieurs générations d’étudiants des Beaux-Arts. Pour le groupe, l’objet de la peinture est la peinture elle-même. Claude Viallat résume ainsi leur pratique : « Dezeuze peignait des châssis sans toile, moi je peignais des toiles sans châssis et Saytour l’image du châssis sur la toile. » De leur côté, Hervé Fischer, Fred Forest et Jean-Paul Thénot remettent en question l’idéologie d’avant-garde, contestent les institutions et le marché de l’art.
La même année le premier micro-ordinateur vendu tout assemblé apparaît. Les Etats-Unis conservent leur avance dans le domaine. En 1976, Bill Gates publie une première lettre ouverte dans la presse pour se plaindre du… piratage informatique ! Un long combat démarre. Un an plus tard, Apple Computer présente son ordinateur Apple II capable d’afficher des graphiques en couleur. 35 000 exemplaires sont vendus la première année alors que la société, dans le même laps de temps, avait à peine écoulé 175 kits de l’Apple I. La société belge Indata commercialise, elle, une véritable machine multimédia très en avance sur son temps qui permet d’écouter de la musique, de jouer et même d’incruster des images vidéo. L’accessibilité de plus en plus grande à ces machines permet à un public grandissant de se frotter à leurs potentialités. La pratique informatique est définitivement sortie des laboratoires et les artistes peuvent s’en emparer plus facilement.1980, Miguel Chevalier entre aux Beaux-Arts de Paris. Le jeune homme qui a longtemps vécu au Mexique puis en Espagne déchante rapidement. L’institution n’a pas suivi les engouements des années 1970 : pas d’atelier vidéo, pas de sérigraphie. Il décide donc de s’inscrire aux Arts-Déco et c’est là que, poussé par le très réputé designer Roger Tallon, il découvre au CNRS les outils de son siècle. « J’ai compris à ce moment-là qu’il y avait un champ immense et que les gens ne le comprenaient pas. J’ai obtenu une bourse pour aller aux Etats-Unis. Là-bas, j’ai découvert des outils formidables. En France, la peinture retrouvait le devant de la scène avec Garouste, Combas… A mon retour, dès que je montrais mon travail, les gens me prenaient pour un technicien, un ingénieur… J’étais à contre-courant mais persuadé que les choses finiraient par aller dans mon sens », se souvient Miguel Chevalier. « J’ai créé “Art Images et Informatique” en 1982 à Vincennes (ndlr : devenue Paris-VIII). C’était la première formation, en France et à l’université, aux images de synthèse. A une époque, il n’y avait aucun logiciel de commercialisé. L’Etat possédait là une mine d’or de potentialités en matière de recherche ; il n’a rien vu. Paradoxalement, c’est la Culture qui a financé le plus ce type d’expérience. Nous avons tout de même formé des jeunes qui sont maintenant dans toutes les boîtes françaises ou internationales de synthèse d’images, d’effets spéciaux… », explique Edmond Couchot, artiste et professeur émérite de l’université Paris-VIII (Arts et Technologies de l’image).
Un an plus tard, le premier serveur de noms de sites fait son apparition. En trois ans, on passe de 1 000 à 100 000 ordinateurs connectés. En 1988, Edmond Couchot présente avec Michel Bret, La plume, œuvre interactive : une petite plume d’oiseau repose sur le bas de l’écran, il suffit de souffler dessus pour la regarder s’envoler et se poser après de complexes trajectoires toujours différentes. Miguel Chevalier, quant à lui, utilise des jumelles stéréoscopiques pour permettre au spectateur de découvrir au fond d’un puits des corps digitalisés (Anthropométrie, 1989). « Si bien que l’œil fonctionnait comme un microscope géant, à travers les coupes de poumons et d’encéphales », indique le site de l’artiste. C’est la fin des années 1980, « la plupart des recherches artistiques qui maintenaient l’image numérique dans des zones d’échanges, d’influences réciproques avec la peinture, les arts plastiques ou l’art vidéo, sont en partie délaissées au profit de l’animation 3D (…) Le film devient la principale sinon l’unique manière pour un artiste de montrer ses travaux. » (L’art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art. Edmond Couchot et Norbert Hillaire.) Pendant que le film se taille la part du lion, la révolution est en marche et personne ou presque ne l’attend. En 1991, le World Wide Web est annoncé publiquement : ce système d’hypertexte associé à un navigateur permet de consulter sur Internet des pages mises en ligne sur des sites. L’année suivante 1 million d’ordinateurs sont connectés, sept ans plus tard le Web compte 200 millions d’utilisateurs. Aujourd’hui, ils sont plusieurs milliards.La révolution Internet
En même temps que les œuvres multimédia vont prendre le pas sur tous les autres types de création numérique, les années 1990 voient naître un nouvel art : un art inséparable du Net. « Avec Jodi, Vuk, Cosic, Alexei Shulgin, Heath Bunting, Natalie Bookchin et d’autres pionniers de l’art en ligne, nous avons travaillé à inventer le nouveau langage et les nouvelles règles de cet art qui sont inextricablement liés au développement d’Internet lui-même », explique l’artiste Olga Kisseleva dans le hors-série de MCD,WJ-SPOTS, publié en septembre 2009. Ces adeptes de la première heure utilisent pour la première fois le terme de « net.art » concernant leurs travaux (depuis ce dernier est utilisé dans un sens plus large). Il s’agissait pour eux de réaliser des œuvres dans l’espace matériel du réseau, transformant celui-ci en œuvre plastique. Dès le début, Internet inspire de nouvelles pratiques et se différencie de toute autre forme d’art car il n’a besoin d’aucune médiation entre l’artiste et l’internaute ; fondé sur l’information et non sur l’objet, il implique celui qui regarde. « L’œuvre devient participative, elle n’existe plus sans le public. Les premières œuvres d’art sur Internet sont d’ailleurs très explicites : le public interagit, manipule… Annick Bureau et Nathalie Magnan parlent d’art “écranique” (ndlr : Connexions : Art, Réseaux, Média, publié en mai 2002) », précise Anne-Cécile Worms.
Le Web permet aux artistes de tisser des liens à distance, d’envisager de nouvelles collaborations et leur offre aussi l’opportunité de diffuser les œuvres sur le réseau. En 1995, l’artiste Maurice Benayoun réalise Tunnel sous l’Atlantique, une installation qui relie le centre Pompidou et le musée d’Art contemporain de Montréal. Cet événement, qui utilise la réalité virtuelle, voit les participants à Paris et à Montréal avancer les uns vers les autres en se dirigeant à la voix à travers la mémoire commune de la France et du Canada. Le but ultime étant la rencontre par-delà l’Océan. Cette œuvre compte parmi les toutes premières commandes publiques dans le champ de la création numérique en France.
Espace d’expérimentations, le Web permet de tester et de repérer de nouvelles formes artistiques. Cet outil de communication et de diffusion est donc aussi un immense territoire des possibles, en expansion, qui demande une attention chronophage si l’on veut rester au fait des nouvelles pratiques, inventions, expériences… Les artistes du Net art proposent des projets multiformes qui vont parfois jusqu’à inclure une possibilité d’apport, de transformation ou de communication venant des internautes. « L’interactivité minimum est toujours la navigation dans un espace d’information plus ou moins transparent et arborescent. Une interactivité plus complexe peut prescrire la génération d’un algorithme de programmation. (…) Une troisième relation interactive peut encore consister en la possible introduction de données de la part de l’acteur. Il s’agit là d’une interactivité de contribution, cette dernière pouvant ou non avoir une incidence réelle sur le contenu ou la forme de l’œuvre. La contribution y est dans ce cas doublée d’une altération. Enfin, l’interactivité peut être le terreau d’une communication interhumaine médiée. C’est ici l’alteraction – l’action collective en temps réel – qui compose le cœur du projet artistique. (…) Pour chacun de ces scénarios, le Net art aménage différentes prises en direction d’un public qui peut désormais, selon sous certaines réserves et conditions, devenir “acteur” de fragments d’œuvres préalablement identifiés. En conjuguant simultanément une esthétique du code, un design d’interface et un art de l’archive (plus ou moins éphémère), le Net art met ainsi en scène un art appliqué à disposition du public », explique le sociologue Jean-Paul Fourmentraux dans la revue du CIAC de Montréal en septembre 2009.
Les œuvres en réseau sont donc très variées, d’intérêt et de contenu inégaux. Cela va de créations à vocation politique, voire contestataire, à des sortes de jeu de rôle utilisant des avatars, en passant par des espaces de navigation et de découverte ou des performances en direct. Certaines œuvres ne sont pas identifiables en tant que telles, elles peuvent par exemple se présenter comme des sites Web institutionnels de société ou d’entreprise comme Ouest Lumière de Yann Toma dont l’objet est « l’exploitation des applications de l’énergie artistique sous toutes ses formes, en France et à l’étranger ». Apparues dès les années 1960, un peu partout sur le globe, ces « sociétés » ou « firmes » sont portées par des artistes entrepreneurs et ont trouvé grâce au Net un médium de prédilection.
Si leur champ esthétique est souvent proche de celui de l’entreprise, c’est bien souvent le champ politique qu’elles investissent à travers une réflexion et une production souvent inattendues. « Au terme d’ “entreprise d’artiste”, peu précis, je préfère celui d’“entreprise critique” qui est moins équivoque. Quand on parle d’une entreprise critique, on parle d’une forme, une œuvre qui propose un nouveau système économique, comme Slade city, et peut se manifester sous différentes formes : maquettes, sculptures, design… », explique Rose Marie Barrientos, historienne d’art et directrice adjointe d’Art & Flux. D’autres renvoient les internautes vers le monde réel, soit en proposant d’agir sur un dispositif en place comme le TeleGarden de Ken Goldberg qui permet aux internautes d’interagir avec un jardin de plantes vivantes, soit en incitant délibérément l’internaute à sortir de chez lui, muni toutefois d’un téléphone mobile disposant d’un… accès à Internet ! Ainsi le projet artistique Capitol of Punk proposé par Yello Arrow invite à se rendre dans certains lieux de Washington qui ont vu émerger la scène Hardcore dans les années 1970. Une fois sur place l’« internaute promeneur » envoie un texto codé au numéro indiqué et peut ensuite télécharger des vidéos d’artistes sous forme de podcast et obtenir des informations sur le lieu. Une sorte de visite guidée, en somme… Pour conclure, Edmond Couchot et François Hillaire résument ainsi la situation : « Le Web est un objet par essence dynamique et en constante évolution qui tend, de surcroît, à l’hybridation des techniques, des langages, des modèles. Et c’est pourquoi toute typologie du Web n’a de sens que celui d’un « arrêt sur image », forcément provisoire et forcément réducteur. »
Mardi prochain : « L’art numérique, un maquis de pratiques »